"No hay porvenir sin Marx. Sin la memoria y sin la herencia de Marx: en todo caso de un cierto Marx: de su genio, de al menos uno de sus espíritus. Pues ésta será nuestra hipótesis o más bien nuestra toma de partido: hay más de uno, debe haber más de uno." — Jacques Derrida

"Los hombres hacen su propia historia, pero no la hacen a su libre arbitrio, bajo circunstancias elegidas por ellos mismos, sino bajo aquellas circunstancias con que se encuentran directamente, que existen y les han sido legadas por el pasado. La tradición de todas las generaciones muertas oprime como una pesadilla el cerebro de los vivos. Y cuando éstos aparentan dedicarse precisamente a transformarse y a transformar las cosas, a crear algo nunca visto, en estas épocas de crisis revolucionaria es precisamente cuando conjuran temerosos en su auxilio los espíritus del pasado, toman prestados sus nombres, sus consignas de guerra, su ropaje, para, con este disfraz de vejez venerable y este lenguaje prestado, representar la nueva escena de la historia universal" Karl Marx

4/6/15

Marx, le marxisme et les historiens de la Révolution française au XXe siècle

La Toma de la Bastilla ✆ H. P. Perrault
Julien Louvrier   |   L’auteur adopte une démarche résolument diachronique 1. Partant des analyses de Marx lui-même sur la Révolution française, il montre combien les écrits de Marx, souvent associé à Engels sur la question, sont toujours précisément contextualisés et liés à la recherche de compréhension du moment présent. C’est l’Histoire socialiste de Jean Jaurès qui, la première, donne une lecture globale des événements révolutionnaires qui prend appui sur la grille d’interprétation proposée par Marx. Une forme de banalisation de cette lecture se fait ensuite à travers le développement de l’histoire économique et sociale par des historiens qui, sans lire beaucoup Marx, gardent de sa pensée l’idée de l’importance déterminante des réalités économiques. Dans le contexte de la Guerre froide, cette interprétation « sociale » de la Révolution est vigoureusement attaquée et condamnée comme expression d’un marxisme réducteur. La remise en cause débouche sur des lectures qui privilégient le politique, mais s’ouvrent à nouveau depuis quelques années à des recherches qui posent la question des appartenances sociales.

2. Avant toute chose, une banalité : ce n’est pas dans le champ historique que les écrits de Marx ont connu leurs premières répercussions. A vrai dire, avant d’intéresser les historiens et de pénétrer peu à peu l’historiographie révolutionnaire à partir de la fin du xixe siècle, la pensée-Marx 3a d’abord et principalement occupé le terrain philosophique, la sphère politique et le débat idéologique. 

A ce titre, qu’elle s’applique à la Révolution française spécifiquement, à la critique de la philosophie hégélienne ou à l’analyse des conflits de classe dans les société modernes et contemporaines, la pensée-Marx a eu, dès ses premières formulations, des adversaires résolus. Bien qu’elles ne soient pas sans rapport, il serait toutefois trop rapide de vouloir rapprocher les réserves émises au sujet du marxisme des historiens de la Révolution française des critiques lancées à Marx par ses contemporains. Ces réserves sont en effet liées davantage à l’instrumentalisation dont l’œuvre marxienne a fait l’objet au xxe siècle à travers la Révolution russe et l’expérience soviétique qu’aux débats philosophiques qui agitaient la gauche intellectuelle dans les années 1848-1870. Faut-il rappeler que Lénine voyait dans le marxisme « un guide pour l’action révolutionnaire » et que l’Union soviétique de Staline fit des théories marxistes une doctrine d’État qu’elle érigea au rang de science ? Ces circonstances expliquent naturellement qu’aient été mises en doute des lectures de la Révolution française se réclamant d’un marxisme rigoureux et que certains historiens se soient interrogés sur l’opportunité d’accorder aux vues du philosophe allemand une autorité scientifique incontestable, en particulier quand il s’agissait d’interpréter les révolutions 4. Cependant, ultime paradoxe, peu d’historiens de la Révolution française présentés comme « marxistes » ont revendiqué pour eux-mêmes l’étiquette d’« historiens marxistes ». Au contraire, de Georges Lefebvre à Michel Vovelle, en passant par Albert Soboul, tous ont, à des degrés divers, affirmé leur attachement à une « méthode marxiste » davantage qu’à la philosophie de l’histoire élaborée par Marx et connue sous le nom de « matérialisme dialectique »5. On peut dire que ces historiens, qui ont tous puissamment contribué à l’approfondissement et au renouvellement de nos connaissances historiques sur la Révolution, ont manifesté plus d’attachement à l’esprit de l’œuvre qu’à la lettre. Ce parti pris vis-à-vis de Marx doit se comprendre comme le désir de se tenir à distance de la vulgate marxiste-léniniste – telle qu’elle était alors professée dans les Républiques socialistes voire dans les écoles des partis communistes occidentaux – tout en revendiquant le droit pour l’historien de la Révolution française de s’inspirer des travaux du philosophe en lui empruntant théories et concepts.

