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Karl Marx ✆ Anne Simon
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Michael R. Krätke
Marx après 1867. Rien ne
va plus ?
1. Selon une représentation
populaire dont témoignent maintes biographies, Marx, sur ses vieux
jours, ayant perdu toute capacité de travail, était en proie au
désespoir. A ses plus proches amis, comme Engels, il disait faire
des progrès, avancer dans son grand projet. De temps à autre, il
annonçait que le Livre II du Capital serait bientôt
prêt. En fait, il leur cachait le véritable état de ses manuscrits
inachevés. Il était, il est vrai, presque constamment perturbé par
la maladie. Et, en outre, souvent pris par des tâches politiques,
celles du Conseil Général de l’Association Internationale des
Travailleurs, la Première Internationale. D’un autre côté
pourtant, après 1870, il n’avait plus les mêmes tracas financiers
qui l’avaient hanté pendant plus de vingt années.
2. Après 1867 il ne publia plus
grande chose, et presque rien sur la critique de l’économie
politique, sauf un chapitre sur l’histoire de l’économie
politique dans l’
Anti-Dühring d’Engels et une
version populaire du Livre I du
Capital, écrite par
Johann Most, mais révisée et réécrite par lui, et publié en 1876
[1]
Dans la littérature biographique, cette dernière période de sa vie
est surtout considérée comme une période d’échecs. Marx, pour
diverses raisons, a raté son chef d’œuvre, Le Capital. Il
aurait renoncé, accepté la défaite, s’avouant incapable de mener
à terme son grand projet de critique de l’économie politique.
Cela donnait, malgré tout, au Capital le charme d’un
chef d’œuvre inachevé et imparfait. Mais cela laissait aussi
assez de marge de manœuvre pour des spéculations hasardeuses, qui
furent longtemps à la mode dans la marxologie académique.
3. Grâce aux travaux en cours
dans le cadre de la MEGA, on peut désormais se faire une idée plus
concrète et plus précise du travail scientifique de Marx pendant la
dernière période de sa vie. Dans quelques années, la plupart de
ses manuscrits, de ses notes de lectures et des collections de
matériaux datant de cette période, seront publiés. Cela modifiera
sans doute le jugement que l’on peut porter sur le dernier Marx, et
nous donnera une nouvelle base pour mieux juger de son œuvre, et de
la critique de l’économie politique en particulier. Pourquoi ?
Parce que Marx, comme en attestent les milliers de pages d’écrits
qu’il a laissés, n’a pas abandonné son grand projet. Il a
continué à travailler avec la même passion, la même voracité que
pendant les quinze années précédentes. Il n’a rien publié, et
quand il y eut débat sur sa théorie de la valeur entre ses
partisans et ses adversaires, il semble s’être retranché dans le
mutisme
[2]
Néanmoins, tous ses écrits inédits témoignent de ses efforts
incessants pour mener à bien
Le Capital, et surtout pour
en fournir une version complète et parfaite. On se rappelle le
presque dernier mot du dernier Marx, en décembre 1881, sur
Le
Capital, laconique mais très révélateur : « il
faudrait tout reprendre, complètement », écrit-il à son ami
et collaborateur Daniel’son. Il avait, en réalité, exprimé cette
même idée, dix ans plus tôt, en 1871
[3]
C’était au moment où il commençait à travailler sérieusement à
la fois à une traduction française et à une nouvelle version
allemande du Livre I : on peut dire qu’il s’engageait dans
une nouvelle version de la critique de l’économie politique, la
cinquième, encore plus éloignée de celle de ses débuts en
1857/58.
4. La longue route vers
le Capital Rappelons-nous qu’il n’est pas facile de lire
le
Capital. Il s’agit, évidemment, d’un chef d’œuvre
inachevé. En outre, le Capital présente un type de théorie et
un type d’exposition scientifique rarement rencontré et peu
compris jusqu’à nos jours. Ce qui aggrave la difficulté, c’est
qu’il n’y a pas seulement un
Capital, mais plusieurs.
Marx poursuit son projet d’une critique de l’économie politique
de 1844 à sa mort. Après quelques brefs brouillons sur le système
monétaire qui se trouvent déjà dans ses cahiers de notes de
lecture connus sous le nom de
Londoner Hefte, il
commence à écrire de longs manuscrits dès 1857 – des manuscrits
de recherche et des manuscrits de rédaction. A certaines périodes,
il écrit sur d’autres sujets – comme en 1860 (la polémique
contre Vogt) ou en 1871 (l’Adresse au Conseil Général de l’A.
I. T. sur la guerre civile en France) –, mais il ne cessa pas
d’écrire jusque 1881-82
[4]
Nous avons donc quatre ou cinq versions différentes de la critique
de l’économie politique de Marx. La première, connue sous le nom
de
Grundrisse, est écrite en 1857-58. En 1858-59, il
rédige le texte connu et publié sous le titre
Zur Kritik
der Politischen Ökonomie. Ensuite, dans les années 1861-63, il
recommence encore une fois et produit une troisième version, pour
l’essentiel un manuscrit de recherche, dont une partie est connue
sous le nom des
Theorien über den Mehrwert [5]
Pendant cette période, Marx modifie son plan original (le plan en
six livres datant de 1858) et il en arrive à la structure
d’exposition de ce que nous connaissons sous le titre
Das
Kapital. En 1864-65, Marx écrit une première version des trois
livres du
Capital, plus ou moins dans l’ordre inverse
(à partir du Livre III). Ces manuscrits restent inachevés, sauf le
manuscrit du Livre I, que Marx réécrit et rédige selon deux
versions différentes en 1865-66. La seconde est la seule qu’il
rédige jusqu’au bout, parvenant enfin à une version qui lui
semble convenable. Après la publication du Livre I en 1867, Marx
poursuit ses travaux dans deux directions. D’une part, il rédige
et remanie ce texte à plusieurs reprises, surtout en 1871-72.
