Pour Karl Marx, "la
plus-value est le symbole de l'exploitation du travailleur par le
capitaliste." 1
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Foto: John Francis Bray |
Aimé Fay | Marx précise : "La plus-value,
c'est-à-dire cette partie de la valeur totale de la marchandise où est
incorporé le surtravail, le travail impayé de l'ouvrier, voilà ce que j'appelle
le Profit." 2 "Il [le capitaliste] fera donc travailler le
fileur [l'ouvrier], mettons douze heures par jour. En outre et en sus des six
heures qu'il faut pour produire son salaire ou la valeur de sa force, l'ouvrier
aura donc à travailler six autres heures que j'appellerai heures de surtravail,
lequel surtravail se réalisera en une plus-value et en un
surproduit." 3. "L'ouvrier a donc travaillé une moitié du jour
pour lui-même et l'autre pour le capitaliste." 4
L'idée que l'ouvrier travaille une unité de temps (12
heures dans l'exemple de Marx) et ne reçoit que la moitié en salaire, n'est
pas de Karl Marx. Le lecteur acharné que Marx était, a tout simplement
"emprunté" cette idée à John Francis Bray (1809-1895), chartiste et
socialiste américain. Marx
avait 21 ans quand Bray écrit, en 1839 : "The workmen have given the capitalist the labour of a
whole year, in exchange for the value of only half a year, […]. 5.
Bray parle même de "vol éhonté,
mais juridiquement légal." 6
Bray est
aujourd'hui un illustre inconnu. Marx doit pourtant une grande partie de sa
renommée mondiale au traitement de la plus-value (ou survaleur), c'est-à-dire
du profit… qu'il a "emprunté" à Bray. Plus-value, thèse centrale du
célèbre ouvrage marxiste : Le
Capital (livre I, 1867).
Quoi qu'il
en soit, Bray et Marx pensaient que la totalité de la plus-value, c'est-à-dire
des gains réalisés par l'entreprise, devait aller à l'ouvrier, c'est-à-dire au
prolétariat. Mais, aucun d'eux n'a expliqué comment le capitaliste
entrepreneur (terme de Marx) 7 se "rémunère du risque qu'il a
pris en mettant ses propres capitaux, son argent… ses économies, pour créer son
entreprise. De même, comment cet entrepreneur capitaliste rémunère les
épargnants qui lui ont fait confiance et prêté des capitaux pour développer
l'entreprise et créer des emplois. Pas non plus comment, des capitaux sont
dégagés pour faire de la recherche et développement, de l'innovation, etc. Pas
non plus comment, l'entreprise met en réserve des fonds pour renouveler son
outil de production [ses équipements] devenu obsolète au bout de quelques
années et devant impérativement être remplacé par des machines plus modernes…
pour rester compétitif." 8 ou tout simplement pérenne.
Marx, immense lecteur d'Adam Smith (1723-1790) et de
beaucoup d'autres − comme sûrement Bray l'a aussi
été −, aurait-il, avec Bray, mal interprété Smith à propos du revenu
du travail. Smith écrivait : "Dans l'état initial qui précède
l'appropriation de la terre et l'accumulation du capital, la totalité du
produit du travail appartient au travailleur. Il n'a ni propriétaire ni maître
avec qui partager." 9. Smith évoquait ici la terre sauvage, libre de
tout droit… avant l'avènement du droit de propriété.
Lénine (Vladimir Ilitch Oulianov, 1870-1924) écrivait en
mars 1913, reprenant Marx (et Bray) : "L'ouvrier emploie une partie
de la journée de travail à couvrir les frais de son entretien et de celui de sa
famille (le salaire) ; l'autre partie, à travailler gratuitement, en
créant pour le capitaliste la plus-value, source de profit, source de richesse
pour la classe capitaliste. La théorie de la plus-value constitue la pierre
angulaire de la théorie économique de Marx." 10
Aujourd'hui,
certaines personnes pensent encore que Bray et ses copieurs Marx, Lénine… ont
raison. C'est-à-dire que les salariés doivent avoir 100% de la
plus-value et qu'il convient de ne rien laisser à celui (ou ceux) qui a créé
l'entreprise qui les emploie. D'autres,
désormais beaucoup plus nombreux − ceux qui ont accepté l'économie de
marché − se demandent comment l'idée d'un inconnu, John Francis
Bray, a pu être prise pour argent comptant par des millions de personnes
durant des décennies ?
Ébauche
d'une réponse : enseigner le B.A.-BA de l'économie dès le collège, pour
apprendre aux enfants qu'une entreprise du secteur marchand, qui ne fait pas de
profit (la plus-value selon Bray, Marx… Lénine) ne peut pas créer d'emplois,
car elle ne trouvera personne pour mettre de l'argent dans sa structure
[capital social] ou bien le lui prêter pour qu'elle investisse, qu'elle innove…
ou simplement puisse faire face à ses creux de trésorerie, notamment en fin de
mois, pour payer ses salariés.
Notes
1. Dans : Le
capital en quelques mots, de Platon à nos jours (L'Harmattan, Paris,
2015), p. 181.
2. Karl Marx
(1818-1883) : Salaires, prix et
profits, chap. XI : les différentes parties… la plus-value,
p. 67.
3. Id. Chap. VIII : la production de la plus-value,
p. 60.
4. Karl Marx : Le capital,
livre I, 3ème section, chap. IX : le taux de la plus-value,
p. 168.
5. in : Labour's Wrongs and
Labour's Remedy (published by David Green, Briggate, Leeds, 1839), p.
48.
6. Id. "a barefaced though legal robbery", p. 50.
7. Le Capital (livre I,
section V à VIII), 7ème section : accumulation du capital,
introduction, p. 47.
8. Le capital en quelques
mots, de Platon à nos jours (L'Harmattan, Paris, 2015), p. 181.
9. Recherche sur la nature et les
causes de la richesse des nations (1776), Livre 1, Chap. 8 :
Le salaire du travail, p. 73, ligne 3 à 5. Texte original (The wealth of nations) :
"In that original state of things
which precedes both the appropriation of land and the accumulation of stock,
the whole produce of labour belongs to the labourer. He has neither landlord
nor master to share with him."
10. Les trois sources et les trois
parties constitutives du marxisme (1913), chap. I, p. 8.