3. Avant toute chose, une banalité : ce n’est pas dans le champ historique que les écrits de Marx ont connu leurs premières répercussions. A vrai dire, avant d’intéresser les historiens et de pénétrer peu à peu l’historiographie révolutionnaire à partir de la fin du xixe siècle, la pensée-Marx 3a d’abord et principalement occupé le terrain philosophique, la sphère politique et le débat idéologique. A ce titre, qu’elle s’applique à la Révolution française spécifiquement, à la critique de la philosophie hégélienne ou à l’analyse des conflits de classe dans les société modernes et contemporaines, la pensée-Marx a eu, dès ses premières formulations, des adversaires résolus. Bien qu’elles ne soient pas sans rapport, il serait toutefois trop rapide de vouloir rapprocher les réserves émises au sujet du marxisme des historiens de la Révolution française des critiques lancées à Marx par ses contemporains. Ces réserves sont en effet liées davantage à l’instrumentalisation dont l’œuvre marxienne a fait l’objet au xxe siècle à travers la Révolution russe et l’expérience soviétique qu’aux débats philosophiques qui agitaient la gauche intellectuelle dans les années 1848-1870. Faut-il rappeler que Lénine voyait dans le marxisme « un guide pour l’action révolutionnaire » et que l’Union soviétique de Staline fit des théories marxistes une doctrine d’État qu’elle érigea au rang de science ? Ces circonstances expliquent naturellement qu’aient été mises en doute des lectures de la Révolution française se réclamant d’un marxisme rigoureux et que certains historiens se soient interrogés sur l’opportunité d’accorder aux vues du philosophe allemand une autorité scientifique incontestable, en particulier quand il s’agissait d’interpréter les révolutions 4. Cependant, ultime paradoxe, peu d’historiens de la Révolution française présentés comme « marxistes » ont revendiqué pour eux-mêmes l’étiquette d’« historiens marxistes ». Au contraire, de Georges Lefebvre à Michel Vovelle, en passant par Albert Soboul, tous ont, à des degrés divers, affirmé leur attachement à une « méthode marxiste » davantage qu’à la philosophie de l’histoire élaborée par Marx et connue sous le nom de « matérialisme dialectique »5. On peut dire que ces historiens, qui ont tous puissamment contribué à l’approfondissement et au renouvellement de nos connaissances historiques sur la Révolution, ont manifesté plus d’attachement à l’esprit de l’œuvre qu’à la lettre. Ce parti pris vis-à-vis de Marx doit se comprendre comme le désir de se tenir à distance de la vulgate marxiste-léniniste – telle qu’elle était alors professée dans les Républiques socialistes voire dans les écoles des partis communistes occidentaux – tout en revendiquant le droit pour l’historien de la Révolution française de s’inspirer des travaux du philosophe en lui empruntant théories et concepts.
Marx et la Révolution française
4. Qu’ils aient fréquenté assidûment son œuvre ou qu’ils s’en soient simplement inspirés, les historiens de la Révolution française ont retenu de Marx l’interprétation suivante : d’une part, et fort classiquement, la Révolution est le résultat de la montée séculaire d’un groupe social, la bourgeoisie. Au cours des xviie et xviiie siècles, la bourgeoisie a pris une place prépondérante dans les activités économiques – proto-industrie, commerce colonial, crédit, rachat de seigneurie – et s’est enrichie jusqu’à pouvoir acquérir des offices et prétendre marier ses enfants à une noblesse en prise à des difficultés financières chroniques. Mais son ascension s’est trouvée entravée par l’inégalité juridique et le privilège nobiliaire qui étaient les fondements principiels de la société d’Ancien Régime. La Révolution française est née ainsi du contraste entre la puissance économique de la classe bourgeoise et son exclusion de la vie politique. D’autre part, la Révolution correspond au moment de transition qui permet à la société française de passer d’un mode de production dit « féodal » au mode de production « capitaliste ». Elle apparaît donc comme une sorte d’ajustement, de mise en correspondance des rapports de production avec le niveau atteint par les forces productives. Dit autrement, l’exigence de développement des forces productives entraînées par la poussée du capitalisme exigeait le renversement des rapports sociaux caractéristiques de l’Ancien Régime. La Révolution a accompli cette tâche. D’où la formule du Manifeste du Parti communiste (1848) restée célèbre malgré son déterminisme : « Ces chaînes devaient être brisées, elles furent brisées. »

5. Cette présentation succincte de l’interprétation « marxiste » du phénomène révolutionnaire n’est pas exempte de schématisme. Elle ignore les longues réflexions sur le rôle des idées et le statut du politique qui occupèrent pourtant l’esprit du philosophe, notamment dans ses années de jeunesse. Néanmoins, elle met en évidence les principaux facteurs sur lesquels Marx fait reposer sa compréhension du phénomène révolutionnaire. Ces facteurs sont caractéristiques d’une explication matérialiste, c’est-à-dire d’une explication qui accorde aux choses, au monde réel, par opposition aux idées ou aux représentations, un rôle déterminant dans le développement historique. Il existait dès la Révolution, dans les écrits de la bourgeoisie révolutionnaire, un matérialisme rudimentaire dont l’expression lucide par quelques grands acteurs n’a pas été sans conséquence sur le matérialisme de Marx. Comment ne pas voir dans la célèbre brochure de l’abbé Sieyès Qu’est-ce que le Tiers-état ? une vision claire du mouvement de la bourgeoisie et une conscience affirmée de ses objectifs : « Qu’est-ce que le tiers-état ? Tout. Qu’a-t‑il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien. Que demande t-il ? A y devenir quelque chose. » La remarque est également valable pour L’Introduction à la Révolution française 6de Barnave, un texte que Jaurès considérait comme la première interprétation matérialiste de l’histoire de la Révolution. Avocat, ancien député du Tiers à l’Assemblée constituante, partisan d’une monarchie constitutionnelle, Barnave y propose une interprétation générale des débuts de la Révolution. Il démontre que loin d’avoir été ensevelie sous un idéalisme dont elle n’aurait su se départir, la bourgeoisie révolutionnaire eut conscience, dès les premiers instants de la Révolution, du mouvement économique qui déterminait sa victoire. Si les représentants les plus éminents de la bourgeoisievoyaient eux-mêmes le développement économique comme l’origine véritable de la dynamiquerévolutionnaire, Marx n’a donc pas tout inventé. En réalité, sa pensée, toujoursenmouvement, est le résultat d’une longue évolution au cours de laquelle la place et l’analyse de la Révolution ne cessent d’être questionnées au sein d’une réflexion théorique qui s’inscrit entièrement dans les problèmes politiques de son temps.
Le jeune Marx, critique de la philosophie hégélienne de l’État
6. Au début des années 1840, comme tous les « jeunes hégéliens », Marx observe avec dépit le contraste frappant entre le sort de la France, une France qui a réussi sa Révolution en 1789 et l’a montré une nouvelle fois en 1830, et celui du peuple allemand, incapable de faire son entrée dans la modernité, paralysé et impuissant face à un État prussien conservateur dont le souverain refuse toute constitution. Les jeunes philosophes qui déplorent la « misère allemande » ou le « retard allemand » réfléchissent. Marx défend l’idée d’une révolution allemande qui aurait pour objectif historique de dépasser le précédent français : si la Révolution française a proposé l’émancipation politique, la Révolution allemande doit viser elle à l’émancipation sociale. Pour assurer une base théorique solide à ce programme révolutionnaire tant philosophique que politique, le jeune Marx s’engage dans un processus de rupture avec la philosophie classique allemande qui fait alors figure de puissant soutien de l’État prussien. En effet, au lieu de penser l’histoire réelle et de se tourner vers l’avenir, la tradition philosophique – ici, la théorie de l’État de Hegel – en est encore à critiquer l’État moderne tel que l’a constitué la Révolution française. Influencé par Ludwig Feuerbach, ancien hégélien devenu l’un des auteurs les plus critiques du maître, Marx entame ses réflexions sur les révolutions et la Révolution française par la critique de la philosophie hégélienne de l’état.