D’autre part, il continue à travailler sur les thèmes des Livres
II et III, sans en modifier le plan, en réécrivant et en ajoutant
des brouillons et autres manuscrits aux textes déjà écrits en
1864-65
[6]
Tous ces textes, qui seront publiés pour la première fois dans la
MEGA2, avec les montagnes de notes de lecture et de matériaux qu’il
amassa jusqu’à sa mort, nous donnent une idée de ce qu’aurait
été la dernière version du
Capital, la cinquième
version de sa critique de l’économie politique telle qu’il
l’avait envisagée dans la dernière période de sa vie.
5. Entre ces différentes
versions, il n’y a pas de rupture nette. Même le fameux changement
de plan de 1863 ne se produit pas d’un seul bond, mais à pas
comptés
[7]
Les remarques autocritiques les plus radicales se trouvent dans le
manuscrit de 1857-58. Dans ce manuscrit, en essayant de présenter le
système des catégories économiques d’une manière
« dialectique », Marx se heurte aux limites propres à la
méthode dialectique et il parvient à un mode d’exposition
systématique qui lui semble adéquate aux réquisits d'une science
sociale, historique et politique comme l’économie politique. Il
reprend et pousse plus avant sa critique de Hegel et du maniérisme
hégélien, s’éloignant de plus en plus d’une dialectique sans
retenue. Il finit par en arriver à une dialectique très réduite et
très mesurée, ce qu’il ne considère pas comme un glissement vers
une popularisation ni une vulgarisation de sa théorie. Il était
très critique envers ses manuscrits, surtout envers le manuscrit de
1857-58, que certains marxistes considèrent aujourd’hui comme la
version la plus achevée de son œuvre. Il était lui-même d’un
autre avis. Le manuscrit de 1857-58 marque un pas en avant, parce que
son auteur a beaucoup appris, surtout sur la méthode d’exposition
adéquate à une théorie générale et systématique. La leçon la
plus importante qu’il a retenue est qu’il faut prendre conscience
des limites inévitables de la méthode dialectique, et éviter même
l’apparence d’une construction a priori. A partir de là, Marx
cherche et corrige, essaie et recommence : les manuscrits de
1857-58, les manuscrits de 1861-63 et même les manuscrits de 1864-65
sont encore des manuscrits de recherche plutôt que des manuscrits de
rédaction. Après 1867, ce travail n’est pas fini. Bien au
contraire. Marx, à la fin des années soixante-dix (et jusqu’en
1882), continue à lire et à relire Le Capital, – et à
lui trouver des défauts.
6. On peut se demander, comme
déjà Raymond Aron l’a fait dans les années soixante, pourquoi
Marx n’a pas achevé
Le Capital dans les presque
quinze années qui lui restaient après la publication du Livre I en
1867
[8]?
Il y eut, bien sûr, les maladies, et des maladies graves, il y eut
la fatigue, les drames familiaux. A certaines périodes pourtant, il
était parfaitement capable de lire, de travailler, de réunir et
d’examiner des masses de matériaux, même quand il se considérait
comme incapable d’écrire, – en tout cas selon les exigences qui
lui semblaient être celles de son
opus magnum. Voilà ce
qui reste cependant à considérer de plus près.
7. Après la publication du
Livre I en septembre 1867, Marx se remet presque immédiatement au
travail. Pendant l’année 1868, il confirme dans des lettres à
Engels et à d’autres amis les grandes lignes et la structure de
son plan pour les Livres II et III. Il veut reprendre le collier et
réviser les manuscrits qu’il a écrits quatre ou trois années
auparavant. Dès qu’il se remet à ce qu’il regardait comme un
travail de rédaction, un travail de plusieurs mois, peut-être un
an, il aperçoit de nombreux problèmes dans ses manuscrits
inachevés. Que fait-il ? Il recommence ses études. Il
s’installe à nouveau, pour longtemps, au
British Museum,
où il produit une vaste recueil d’extraits, de notes de lectures,
de statistiques et encore d’extraits de rapports officiels (avec
ses propres commentaires), soit plus de 700 pages an total. De plus,
pendant six mois, et cette fois-ci avec l’aide de sa fille Jenny,
il se construit une vaste collection d’articles découpés dans des
journaux. Tous ces travaux portent sur un sujet qu’il pensait bien
posséder – la monnaie, ses différentes formes, les marchés
financiers et leurs crises – et surtout les crises financières
récentes, c’est-à-dire les phénomènes manifestés par la crise
de 1866. Tout comme il l’avait déjà fait dans les années
cinquante, avec ses études sur la crise de 1857/58 comme apogée,
Marx, en 1868-69, produit encore toute une série de ses fameux
cahiers sur la monnaie et les questions monétaires. Le plus
remarquable est que dix ans plus tard, en 1878, Marx renouvelle cet
exploit. En quelques mois, il remplit encore une série de cahiers
sur la théorie et l’histoire des relations monétaires dans les
pays capitalistes les plus importants de l’époque, y compris les
Etats-Unis et la Russie
[9]
Et il continue. Entre décembre 1878 et mars 1879, il fait des
extraits d’une vaste collection des publications récentes sur les
crises monétaires, actualisant et mettant à jour son matériel
[10]
Cela dit, on peut déjà signaler une des matières principales de
ses études depuis 1868 : la monnaie, le crédit, le système
des banques et les phénomènes des marchés financiers, les crises
monétaires surtout. Marx est fasciné par la découverte d’or en
Californie et il analyse les conséquences de ce phénomène en 1850.
