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Jean-Paul Sartre ✆ Jörn Gebert
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Norbert Lenoir | Juste
quelques mots d’introduction pour expliciter le sens du titre qui peut paraître
quelque peu énigmatique. Concernant la catégorie de sujet, il ne s’agira ni de
le faire mourir une nouvelle fois ni non plus de le ressusciter une nouvelle
fois, mais de montrer qu’il ne prend de sens que dans une certaine dynamique
historique que Marx appelle prolétariat et que Sartre appelle le groupe en
fusion. Mais précisément, ces sujets à l’œuvre dans le temps ne deviennent
sujets que dans des actions particulières qu’ils exercent dans l’histoire. Le
prolétariat chez Marx, le groupe chez Sartre ouvre des brèches, celles de
l’émancipation. Ainsi pour ces deux auteurs, l’histoire est beaucoup moins un
vecteur tendu vers une fin inexorable qu’une dynamique de subjectivation,
dynamique de création de sujets capables de briser, de déchirer le temps de la
répétition et de la reproduction du capital qui n’est que le temps de la
domination. Entre le sujet et l’acteur, il n’y a donc nul lien d’opposition
mais un lien dialectique qui précisément fait l’histoire. Si l’histoire n’est
pas une simple répétition, c’est qu’il y a des sujets initiant des actions qui
font bifurquer le temps et l’espace du politique. Si le sujet veut quitter son
sens passif d’assujettissement, il ne peut le faire que s’il devient un acteur
politique qui fait surgir non seulement la question mais la réalité de la
démocratie. Cela signifie peut-être aussi que le sens réel de ce terme ne
s’annonce que dans la radicalité de la brèche qu’elle instaure, brèche qu’elle
parvient à créer dans l’organisation économique et politique. Ce couple
sujet/acteur se veut un outil nous permettant de dialectiser le mot peuple.
Il y a deux façons de rendre politiquement absent le
peuple :
1) On le rend incapable de gouverner en l’écartant du
pouvoir en le persuadant qu’il ne peut agir par lui-même sinon uniquement par
procuration.
2) En l’enfermant dans une unité mythique ou une identité
nationale que seul un parti providentiel pourrait incarner et préserver.
L’absence du peuple oscille donc entre une relégation
politique à être une simple machine électorale à produire du consentement pour
que les choses et les affaires se poursuivent et une abstraction mythique qui
fait du peuple une substance transhistorique inaltérable.
Précisément, rendre le peuple présent, c’est montrer de quoi
il est le nom précisément : le peuple n’est peuple que s’il excède sa
simple existence sommative, produisant par le compte de ses voix le
consentement au pouvoir. Cet excès est créé dans la radicalité des révolutions,
quand le peuple devient acteur politique et du politique. Mais précisément,
quand il le devient, le peuple n’est plus un car il montre qu’il est traversé
par des conflits et des luttes de classes.
C’est cette
dimension qui semble rapprocher Marx et Sartre. Tous deux défendent ce que nous
appelons une politique de l’histoire et non une histoire politique. La seconde
est celle qui, à travers la grille libérale, voit l’histoire comme le triomphe
de l’État de droit avec ses identifications : démocratie = économie de
marché = représentation. La politique de l’histoire c’est relever les
points historiques où ces identifications se fissurent par l’entrée en scène
d’acteurs sociaux qui, en politisant l’ensemble de la société, font advenir la
radicalité démocratique.
A travers la Commune de Paris chez Marx et la notion de
groupe chez Sartre nous essaierons de montrer en quoi ces deux auteurs
développent une pensée de la démocratie en acte.