7. Pour Hegel, la Révolution française a échoué notamment par son incapacité à fonder un état durable. L’état, figure principale de l’histoire hégélienne, siège de l’Idée et de la politique, doit réussir ce que la Révolution française a tenté et manqué : réaliser la raison dans l’histoire moderne. Il ne s’agit pas d’en trouver l’origine historique – chez Hegel, pour reprendre l’expression de François Furet, « [l’état] possède par rapport aux individus qu’il unit une antériorité philosophique fondamentale »7– mais d’en définir le concept – l’état monarchique rationnel. Dans cette conception de l’histoire, la société civile est entièrement soumise à l’état. A l’opposé, Marx insiste sur la priorité de celle-ci sur toute forme d’organisation politique. Usant du concept d’ « aliénation » qu’il emprunte à la critique feuerbachienne de la religion, Marx développe une critique de l’État hégélien dans lequel les individus, séparés de la société civile moderne, s’aliéneraient dans la communauté imaginaire de l’état. Il propose de redonner aux hommes le rôle central de moteur de l’histoire : « De même que la religion ne crée pas l’homme mais qu’au contraire l’homme crée la religion, la constitution ne crée pas le peuple mais c’est au contraire le peuple qui crée la constitution. […] L’homme n’est pas là du fait de la loi mais la loi du fait de l’homme. »8 Par ce retournement radical, Marx replace de fait le processus révolutionnaire au centre du mouvement de l’histoire : puisque l’état est subordonné aux conditions réelles de la vie sociale – « c’est […] le peuple qui crée la constitution » – seules les révolutions qui opèrent au niveau de la société civile sont les accoucheuses de l’histoire. Puisque l’émancipation politique est illusoire dans la mesure où elle est porteuse d’une nouvelle aliénation, Marx envisage pour l’Allemagne une grande révolution sociale, une révolution qui absorberait le politique dans le social et rendrait à l’homme son humanité en détruisant l’État, figure intermédiaire de son aliénation dans l’illusion politique.

8. Ce tournant matérialiste, critique du politique, critique de l’illusion du politique, Marx l’amorce avec La Question juive (1843) et le poursuit, avec Engels, dans La Sainte Famille (1844). Dès lors s’affirme dans tous les travaux du penseur, un matérialisme nouveau, un matérialisme de rupture.
Le matérialisme historique
9. Au cours de son séjour à Paris durant l’année 1844, Marx approfondit sa connaissance de la Révolution française, lisant en particulier L’histoire parlementaire de la Révolution française de Buchez et Roux. Cette matière nouvelle est mise à profit pour affiner sa critique de l’idéalisme historique et développer ses vues matérialistes dans le débat qu’il engage notamment avec les hégéliens de gauche. Pour Marx, la domination politique de la bourgeoisie n’est pas le résultat de luttes verbales mais le produit de la structure sociale. S’il considère toujours la Révolution française comme un événement politique, il estime que ses causes profondes sont à rechercher dans l’évolution économique et sociale, i. e. dans le développement des forces productives. Son matérialisme consiste donc à éclairer les processus de l’histoire politique par leurs fondements sociaux : c’est le matérialisme historique. Mais la découverte des bases matérielles du mouvement des sociétés, des intérêts de classe et des conflits de classe implique la connaissance des « luttes de classes », pensées non seulement dans leur effectivité mais aussi dans leur « nécessité » au regard du mode de production où elles prennent racine. Marx va désormais s’atteler à cette tâche.

10. Chassé de Paris, il s’installe à Bruxelles en 1845 et s’investit dans le mouvement révolutionnaire au sein de la Ligue des Communistes. Devenu véritablement un militant, il rédige le Manifeste du Parti communiste (1848). Le texte fait du communisme moderne une nécessité historique dont les racines sont à chercher dans l’histoire et les luttes, luttes de classes de type économique, luttes politiques pour le contrôle social. De ce texte, la vulgate dérivera la « loi tendancielle », principe génétique de correspondance nécessaire entre croissance des « forces productives » et « forme des rapports sociaux de production », faisant de la corrélation entre l’ascension de la bourgeoisie, la Révolution démocratique et le développement du capitalisme, une règle absolue 9. Après 1848 et surtout entre 1852 et 1867 – sinon ironiquement en 1852 dans son commentaire à chaud du 18 Brumaire de Louis Bonaparte – la thématique « Révolution française » se fait rare dans les écrits du philosophe. Marx se consacre presque exclusivement à ses études économiques et, à partir de 1864, à la naissance et au développement de l’Association Internationale des Travailleurs.

11. Au cours de cette période militante, Marx revient peu sur ses précédentes évolutions. Après avoir affirmé la priorité de la société civile sur l’État, il s’agit maintenant de connaître les processus économiques qui sous-tendent la société bourgeoise : c’est là précisément l’ambition du Capital. Quid de la Révolution française dans ce cadre nécessairement resserré sur le xixe siècle ? L’étude par Marx de la mécanique du capitalisme est traversée par la problématique des voies de passage, des voies de transition des sociétés précapitalistes au capitalisme industriel, qui annoncent la transition au socialisme. De ce point de vue, la Révolution française n’est en réalité jamais très loin, mais son caractère délibérément politique – associée par Marx à la création de l’État moderne – la fait passer systématiquement au second plan.
Le Marx de la maturité: «l’homme du Capital»
12. Le moment occupé par le Capital constitue le troisième temps caractérisable dans l’évolution de la pensée de Marx au sujet de la Révolution française. Encore faut-il distinguer deux périodes : la première est entièrement occupée par le travail de rédaction dulivre. Marx s’intéresse prioritairement à l’histoire anglaise, puisque c’est d’abord en Angleterre que s’est développé le capitalisme, et délaisse fort logiquement l’espace français. La seconde est caractérisée par un regain d’intérêt pour la France, notamment à partir de 1869. Les grèves et luttes sociales contre le Second Empire qui se prolongent jusqu’à la Commune de Paris conduisent Marx à reprendre l’analyse globale des révolutions du xixe siècle et à repenser encore une fois la question de l’État au regard d’un mouvement communaliste vu comme l’embryon d’un état prolétarien. Pour Claude Mainfroy, Marx et Engels sont alors partagés entre espoir et crainte : espoir de la réussite du mouvement ouvrier français qui viendrait redynamiser le mouvement international de transformation sociale, crainte que les néo-jacobins s’emparent du mouvement pour le dévoyer et crainte enfin – dans ce contexte agité, la référence à la Révolution française leur vient immédiatement à l’esprit – de la guerre patriotique10: « Les ouvriers, écrit Marx en septembre 1870, ne doivent pas se laisser entraîner par les souvenirs nationaux de 1792. […] Ils n’ont pas à recommencer le passé mais à édifier l’avenir. »11 Cette adresse, qui invite les travailleurs français à faire exactement le contraire de ce qu’avaient entrepris les soldats de la Révolution, rappelle à quel point Marx est un homme de son temps dont les appréciations politiques et historiques ne sont jamais déconnectées des enjeux politiques du moment. S’il redoute la guerre franco-prussienne, c’est qu’elle mettrait en péril tous les espoirs qu’il a placés dans le prolétariat allemand. D’où cette intuition que la Révolution française n’est pas un modèle à imiter mais un stade de l’évolution historique des sociétés qu’il faut maintenant dépasser.