Dès 1868, il observe et étudie un nouveau phénomène : le
passage du système monétaire international au fameux étalon d’or.
Ce phénomène s’avère parfaitement compatible avec la teneur de
sa théorie de la monnaie, comme il l’indiquait déjà au chapitre
trois du Livre I du
Capital [11]
La transformation de la monnaie dans le capitalisme moderne, le
passage du système monétaire de la monnaie marchandise à son
remplacement par le crédit et la monnaie de crédit sous toutes ses
formes, et bien sûr à l’échelle nationale comme à l’échelle
mondiale, c’est là un procès historique qui se déroule à ce
moment même. L’Angleterre est alors le pays le plus avancé en ce
qui concerne la transformation du système monétaire en un système
de crédit dominé par les banques privées et de plus en plus
internationales – comme elle est le pays le plus avancé de la
grande industrie et du grand commerce international. Marx étudie
notamment la formation du régime de l’étalon or, dont il a
découvert le secret : en effet, c’est un étalon sterling, la
première monnaie nationale, qui est en train d’acquérir le rôle
de la monnaie mondiale. Il voit clairement qu’à l’échelle
mondiale toutes sortes de titres anglais assument des fonctions
monétaires. Le marché financier de Londres, donc la dette publique
anglaise sous toutes ses formes, deviennent l’axe, le point central
du système financier international.
8. La rente foncière est
l’autre sujet principal des études de Marx. Depuis le début des
années soixante-dix, il s’est lancé dans des études sur
l’agriculture et l’agronomie. Pendant plus de douze ans, il a
exploré et étudié les développements de l’agriculture moderne,
de plus en plus capitaliste, même industrielle, en Russie et aux
Etats-Unis. Il élargit donc la portée de ses recherches dans le
domaine agricole. Commençant par l’étude des développements de
l’agriculture en Russie depuis les réformes des années soixante
(la libération des serfs russes), il en vient progressivement à une
série de travaux comparatifs sur les changements dans l’agriculture
des pays capitalistes les plus importants. Il étudie en outre
l’agriculture des pays colonisés comme l’Irlande ou les Indes,
et il commence ainsi à se tourner vers les pays situés en dehors et
aux marges de l’économie monde du capitalisme industriel. Il
aborde sans hésitation l’étude de l’agronomie, même de
l’agrochimie contemporaine, et il reprend ses études sur les
révolutions et les innovations technologiques récentes. C’est
dans ce cadre qu’il commence à s’intéresser sérieusement aux
développements de l’agriculture américaine, dont il avait déjà
une connaissance assez étendue depuis la Guerre Civile. Pour Marx,
les Etats-Unis et surtout les Etats du Midwest sont un exemple
fascinant : il y voit émerger l’agriculture industrielle, une
forme d’agriculture capitaliste encore plus avancée que celle de
l’Angleterre. C’était encore une révolution agricole qui était
en train de s’achever dans le monde capitaliste et qui allait
modifier la structure du marché mondial. Tout ceci en vif contraste
avec la stagnation, voire le déclin, de l’agriculture en Russie. A
partir de 1872, Marx se met à étudier sérieusement le nouveau
développement d’un capitalisme industriel et agricole en Russie.
Dès ce moment, il est convaincu qu’il y a plusieurs voies du
développement du capitalisme dans le monde, et que le modèle
classique de la « révolution industrielle », celui de
l’Angleterre, n’est valable que pour les pays de l’Europe
d’Ouest
[12]
Evidemment, quand un chercheur comme Marx arrive à une telle
conclusion, on comprend que sa conception de la théorie générale
du capitalisme moderne soit appelée à quelques transformations.
Marx en route vers la
version finale du Capital ?
9. Est-il facile ou non de
suivre, de lecture en relecture, ces milliers de pages, ces extraits,
ces notes de lectures, ces brouillons, ces collections de matériaux
divers, laissés par le dernier Marx ? Existe-t-il une
cohérence, un lien entre toutes ses études poursuivies pendant ses
dernières années et son grand travail inachevé, la critique de
l’économie politique ? Une telle lecture serait assurément
fort ennuyeuse si tous ces écrits n’étaient que des esquisses
d’œuvres manquées. Ou s’ils n’étaient que les restes d’une
gourmandise intellectuelle qui l’avait fait dévorer d’innombrables
livres. Au total, ces extraits et manuscrits sont presque aussi
volumineux que l’ensemble des cahiers d’études que Marx avait
produits auparavant. On y trouve, entre autres, la plus vaste
collection de données statistiques que Marx ait jamais compilées,
sur la Russie, les Etats-Unis et d’autres pays capitalistes.
10. A mon avis et d’après
l’expérience que j’en ai, il n’est pas ennuyeux de suivre Marx
dans ses études pendant les dernières années de sa vie. Il y a en
effet une cohérence, et l’on y repère des liens manifestes avec
le travail qu’il déploie pour rédiger et remanier ses manuscrits
prévus pour les Livres II et III. La plupart de ceux-ci, une dizaine
au total, ont été écrits au cours de ces années. Les plus longs
l’ont été entre décembre 1868 et juillet 1870 (une deuxième
version complète), puis en 1877-78 et 1880-81, ce qui nous donne une
troisième version assez complète. Marx, en effet, cherche de
nouvelles solutions à des problèmes assez connus, il s’emploie à
se corriger lui-même, à réécrire, et non seulement à relire,
Le
Capital. La chronologie peut aider. Il y a, dans la plupart des
cas, un lien temporel entre les études de Marx et ses efforts pour
rédiger ou compléter, voire souvent réécrire, ses manuscrits pour
les Livres II et III. Ces liens sont assez évidents. Marx, comme il
apparaît dans les cahiers de ses dernières années, vus dans le
contexte propre du grand projet de la critique de l’économie
politique, n’a pas changé de caractère. Il n’est pas devenu un
chercheur-gentleman cherchant n’importe quoi pour son plaisir. Il
sait parfaitement ce qu’il fait et ce qu’il cherche. Quand il
recommence ses études mathématiques dans les années 1880-82 par
exemple, il ne s’écarte pas vraiment de son sujet. Il n’est pas
satisfait de ses tentatives d’analyse des relations entre les
changements du taux de la plus-value et du taux de profit, et il veut
en trouver les « lois de mouvement »
[13]
Par conséquent, il se met à la recherche des meilleures méthodes
d’analyse et d’exposition – et il découvre le calcul
différentiel, et il commence à le pratiquer en même temps que
d’autres économistes inventent l’analyse marginale !
11. A plusieurs reprises, il se
remet à l’étude de la monnaie, des changements récents dans le
système monétaire anglais et international – et, en même temps,
il recommence à rédiger ou à réécrire les textes pour le Livre
II (en 1868-69 et en 1877-78). Bien sûr, ses recherches vont plus
loin que les sujets qui pourront être abordés dans le cadre d’une
théorie générale et faire l’objet d’un exposé systématique
au niveau de l’analyse de la circulation du capital industriel !
Une bonne raison pour ce parallélisme entre études et travaux de
rédaction tient au fait que, dans sa conception, la circulation du
capital a une double importance pour la théorie de la monnaie :
elle explique la circulation et aussi l’immobilisation de la
monnaie dans les économies capitalistes, et elle sert de base aux
formes élémentaires du crédit, lequel est un pilier du capitalisme
moderne. On trouve donc dans le dernier long manuscrit de la main de
Marx pour le Livre II – par comparaison avec le premier manuscrit
pour ce livre datant de 1864-65 – les bases d’une théorie du
crédit beaucoup plus claire et élaborée. Sans doute Marx savait-il
ce que beaucoup de marxistes ne savent pas encore – que le Livre II
serait une étape cruciale pour l’exposition systématique et
génétique de sa théorie de la monnaie moderne.
12. Il commence, en 1867-68, par
entreprendre de remanier son manuscrit du Livre III, qui datait de
1864-65. Au total, il écrit en peu de temps 11 manuscrits concernant
les catégories de profit, de taux de profit, de profit moyen, de
coût, de prix de production et de prix de marché. En outre, dans
les plus longs manuscrits, il essaie par trois fois de déterminer
les « lois » diverses du taux de profit, dans tous les
sens et selon toutes les variations possibles des facteurs
importants. A plusieurs reprises, dans les mêmes manuscrits, il
essaie de trouver des formules adéquates exprimant les « lois »
de la rente différentielle, ou de son développement à long terme.
Des « lois » nouvelles, marxiennes, bien entendu,
différentes des idées ricardiennes. Le résultat de ce travail :
une nouvelle structure d’argumentation pour la Section I du Livre
III, où Marx va dès lors commencer avec un nouveau « fait
concret » du capitalisme quotidien, les phénomènes du coût
et du profit tels que chacun des capitalistes les voit
[14]
En même temps, il commence à étudier les techniques de la
comptabilité commerciale – jusqu’aux détails des techniques
bancaires, études qu’il reprend plusieurs fois pendant les années
suivantes.
13. Peu après, dès 1870, il se
met à retravailler le texte du Livre I – en plusieurs fois, pour
la deuxième édition allemande de 1872, et surtout pour la
traduction française qui devient une véritable édition française,
publié en fascicules en 1872-75. Marx estimait beaucoup cette
édition dont il avait rédigé et réécrit lui-même un grand
nombre de passages, et il lui accordait une valeur scientifique
propre. Pour lui et selon ses propres instructions, la version
française devait être la base de toutes les futures éditions du
Livre I du
Capital [15]
On peut donc supposer que, depuis 1873, Marx songeait à une nouvelle
version du
Capital, version dont il avait déjà produit
quelques éléments. Mais le tournant décisif pour le succès de
toute son œuvre serait, dès lors, la publication du tome II (avec
les Livres II et III) du
Capital.