13. Les vues de Marx sur la Révolution française ont été déterminées tout autant par ses connaissances historiques que par l’état de sa réflexion théorique et la situation des luttes politiques. En scrutant la Révolution française, Marx n’a eu de cesse de préparer la Révolution sociale et le réveil du prolétariat allemand. Le message porté par le Manifeste est limpide : si la bourgeoisie française est parvenue, en tant que classe, à s’élever jusqu’à s’emparer de l’appareil d’état, détruire l’ordre ancien et balayer les derniers éléments de féodalité, alors le prolétariat peut faire de même. Finalement, le sens profond qu’attribue Marx à la Révolution française est en réalité peu différent de celui que lui conféraient les historiens libéraux de la Restauration. Thiers, Guizot, Mignet ne voyaient-ils pas en effet 1789 comme la ratification historique de la longue ascension de la bourgeoisie ? C’est d’ailleurs en partie par leurs travaux que Marx connaît la Révolution. Il faut rappeler ici à quel point les concepts « marxistes » qui connaîtront la postérité la plus longue dans l’historiographie – la « révolution bourgeoise » et la « lutte des classes » notamment – avaient été plus ou moins repris par Marx chez ces historiens. Voici ce qu’il dit notamment de la « lutte des classes » dans la lettre qu’il écrit à son ami Weydemeyer le 5 mars 1852 : « Ce n’est pas à moi que revient le mérite d’avoir découvert l’existence des classes dans la société moderne, pas plus que la lutte qu’elles s’y livrent. Des historiens bourgeois avaient exposé bien avant moi l’évolution historique de cette lutte des classes et des économistes bourgeois en avaient décrit l’anatomie économique. Mon originalité a consisté : 1. à démontrer que l’existence des classes n’est liée qu’à des phases historiques déterminées du développement de la production ; 2. que la lutte des classes mène nécessairement à la dictature du prolétariat ; 3. que cette dictature elle-même ne représente qu’une transition vers l’abolition de toutes les classes et vers une société sans classe. »

14. Ainsi, n’est-il pas exagéré de dire qu’en allant à la rencontre de Marx au tournant du siècle, l’historiographie de la Révolution française prenait en héritage, plus ou moins consciemment, toute une partie de l’interprétation « bourgeoise » de la Révolution, telle qu’elle avait été élaborée sous la Restauration par les historiens libéraux.
Le « tournant Jaurès » dans l’histoire de l’historiographie de la Révolution française
15. Œuvre monumentale en quatre volumes, publiée sous forme de brochures à partir de 1901, L’Histoire socialiste de la Révolution française de Jean Jaurès est la première tentative de grande envergure qui vise à présenter l’irruption révolutionnaire d’un point de vue matérialiste, c’est-à-dire prenant en considération les facteurs économiques et sociaux avant tout autre chose. De ce point de vue, Jaurès introduit une rupture fondamentale. Certes, il ne faut pas négliger l’opuscule consacré aux « antagonismes de classes en 1789 » qu’avait publié en 1889 le théoricien de la social-démocratie allemande Karl Kautsky et dont une traduction française avait justement paru en 1901. Son objectif affiché était bien de proposer une interprétation de la Révolution délibérément marxiste 12. On conviendra cependant qu’il s’agissait-là d’un marxisme très rigide, très dogmatique et surtout que l’exercice péchait du côté de la méthode, faute de sources de première main. En effet, pour bâtir son étude, Kautsky n’avait utilisé ni archives, ni travaux nouveaux 13. D’un point de vue strictement scientifique, les recherches de Kautsky ne pouvaient soutenir la comparaison avec la somme élaborée par Jaurès.

16. Avec ce travail historique fondé en érudition – il a passé trois ans aux Archives Nationales et a largement puisé dans les collections de la bibliothèque de la Chambre des Députés – Jaurès propose un premier retournement de perspective : l’histoire de la Révolution ne se réduit plus aux débats des clubs et des assemblées, comme pouvait la concevoir Alphonse Aulard, premier titulaire de la chaire d’histoire de la Révolution française à la Sorbonne, mais elle doit être aussi économique et sociale. Cette impulsion décisive, qui s’accompagne d’un souci scientifique de publication de sources inédites, donne naissance à une tradition d’étude fructueuse et à un rapport au marxisme tout à fait singulier et nouveau 14. On assiste en somme à la convergence d’un courant positiviste, érudit et républicain, plutôt jacobin, avec le schéma inspiré de Marx, de la « révolution bourgeoise » comme avènement du capitalisme.
Une posture matérialiste, positiviste et républicaine
17. L’introduction rédigée par Jaurès à L’Histoire socialiste ne laisse aucun doute sur ses intentions concernant le marxisme : « Ainsi, écrit-il, notre interprétation de l’histoire sera-t-elle à la fois matérialiste avec Marx et mystique avec Michelet »15, ou encore : « c’est sous la triple inspiration de Marx, de Michelet et de Plutarque que nous voudrions écrire cette modeste histoire »16. Outre le renversement de perspective que constitue le choix délibéré de porter l’investigation historique sur les phénomènes socio-économiques jusqu’alors négligés par les historiens, de mettre en lumière les aspirations des classes populaires et les luttes sociales liées au système économique capitaliste naissant, le livre propose une vision de l’histoire de la Révolution française qui s’appuie entièrement sur le matérialisme historique et qui a recours à de très nombreuses catégories ou concepts directement empruntés à Marx. Si l’on se fie à l’index établi par Françoise Brunel en 1968 à l’occasion de la réédition en six volumes du chef-d’œuvre de Jaurès, on compte trente-quatre références à Marx dans toute l’œuvre, rassemblées principalement dans les volumes I (La Constituante) et IV (La Révolution et l’Europe). La plupart des références ou mentions de Marx renvoient au Capital. Jaurès utilise l’ouvrage dans le volume IV où il dresse un grand tableau comparatif de la pensée européenne. Il y a par ailleurs constamment recours pour documenter les questions de la genèse du capitalisme industriel, de la division du travail, du capital marchand, de l’accumulation primitive du capital, des salaires et de la valeur.