14. Par la suite, il rédige
plusieurs manuscrits pour le Livre II. Ce sont au total huit
manuscrits, dont les plus long et les plus élaborés, comme le
manuscrit VIII, écrit par Marx en 1880-81, serviront à Engels de
texte de base pour son édition du Livre II après la mort de Marx.
Il y présente ses propres tableaux économiques – non pas pour la
première fois, mais sous une forme plus élégante –, en utilisant
les formules algébriques bien connues. Il n’achève pas, et ses
tableaux économiques resteront inachevés. Mais cette analyse du
procès total de la circulation et de la reproduction, y compris
l’accumulation du capital social, est en général considéré,
surtout parmi les économistes, comme l’une de ses plus belles
performances. Ne l’oublions pas, c’est le « vieux »
Marx, qui réussit cet exploit, en 1880-81. Et il existe, une fois de
plus, un lien temporel avec d’autres travaux et études. Trois ans
avant, en 1877, il a écrit un chapitre sur l’histoire de
l’économie politique, pour aider Engels dans sa polémique contre
Dühring. Dans ce cadre, il reprend l’étude des tableaux
économiques de Quesnay dans leurs différentes versions. Et son
chapitre pour l’Anti-Dühring donne en effet une
explication détaillée des tableaux physiocratiques. On peut
supposer que c’est là le moment où il abandonne sa première
version d’un tableau économique – celle qui se trouve dans le
manuscrit de 1861-63 – et commence à réfléchir sérieusement à
la forme adéquate d’exposition pour sa propre analyse de la
circulation et reproduction du capital social total.
15. Pour le Livre III, Marx
écrit plusieurs manuscrits entre 1871 et 1882. Ces textes ont été
publiés pour la première fois en 2003, dans le tome II/14 de la
MEGA. Ce sont des brouillons sur les sujets des premiers chapitres de
ce livre – les catégories de profit, de taux de profit et de coût
de production –, qui ressemblent fort à des exercices
mathématiques. Marx, comme on le voit dans ces brouillons, recherche
encore les relations logiques – en forme de « loi générale »
– entre le taux de la plus-value et le taux de profit. Il existe
des liens entre ces manuscrits et les études d’économie politique
qu’il continue en même temps. Bien sûr, il analyse diverses
combinaisons (des co-variations des facteurs déterminants du taux de
profit) logiquement possibles ou imaginables. Mais il veut aussi
trouver des combinaisons qui auraient eu un certain sens économique
– et il se met à la recherche de ces combinaisons dans l’histoire
et les développements contemporains du capitalisme industriel et
agricole dans plusieurs parties du monde. Il semble qu’il ait
envisagé tout un chapitre final pour la première section du Livre
III – semblable à celui qui présentait les « lois »
du taux de la plus-value, le chapitre XVII du Livre I. Auteur d’un
projet scientifique assez ambitieux, il se met en même temps à la
recherche des faits et des données historiques et statistiques
portant sur le développement des taux d’intérêt et le
développement des taux des rentes foncières.
Problèmes et découvertes
16. Les manuscrits
du
Capital que Marx a laissés posent des problèmes
qui n’ont pas été traités d’une manière satisfaisante. Y
compris concernant l’exposition d’une théorie systématique et
générale, mais historisée en même temps
[16]
Néanmoins, les études et les notes de lecture de sa dernière
période nous donnent des indications : il semble que Marx ait
été parfaitement conscient de ces problèmes, et même qu’il se
soit mis sérieusement à la recherche de solutions plus solides que
celles trouvées jusque-là.
17. Prenons un exemple. En
1864-65 Marx se vantait auprès de ses amis, surtout d’Engels,
d’avoir trouvé une solution scientifiquement solide au vieux
problème de la rente foncière absolue, une énigme que les
économistes classiques n’avaient jamais su résoudre. Sa solution
est la suivante : l’agriculture en général, tous les
agriculteurs d’une économie capitaliste, emploient plus de capital
variable et plus de maind’œuvre par rapport au capital constant
que la moyenne de l’ensemble de l’économie. C’est pourquoi ils
produisent plus de plus-value par rapport au capital employé que la
moyenne du capital social total. En outre, en bloquant la
concurrence, donc l’accès à l’agriculture pour d’autres
producteurs / agriculteurs potentiels, les propriétaires et les
agriculteurs capitalistes dans ce secteur parviennent à garder au
moins une partie de cette plus-value élevée. C’est pourquoi tous
les propriétaires et une grande partie des agriculteurs reçoivent
non seulement des rentes différentielles, mais aussi une rente
foncière absolue.
18. Marx était satisfait de
cette solution. Mais à partir du moment où il commence à étudier
le développement de l’agriculture aux Etats-Unis (à partir de
1872), il s’aperçoit que sa solution n’était pas aussi solide
qu’il l’avait cru. Il constate en effet sur le cas des
Etats-Unis, à partir d’une étude détaillée, l’existence d’une
agriculture en plein changement : une agriculture encore
primitive, de subsistance, se transforme sous ses yeux en une
agriculture industrialisée, mécanisée, organisée selon le modèle
propre de l’usine. Il observe ainsi l’émergence d’une
agriculture capitaliste, où la composition organique du capital
employé croît rapidement et ne cesse de croître. Il lui est donc
facile d’imaginer une agriculture capitaliste parfaitement
développée, dans laquelle la composition organique du capital
serait aussi élevée ou même plus élevée que le moyenne du
capital social total. Dans ce cas, la base pour la rente foncière
absolue en termes de production de plus-value aurait disparu.
19. Dans ce contexte, Marx
observe et analyse une agriculture dans laquelle la concurrence ne
s’arrête jamais. Simplement parce que la transformation des terres
en marchandise, la commercialisation de la propriété foncière y
est beaucoup plus avancée que partout en Europe. Que fait alors
notre auteur ? Il voit clairement que sa solution au problème
de la rente foncière absolue n’était pas valable comme solution
générale. C’était une analyse et une solution bonnes pour une
certaine période, mais elle ne vaut pas partout dans le monde
capitaliste ni pour toute l’époque du capitalisme moderne. C’était
une vérité historique, transitoire, et vite dépassée par le
développement du capitalisme agricole. Marx a déjà compris qu’il
n’y avait pas de base scientifique pour les thèses ricardiennes
sur le progrès et la régression de l’agriculture. Il se met donc
à étudier, pendant de longues années, l’agronomie moderne et
même les bases de l’agrochimie. Le développement de la
technologie agricole est le moment décisif et subversif qui va
renverser tous les facteurs et tous les faits « naturels »
et immuables dans l’agriculture. La découverte de la nouvelle
technologie de transmission de l’électricité à longue distance
ajoute un élément nouveau : une partie de la rente dite « de
situation » disparaîtra par conséquent au fur et à mesure
qu’elle aura été partout introduite. À condition que la
concurrence entre capitalistes et propriétaires soit libre – et la
marchandisation des terres soit complète. En 1881, après des années
d’études, Marx a désormais en mains tous les ingrédients pour
une nouvelle approche de l’analyse de l’agriculture tournée vers
l’agro-industrie à grande échelle dans le capitalisme moderne.
20. S’agissant de la nouvelle
solution qui aurait été celle de Marx après sa découverte de
l’agriculture capitaliste et industrialisée aux Etats-Unis, je ne
vois qu’une seule orientation possible : elle aurait été
beaucoup plus historisée que celle que nous connaissons du manuscrit
de 1864-65. Je pense donc également que les études de Marx sur
l’agriculture en Russie lui auraient servi pour la rédaction du
texte du Livre III. Dans la version finale du
Capital,
comme on peut l’imaginer, les Etats-Unis auraient probablement
occupé la place du pays capitaliste modèle pour l’agriculture au
XIXe siècle, pendant que la Russie aurait servi de
contre-exemple
[17]
Le cas d’une agriculture liée aux marchés, et même au marché
mondial, mais sans les formes industrielles et sans les formes de
propriété foncière spécifiques convenables pour le capitalisme
moderne. Tout ceci concorderait avec l’approche générale de
Marx : il y a des conditions préalables à chacun des rapports
économiques du capitalisme proprement dit, conditions qui ne sont
pas nées du capitalisme, mais qui le précèdent – comme l’argent
et la marchandise, comme le commerce (et même le commerce
international), comme l’existence d’une classe de travailleurs
et, son pendant logique et historique, l’institution de la
propriété foncière déjà dans sa forme moderne, dépouillée de
toutes sortes de droits d’usage communs (commons). Toutes ces
conditions seront transformées dans le cadre du capitalisme moderne,
la monnaie comme la marchandise, le travailleur comme la propriété
foncière. Par conséquent, la théorie générale du capitalisme de
Marx est une théorie historisante en deux directions : vers la
préhistoire du capitalisme (qui fait partie de son histoire
contemporaine à l’échelle mondiale) et vers l’histoire propre
du capitalisme, les différentes voies de développement du
capitalisme et ses grandes tendances historiques, que les fameuses
« lois tendancielles » devraient éclairer.
Les années 1868-1882,
encore une étape dans l’itinéraire intellectuel de Marx
21. Quand notre auteur décède,
en mars 1883, il n’a pas achevé le travail consistant à faire et
refaire
Le Capital. Il nous a tout de même laissé une
pile d’études et de manuscrits d’une hauteur remarquable. En ce
qui concerne le Livre I, il a laissé une liste de modifications,
commencée en 1877 – surtout en vue transférer des passages de
l’édition française de 1872-75 dans la troisième édition
allemande, déjà en préparation et parue effectivement en 1883
[18].
En outre, il avait l’intention de remanier le Livre I beaucoup plus
profondément, comme il l’avait signalé à Daniel’son en 1881
[19].