Barricada en la calle Soufflot, París, 25 de junio de 1848
✆ Horace Vernet
18. L’influence exercée par les travaux de Marx sur le leader socialiste se révèle tout particulièrement dans sa compréhension générale de l’événement « Révolution française » et dans son appréhension de l’histoire du capital. Pour Jaurès, la Révolution incarne la victoire de la classe bourgeoise dont l’ascension puis l’émancipation révolutionnaire ont permis l’avènement du capitalisme. Toutefois, si c’est avec Marx que Jaurès explore le fonctionnement du capitalisme, il désapprouve toute lecture déterministe et mécanique qui découlerait d’une compréhension rigide du matérialisme historique : « Que jamais la tentation ne vienne aux prolétaires de compter sur le seul jeu du mécanisme économique ou de s’exagérer le fatalisme de l’organisation des classes. » Jaurès est un homme de son temps et son œuvre ne saurait être examinée sans que soit prêtée une attention soutenue aux circonstances politiques qui ont entouré son élaboration. L’Histoire socialiste s’inscrit en effet dans un moment historique bien particulier, celui de la consolidation de la IIIe République qu’il s’agit toujours de défendre. Tout en s’appuyant sur Marx, Jaurès ne perd pas de vue la situation à laquelle le mouvement socialiste doit faire face. Républicain convaincu, il n’hésite pas à faire valoir les bienfaits de la république pour laquelle Marx et Engels n’ont jamais eu réellement de bienveillance 17: « Gardons-nous, dit Jaurès, de croire que le développement antagonique des classes est un mécanisme rigide que rien ne peut modifier. Gardons-nous de croire qu’il est indifférent au prolétariat que le capitalisme se développe sous un régime de démocratie ou sous un régime d’oligarchie ou de despotisme. » Certes dit-il, « si la Révolution était restée une république démocratique au cours du xixe siècle, les rapports essentiels des classes et la structure profonde de la propriété capitaliste n’auraient pas été modifiés : mais il y aurait eu un frein à l’égoïsme de la bourgeoisie, une limite à l’exploitation des ouvriers ».

19. Du point de vue de la diffusion du marxisme et des concepts marxistes chez les historiens français, l’effort de synthèse historique réalisé par Jaurès est déterminant. En intégrant ces concepts à un récit construit selon les codes exigeants de la méthode historique telle que la prônait les historiens méthodiques, Jaurès a réussi le tour de force de les banaliser, d’en faire des éléments constitutifs de l’explication historique qui dans ce cadre perdent de leur valeur doctrinale et gagnent en scientificité.
Un moment dans l’histoire de la discipline historique
20. A la suite de Jaurès, l’intérêt des historiens de la Révolution française pour la théorie marxiste s’explique par le fait qu’elle procure un cadre théorique puissant pour appréhender les phénomènes historiques dans leur totalité et rompre ainsi avec une façon de faire de l’histoire restée jusque-là trop strictement attachée à examiner les « événements » et les « grands hommes ». La prise en compte grandissante d’un certain matérialisme, c’est-à-dire l’écriture d’une histoire attentive à l’économie et aux évolutions techniques, ou, pour reprendre l’expression de Georges Lefebvre, « [l’obligation de] tenir compte des faits économiques et sociaux », correspond à une temporalité bien particulière dans l’histoire de la discipline historique. En France, cette temporalité est caractérisée par la naissance en 1929 d’une nouvelle revue d’histoire, les Annales d’histoire économique et sociale de Marc Bloch et Lucien Febvre, ainsi que par la publication des premiers travaux d’Ernest Labrousse. La volonté de démarcation de ces historiens avec l’histoire traditionnelle se traduit par une méfiance grandissante vis-à-vis de « l’événement » et le désir de comprendre l’histoire dans sa globalité. Labrousse et Braudel, qui revendiquent tous deux l’importance capitale de l’œuvre de Marx dans leur conception de l’histoire, déploient beaucoup d’efforts pour s’écarter des canons de l’histoire « événementielle ». Avec pour objectif de s’approcher le plus près possible de ce que Pierre Vilar appelait une histoire « totale », ils ont recours aux méthodes statistiques et proposent de déplacer le point d’observation vers l’étude de la longue durée. On peut affirmer qu’il y a alors convergence entre l’évolution de la discipline historique et la banalisation de concepts qui se trouvent dans la pensée-Marx. Toutefois, comme l’a remarqué Claude Mazauric, à la différence de Jaurès dont la formation initiale à l’ENS et la rédaction d’une thèse de doctorat en philosophie consacrée aux philosophes allemands avait certainement favorisé la lecture approfondie de l’œuvre de Marx, beaucoup d’historiens français que le marxisme influençait peu ou prou ou qui s’y intéressaient, surtout parmi ceux qui reçurent leur formation dans l’entre-deux-guerres, n’avaient qu’une connaissance sommaire du marxisme qu’ils ramenaient à un simple « économisme » infra-structurel. Ils concevaient le plus souvent la lutte des classes sous la forme d’un affrontement social rudimentaire et l’idéologie comme une étroite mise en scène politique 18.
La constitution d’une équipe internationale de chercheurs autour de Georges Lefebvre
21. Dans ce contexte, l’histoire de la Révolution française, histoire événementielle s’il en est, intègre à sa manière la redéfinition des intérêts et des enjeux au sein de la discipline historique. Ses historiens se proposent alors d’en écrire l’histoire « sociale ». On s’intéresse désormais à l’histoire de ceux qui jusque-là en avaient été tenus à l’écart, sinon comme la « multitude » (Mignet), le « peuple » (Michelet), la « populace » (Taine) : c’est l’histoire « vue d’en-bas », du côté du petit peuple, masses paysannes chez Georges Lefebvre, masses urbaines chez ses élèves, Albert Soboul, Georges Rudé ou Richard Cobb. Elevé au rang d’acteur de l’histoire, crédité d’un rôle historique incontestable, le peuple, observé et recherché, dans ses composantes structurelles, comportementales et d’auto-représentation, occupe désormais dans l’historiographie révolutionnaire une place de choix. Une déclaration célèbre de Georges Lefebvre atteste de l’importance de Jaurès comme point de départ, comme acte initiateur de cette dynamique nouvelle : « […] si l’on prend souci de me chercher un maître, je n’en reconnais d’autre que lui »19.