Ce qui voulait dire, dans le contexte et vu l’état de ses travaux,
le reprendre après la publication des Livres II et III. Et, bien
sûr, à la lumière de tout ce qu’il voulait y mettre dans leurs
versions finales, prêts pour la publication. En ce qui concerne le
Livre II, il a laissé un paquet de manuscrits (dix au total, dont 9
datent de la période 1868-1881), dont deux versions plus ou moins
complètes du texte intégral (d’autres ne concernant que quelques
passages ou chapitres). Plus une grande quantité de cahiers de notes
et extraits qu’il avait commencés à retravailler dès 1877-78. En
ce qui concerne le Livre III, il n’y a qu’une dizaine de
manuscrits, écrits entre 1868 et 1881, dont la plupart ne sont que
des brouillons assez courts et dont le plus long fait 132 pages –
tous traitant de la relation entre le taux de la plus-value et le
taux de profit. Ce sont donc des manuscrits de recherche, et non de
rédaction, pour la première partie du Livre III. La grande majorité
de ses autres écrits datant de cette période sont des extraits, des
notes de lecture, des découpages, des collections de matériaux
statistiques. Ils présentent néanmoins des rapports assez clairs
avec plusieurs sections du Livre III, surtout avec la fameuse Section
V, qui traite de l’intérêt, du crédit, du capital bancaire et de
la monnaie de crédit, et la Section VI, consacrée à la rente
foncière.
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Michael Krätke
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22. On peut reprendre ici le jeu
de Raymond Aron : si j’étais marxiste, que ferais-je de tout
cela ? Ou mieux, si j’étais Marx en 1883, et si j’étais
encore en bonne santé, avec tous mes papiers sous la main, toutes
les études faites, que ferais-je du
Capital ? C’est
là pure spéculation, mais il y a dans les manuscrits laissés par
Marx suffisamment de repères pour se faire une idée de la direction
qu’il aurait donnée à ses travaux s’il avait eu la chance de
vivre encore quelques années en bonne santé.
Le Capital,
refait et achevé par Marx, serait devenu un livre encore plus riche
que celui que nous connaissons. Il aurait comporté beaucoup moins de
« lois générales » et beaucoup plus de réserves en ce
qui concerne leur validité. Il y aurait beaucoup plus de causalités
bien spécifiques, soit selon des « milieux nationaux »
(ou le type dominant du capitalisme), soit selon des « milieux
historiques » différents dont surgissaient des formes
différentes de capitalisme industriel, agricole et commercial. Il y
aurait beaucoup plus d’explications en termes de développement du
capitalisme envisagé selon les différents types de durée et aussi
en termes de « modifications » nécessaires, soit des
tendances générales, soit des formes élémentaires.
Le
Capital serait donc devenu un livre beaucoup plus historisé,
mais non purement historique ni encore moins historiciste. Un livre
comportant des parties d’histoire raisonnée du capitalisme
moderne, exposant encore plus ses changements structurels – en ce
qui concerne le régime monétaire, les formes de la rente foncière,
les formes de propriété et de gestion du capital, etc.
23. Certes, Marx n’aurait pas
renoncé à sa méthode « génétique » de
« développement » des catégories. Mais, au cours du
travail poursuivi sur ses quinze dernières années, il n’a pas
manqué de percevoir de plus en plus clairement les « limites
de la méthode dialectique ». En 1882, il avait à sa
disposition un vaste ensemble de connaissances empiriques et
théoriques. On peut supposer qu’il aurait mis à profit ses
connaissances et capacités analytiques pour conférer aux catégories
de sa théorie générale une dimension plus « historique ».
Son argumentation se serait modifiée et serait devenue plus complexe
et plus compliquée qu’auparavant. Mais Le Capital n’a
jamais été un livre facile à lire.
Notes
[1]
Dans
ces deux cas, le nom du co-auteur, Marx, n’était pas
mentionné. Cf.
les textes dans MEGA I/27, pp. 411-425 et les textes de Marx
préparatoires à ce chapitre, pp. 131-216 ; MEGA II/8,
pp. 733-787.
[2]
Dans sa correspondance privée, il fait quelques remarques qui
peuvent expliquer sa réserve envers ces débats. Voir par exemple sa
lettre à Engels du 4 décembre 1882, où il se réfère à une
discussion sur sa théorie de la valeur dans le journal
italien Plebe :
Tout le monde racontait des bêtises ! (MEW 35, p. 123).
[3]
Cf.
les deux lettres de Marx à Daniel’son du 13 juin 1871 et du 13
décembre 1881 (MEW 33, p. 321 et MEW 35, p. 246).
[4]
Les notes de lecture sur Adolph Wagner datent du printemps de 1881,
son dernier manuscrit pour le Livre II date de l’été 1881.
[5]
Une partie de ce manuscrit de recherche, les digressions de Marx sur
l’histoire de l’économie politique, avec assez souvent de
longues critiques détaillées des écrits des grands économistes
classiques, surtout de Adam Smith et de Ricardo, ont été publié
par Kautsky en trois tomes (1905-1910) sous le titre Theorien
über den Mehrwert [Théories
sur la plus-value, paru en trois
tomes aux Editions sociales, 1974-1976, Ndlr]. Il fallut attendre
jusqu’en 1983 pour voir publié, dans la nouvelle MEGA (voir MEGA
II/3 en six tomes), l’ensemble du manuscrit dans sa forme
originelle.
[6]
En ce qui concerne la structure du livre, les plus grands changements
concernent le Livre I. Quant aux ajouts, les plus importants se
trouvent dans la Section III du Livre II et dans la Section I du
Livre III.