22. Ceci étant dit, la recomposition des thèmes de l’historiographie de la Révolution française relève également d’une conjoncture moins scientifique que politique ou idéologique. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le prestige de l’URSS est au plus haut. L’espoir des révolutions à venir invite à investir les précédents historiques disponibles jusqu’à identifier chez les protagonistes de la période étudiée des caractères semblables à ceux des groupes sociaux qui composent la société contemporaine. On a ainsi pu voir l’historien Daniel Guérin assimiler, malgré leur extraordinaire diversité, les sans-culottes des faubourgs parisiens à un prolétariat pré-industriel 20. Au matérialisme historique ouvert et savant élaboré par Marx, on a pu substituer parfois un matérialisme vulgarisé et dogmatique, répétitif, dont l’application mécanique a conduit à réduire la dynamique historique à l’affrontement des groupes sociaux sur fond de conjoncture économique de moyenne durée. Si elle a permis d’approfondir les connaissances des structures sociales de la France d’Ancien Régime, quoiqu’insuffisamment, l’analyse de la Révolution française en termes de classes et sous l’angle du passage du féodalisme au capitalisme a aussi conduit les historiens marxistes à rechercher dans l’histoire ce que la théorie impliquait qu’on y trouve. Et si Albert Soboul admettait en 1962 dans son Précis : « nous ne possédons aucune histoire de la bourgeoisie française sous la Révolution », cela ne l’empêchait pas d’abonder dans le sens de Marx, des historiens libéraux voire des révolutionnaires eux-mêmes, en faisant de la Révolution française une « révolution bourgeoise ».

23. Pour l’historien britannique Eric J. Hobsbawm, l’interprétation classique de la Révolution française comme révolution bourgeoise n’a été « marxianisée » par Jaurès et ses successeurs que dans le sens où ceux-ci ont concentré leur attention davantage que leurs prédécesseurs sur les facteurs sociaux et économiques. D’un point de vue général, Hobsbawm observe que l’interprétation post-jaurésienne de la Révolution comme « révolution bourgeoise » est rarement allée véritablement au-delà de la thèse libérale – celle des historiens de la Restauration – d’un soulèvement qui aurait simplement entériné la longue montée historique de la bourgeoisie. Par conséquent, la thèse d’une historiographie de la Révolution française empêtrée par nature dans une pensée marxiste pure et dure lui semble difficilement acceptable 21. Pour la critique, surtout anglo-saxonne, qui dès le milieu des années 1950 se mit à dénoncer la mécanique déterministe d’une interprétation « sociale » jugée trop ouvertement classiste, le doute n’était pas permis sur l’origine du mal : l’historiographie révolutionnaire devait prendre ses distances avec le marxisme.
Critiques révisionnistes, critiques marxistes et retour en grâce de la réflexion historienne sur les catégories sociales
24. Les critiques auxquelles les historiens de la Révolution française attachés à l’interprétation jaurésienne se sont trouvés confrontés ont principalement porté sur la difficile question de la définition des groupes sociaux. Comment en effet considérer la Révolution française comme une « révolution bourgeoise » ayant ouvert la voie au capitalisme, si les historiens peinent à démontrer l’existence d’une classe bourgeoise consciente d’elle-même à la fin du xviiie siècle ou le lien entre la bourgeoisie révolutionnaire et une activité économique de type capitaliste 
D’Alfred Cobban à François Furet : le marxisme de l’interprétation sociale de la Révolution française sous le feu de la critique
25. Au milieu des années 1950, dans un climat de Guerre Froide, Alfred Cobban lance l’attaque contre ce qu’il appelle d’abord le « mythe de la Révolution française »22puis contre ce qu’il qualifie d’interprétation « sociale » de la Révolution 23. La critique de Cobban consiste à refuser un déterminisme sociologique lié à l’instance économique ou porté par un ensemble de valeurs symboliques, déterminisme qu’il juge lié à l’influence du marxisme sur l’historiographie de la période révolutionnaire. Deux éléments de cette historiographie lui paraissent contestables : d’une part, la définition de la bourgeoisie révolutionnaire, qui lui semble très éloignée de la bourgeoisie capitaliste de la théorie marxiste, d’autre part, la réalité de la féodalité dont il considère qu’elle n’avait plus d’existence réelle à la veille de 1789. Du point de vue de la définition pratique de la catégorie sociale « bourgeoisie », Cobban n’a pas tout à fait tort : malgré le programme esquissé par Labrousse en 1955 (Congrès International des Sciences Historiques à Rome), on ne dispose toujours pas d’une histoire de la bourgeoisie révolutionnaire. Par ailleurs, il était évidemment facile de démontrer que loin de constituer une classe d’entrepreneurs capitalistes, la bourgeoisie révolutionnaire était composée essentiellement d’officiers, de propriétaires, de rentiers. Les faiblesses pointées par Cobban dans l’architecture de l’interprétation « sociale » de la Révolution française relèvent apparemment du domaine purement scientifique, mais cela n’est qu’un des aspects du défi lancé à l’historiographie révolutionnaire. Pour l’historien anglais, il s’agit de lutter contre le marxisme sur un plan général. Il mène donc ce combat sur tous les fronts possibles, jusqu’à faire jouer ses relations dans le monde académique pour barrer toute opportunité de carrière sur le territoire britannique à son propre élève, le célèbre historien marxiste des foules révolutionnaires Georges Rudé, le contraignant à l’exil forcé au Canada puis en Australie.

26. A la suite de Cobban, de nombreux chercheurs anglo-saxons se sont engagés dans la brèche. En 1967, l’historien américain Georges Taylor démontre la prédominance de la richesse « propriétaire » et surtout « non-capitaliste » en France à la veille de 1789 : les entrepreneurs de 1789 aspirent surtout à acheter des terres et des seigneuries, pas à renverser le système. Échafaudant ce qui deviendra la « théories des élites », Denis Richet, François Furet ou Colin Lucas réfutent toute opposition fondamentale de valeurs entre la bourgeoisie et la noblesse. Par conséquent, les origines de la Révolution ne sont pas à trouver dans les conflits sociaux, comme le supposait Marx, mais du côté des problèmes politiques, ce que Georges Taylor résume en une formule frappante : « Ce fut essentiellement une révolution politique aux conséquences sociales plutôt qu’une révolution sociale aux conséquences politiques. »24 Ces historiens plaident donc pour une re-hiérarchisation des déterminations au profit de l’instance politique.

27. La critique la plus radicale de l’historiographie de la Révolution française d’inspiration jaurésienne est celle lancée par François Furet au nom de l’autonomie du politique. Prenant à contre-pied toutes les hypothèses classiques, il propose dans Penser la Révolution française (1978) de définir les événements révolutionnaires comme des événements qui sont « de nature politique et idéologique et [qui] disqualifient par définition, une analyse causale faite en termes de contradictions économiques et sociales »25. Pour parfaire sa critique de Marx, François Furet mène à bien en collaboration avec le germaniste Lucien Calvié, une édition des textes du philosophe allemand consacrés à la Révolution française 26. Ce recueil fait la part belle aux analyses du jeune Marx. On pourrait penser qu’il ne s’agit là que d’une sorte de contrecoup de l’althussérisme – après une période marquée par l’extrême concentration des chercheurs sur le Marx du Capital, succède une période de découverte ou de redécouverte des travaux du jeune Marx – si dans la très longue introduction qui précède la sélection de textes François Furet n’avait de cesse de dénoncer un matérialiste étroit, le primat de l’économique, le primat de la société civile. En fait, François Furet regrette le jeune Marx feuerbachien qui se laissait la possibilité d’une autonomie de l’État par le concept d’aliénation. Dans son appréciation critique de l’évolution intellectuelle du penseur, il va jusqu’à avancer qu’en choisissant la voie du matérialisme historique, Marx se serait pour ainsi dire interdit de comprendre la Révolution. Ce faisant, François Furet semble ignorer l’immense champ de recherche esquissé par Marx quant à l’étude des multiples formes de rapports sociaux, celle du mouvement des productions, des échanges et, au-delà, des diverses formes de dominations sociales. Bref, tous ces champs investis par les historiens soucieux d’éclairer la fameuse problématique de la transition du féodalisme au capitalisme.
La complexification de l’interprétation sociale
28. L’avantage de la critique, qu’elle soit anglo-saxonne ou furetienne, c’est qu’elle va révéler une pluralité des lectures marxistes de la Révolution française en incitant les historiens à complexifier ce qui avait pu apparaître comme une application trop rigide du matérialisme historique. Ce travail de reformulation a abouti notamment à l’élaboration de catégories nouvelles, à l’exemple du concept de « mentalités ». Pour répondre aux problèmes posés par le traitement de la culture et des représentations, des champs auxquels il est nécessaire d’attribuer davantage d’autonomie, des historiens inspirés par Marx, tels que Michel Vovelle ou Robert Mandrou, ont développé le concept de « mentalité » comme une instance intermédiaire entre la « base » ou infrastructure économique et sociale et la superstructure dont elle dépend largement. Claude Mazauric déplore que ces efforts de conceptualisation n’aient cependant pas pu empêcher le développement d’une historiographie qui postule la séparation des deux sphères en leur conférant à chacune une autonomie propre. D’autres historiens ont quant à eux suggéré la pertinence d’un marxisme renouvelé par l’approche gramscienne. On trouvera ainsi dans le tome consacré à la période « 1789-1799 » de L’histoire de la France contemporaine (1978), une analyse du jacobinisme enrichie des notions d’« hégémonie » ou de « révolution passive » ainsi qu’une tentative de penser la Révolution française comme une « révolution culturelle » 27.

29. Sur le plan des catégories sociales dont nous avons vu qu’il constituait un point d’achoppement majeur, des efforts importants en terme de recherche et de discussions ont été menés. Ces travaux sont en grande partie le fruit de la réflexion des chercheurs communistes spécialistes de la Révolution. Ils se trouvent rassemblés dans le volume Aujourd’hui l’histoire publié aux Éditions Sociales en 1974 28. Les éléments les plus neufs sont issus de la thèse de Régine Robin consacrée à l’étude du vocabulaire des Cahiers de doléances 29. L’historienne est la première à avoir appliqué la méthode lexicographique aux textes de la Révolution. Elle a développé ainsi la catégorie de « bourgeoisie d’Ancien Régime » qui souligne l’intégration partielle de la bourgeoisie à l’ordre féodal, tout en mettant en lumière son implication dans l’exploitation capitaliste, un bel exemple de « formation sociale de transition ». Ces efforts sont considérables, mais ne permettent pas de maintenir les questionnements historiographiques sur la Révolution française dans les gonds marxistes. On assiste dès lors à un déplacement irrépressible des intérêts des historiens vers l’étude du politique et de la culture politique.

30. La pensée-Marx subit de plein fouet la désillusion relative à l’échec du socialisme réel à l’Est. Ceci n’empêche pas certains marxistes de s’inscrire dans la démarche critique menée par les historiens « révisionnistes », ou du moins de se trouver des points de convergence avec eux dans la dénonciation de la tradition d’étude identifiée comme « jacobine », à leur goût excessivement influencée par « le Marx du Manifeste » et insuffisamment par celui du Capital. Pour sauver Marx, ces chercheurs – que l’on retrouve par exemple dans la revue Rethinking marxism – adoptent une position singulière : de leur point de vue, Lefebvre ou Soboul – les deux historiens sur lesquels se sont concentrées la plupart des critiques – auraient recouru à des concepts marxistes, celui de « lutte de classes » notamment, dans une acception jugée trop prudente, trop flexible voire floue, et surtout, sacrilège, excessivement éloignée de Marx 30. Les attaques lancées par Cobban ou Furet contre l’interprétation « sociale » classique leur apparaissent donc providentielles dans la mesure où elles permettent de faire valoir leur propre pratique du marxisme. Selon eux, la Révolution française n’a pu être bourgeoise et encore moins capitaliste dans la mesure où la paysannerie de 1789 était encore loin d’avoir été complètement « prolétarianisée », i. e. rendue exclusivement dépendante du marché pour subsister. Emmenés par l’historien américain Robert Brenner, les animateurs de cette école de pensée d’inspiration althussérienne dont les thèses ont été appliquées à la Révolution française par le Canadien George Comninel 31 considèrent que l’on ne peut parler de « révolution bourgeoise » en France à propos de la période 1789-1799 puisque l’absolutisme français n’avait aucune des caractéristiques d’une économie capitaliste malgré les nouveaux rapports de production induits par le développement de l’industrie dans les interstices du système « féodal ».