[7]
En effet, Marx n’a jamais complètement renoncé au plan des 6
livres. Bien sûr, il modifie la structure de l’ouvrage,
abandonnant la dichotomie hégélienne du capital en
général versus les
capitaux individuels comme principe d’organisation de l’œuvre.
Par conséquent, il réarrange la structure d’exposition
du Capital.
Entre 1863 et 1882, il prend conscience de la portée et des limites
de sa théorie générale du capitalisme. Quant aux questions
étudiées au Livre III, comme le crédit, le commerce, la rente
foncière, il ne leur a pas trouvé de solution définitive et
satisfaisante. Il a sans doute décidé d’élargir sa présentation
du livre sur le capital, auquel le plan original laissait une place
réduite. Par exemple, la catégorie du marché mondial est
manifestement déjà présente dans le Livre I – tout comme le
passage sur la monnaie mondiale (ou universelle) – au chapitre 3 ;
voir aussi un chapitre entier sur les « Différences dans les
taux des salaires nationaux », chapitre 22 du Livre I.
[8]
Cf.
Raymond Aron, Le
Marxisme de Marx, Paris 2002,
p. 390.
[9]
Ces notes de lecture et extraits de 1868-69 et de 1878-79 se trouvent
dans le IISG, Amsterdam, dans le Marx-Engels-Nachlass (MEN)
sous les sigles B 102, B 101, B 105, B 106, P1, P2, P3 et B 140, B
141, B 147, B 151, B 154. Le premier grand cahier de Marx sur la
monnaie et le crédit (Geldwesen,
Kredit, Krisen), va de novembre
1854 jusqu’à janvier 1857. Cf.
IISG, MEN, sigle B 79.
[10]
Ces cahiers se trouvent dans le IISG, Amsterdam, MEN, sigle B 132, B
141, B 132b, B 134, B 144, B 135, B 137, B 138. Tous ces cahiers
seront publiés dans la section IV de la MEGA.
[11]
Vers la fin de ce chapitre, la monnaie de crédit dans sa forme la
plus élémentaire apparaît et les futurs développements du système
monétaire sont déjà annoncés. Pour tous ceux qui savent encore
lire, il est bien clair dès le début que la théorie de la monnaie
de Marx n’est pas une théorie métalliste ou réduite à la forme
de la monnaie marchandise, mais une théorie du système monétaire
moderne, comme il surgit avec le capitalisme moderne, tournant autour
du système bancaire et des marchés financiers.
[12]
Ce que Marx admet expressis
verbis. Dès 1872, il se défend
contre l’interprétation de sa critique de la légende de
l’accumulation primitive, chère aux économistes classiques, qui
en fait une formule générale résultant d’une philosophie de
l’histoire. Malheureusement, il ne protesta pas en public, mais
dans quelques lettres privées qui devaient rester inconnues
longtemps après sa mort.
[13]
Comme il le dit lui-même dans son manuscrit de 1875 : les lois
du taux de profit sont des « lois de mouvement », de la
variation de ce taux en relation avec la variation d’une série de
facteurs déterminants (cf.
MEGA II/14, pp. 128-29).
[14]
Ces onze manuscrits de 1867-68 seront bientôt publiés dans le tome
II/4.3 de la MEGA.
[15]
La version française est riche en modifications, ajouts, extensions
du texte allemand original dont la plupart portent sur les questions
traitées aux livres suivants du Capital,
mais déjà attendues par ses amis et partisans. Par exemple, Marx y
annonçait pour la première fois qu’il expliquerait les relations
quantitatives entre taux de plus-value et taux de profit et les
relations entre prix et valeurs. En effet, en rédigeant et
réécrivant cette version du Livre I en français, Marx songe aux
problèmes des Livre II (et III).
[16]
Surtout les parties ou passages d’histoire raisonnée qui se
trouvent presque partout dans Le
Capital, y compris dans les
premiers chapitres du Livre I. Certains, et assez souvent des
économistes, les prennent pour des « illustrations » que
l’on pourrait négliger facilement. C’est une grave erreur. Pour
Marx, ce sont des éléments constitutifs et indispensables de son
exposition ; des éléments qui indiquent en même temps les
limites de la méthode dialectique et les ouvertures vers la théorie
politique, et même vers la théorie de l’Etat. Cf.
sur les liens entre l’histoire, l’histoire raisonnée et la
théorie générale du capitalisme chez Marx, Michael R. Krätke,
Kapitalismus als Weltsystem. Allgemeine Gesetze und die Vielfalt der
Kapitalismen, Beiträge
zur Marx-Engels-Forschung, NF 2004.
[17]
Dans les notes qu’il ajoute pour la deuxième édition du Livre I
en 1872, Marx annonçe qu’il traitera de la révolution agricole en
Irlande, imposée par la puissance de l’Empire Britannique en même
temps que des changements dans le capitalisme agricole anglais (voir
MEGA II/6, pp. 643,695). La révolution agricole industrielle
aux Etats-Unis et la révolution industrielle en Russie, elle aussi
dirigée et poussée en avant par l’Etat, s’inscriraient fort
bien dans ce contexte de l’histoire contemporaine du capitalisme.
[18]
Voir MEGA II/8, pp. 5-36.
[19]
Voir la lettre de Marx à Daniel’son de 13 décembre 1881 (MEW 35,
p. 246)