31. Enfin, sans faire de concession à la démarche révisionniste, des historiens marxistes comme Florence Gauthier et Guy Ikni ont développé en France, à côté de l’école marxiste-jacobine, une autre voie interprétative basée sur l’idée de « l’économie morale » reprise au grand historien anglais E.P. Thompson32. Tous les historiens engagés dans cette voie ont été encouragés par Albert Soboul, qui les accueillait dans son séminaire, à la poursuivre le plus loin possible 33. Ces chercheurs envisageaient ce mode de projet économique – l’économie morale – comme une possible voie d’accès à une possible modernité non-capitaliste issue de la Révolution française, une voie que l’hégémonie de la bourgeoisie et la victoire de l’école physiocratique ont transformée en impasse.
Relancer la réflexion sur les catégories sociales en Révolution
32. Après deux à trois décennies de recul net des problématiques chères aux historiens inspirés par Marx, sous le coup d’un mouvement que Michel Vovelle avait résumé de façon éloquente en 1995 comme le passage « du tout social au tout politique », il semblerait que reviennent progressivement dans le débat historiographique certains des thèmes majeurs de l’histoire sociale de la Révolution française. L’exemple le plus frappant de cette évolution est assurément la réapparition du fameux problème des classifications sociales à l’occasion d’un grand colloque international organisé à Lille en janvier 2006 et consacré aux bourgeoisies révolutionnaires 34.Mais ce regain d’intérêt pour des problématiques hier décriées s’accompagne t-il d’un retour en grâce des catégories qui firent les beaux jours de la réflexion marxiste et notamment celle de « révolution bourgeoise » ? Assurément oui, si l’on en croit les travaux des historiens David Garrioch (The Making of Revolutionary Paris, University of California Press, Berkeley, 2002) ou ceux de Colin Jones (The Great Nation : France from Louis XV to Napoleon 1715-99, Pinguin Press, Londes, 2002), mais dans une acception nouvelle, plus complexe, moins déterministe : il ne s’agit plus dorénavant de trouver dans la société prérévolutionnaire ce qui existera après, mais plutôt de comprendre le processus de formation des catégories et des identités sociales dans la dynamique révolutionnaire même. Cela revient à reconnaître le rôle de transition joué par la Révolution française, non plus seulement comme mécanisme de ratification mais comme force créatrice d’une nouvelle société. Après la publication en 2003 par l’historienne américaine Sarah Maza d’un ouvrage qui refusait toute existence à la bourgeoisie française tant que le discours des bourgeois n’attestait pas en mots d’une conscience de classe en fait 35, ces historiens ont allumé plus qu’un contre-feu.

33. Il est bien sûr trop tôt pour dire si cette tendance actuelle se traduira par un retour de l’historiographie à la pensée-Marx. Néanmoins, comme en témoigne la récente synthèse de l’historien canadien Henri Heller, rarement les recherches sur l’histoire économique et sociale de la Révolution n’ont été aussi convergentes dans leur intérêt pour les concepts hérités de Marx 36.
Conclusion
34. Un siècle après Jaurès, quelles grandes idées issues de la pensée-Marx l’historiographie jaurésienne de la Révolution française a-t-elle retenues ? La première qui vient à l’esprit est l’idée de la Révolution française comme victoire bourgeoise dans la lutte des classes, donc l’idée de « révolution bourgeoise ». Or nous avons vu précisément que cette conception, reprise à son compte par Marx, est un emprunt aux libéraux de la Restauration. Vient ensuite l’idée de la révolution comme mouvement populaire. C’est l’idée force qui a justifié le mouvement en faveur de l’histoire « par en-bas » pour reprendre l’expression forgée par Lefebvre. Mais là encore, une telle perspective n’avait en réalité rien de marxiste. Elle appartient à Michelet ! Quant à l’idéalisation de l’an II et de Robespierre, qui caractérise une grande partie de l’historiographie républicaine ou jacobine, elle renvoie aux babouvistes et particulièrement à Buonarroti, et certainement pas à Marx. Pourtant, la tradition marxiste dominante de l’historiographie a choisi de s’aligner sur Robespierre contre les radicaux qui s’opposaient à lui sur sa gauche (les hébertistes par exemple), c’est-à-dire qu’elle a décidé d’endosser la tradition jacobine plutôt qu’une autre. Pour Eric Hobsbawm, ici réside un des paradoxes les plus incompréhensibles de l’historiographie marxiste de la Révolution française : « il est tout à fait surprenant, explique-t-il, que les communistes d’aujourd’hui défendent Robespierre contre Hébert et Jacques Roux. C’est un peu comme si les socialistes et communistes anglais, avec toute leur admiration pour les régicides et la république au xviie siècle, défendaient Cromwell contre les Levellers et les Diggers ». En fait, observe-t-il encore, « les historiens marxistes, attachés à la fois à la représentation de la Révolution en termes de révolution bourgeoise et à la République jacobine comme incarnation de ses réalisations les plus avancées, ont eu le plus grand mal à établir qui incarnait exactement la bourgeoisie à l’époque du Comité de Salut public »37. A lire les impressions du grand historien britannique, une piste de réflexion nouvelle se dessine : pour comprendre la façon dont on a pensé l’histoire de la Révolution française depuis un siècle, le rapport au marxisme des historiens de la Révolution française ne serait pas aussi capital que leur rapport au jacobinisme. Au lieu de considérer l’Histoire socialiste de la Révolution française de Jaurès comme le point de départ d’une historiographie révolutionnaire d’inspiration marxiste, ne faudrait-il pas plutôt parler de l’amorce d’un assujettissement de la pensée-Marx à l’historiographie jacobine ? Si l’hypothèse s’avère pertinente, alors ce n’est qu’en révélant les fluctuations de ce subtil jeu d’influence entre théorie marxiste et idéologie jacobine que l’on prendra la mesure véritable du marxisme des historiens de la Révolution française.
Notes
1  Notre intention est d’offrir une introduction en même temps qu’une vue d’ensemble de la problématique large et complexe que constitue l’histoire du rapport de l’historiographie de la Révolution française au xxe siècle avec l’œuvre de Marx. Il ne s’agit pas de présenter les résultats de nouvelles recherches, mais plutôt d’élaborer une synthèse de la question en nous inspirant des travaux les plus récents. Notons à ce propos que le thème ici abordé a fait l’objet d’une étude particulièrement approfondie par Claude Mazauric sous le titre Le marxisme et l’histoire de la Révolution française – une rétrospective, suivi de, Historiographie et en-soi de la Révolution – essai d’interprétation, dont le texte doit paraître prochainement. Nous remercions Claude Mazauric d’avoir bien voulu nous communiquer le manuscrit avant sa publication.
2  Le sujet a fait l’objet d’un nombre important d’articles académiques, notamment chez les historiens anglo-saxons. Retenons les plus importants : Geoffrey Ellis, « The ‘Marxist interpretation’ of the French Revolution », in The English Historical Review, vol.93, n° 367, April 1978, pp. 353-76. Sanford Elwitt, « Soboul’s Marxism », Proceedings of the Consortium on Revolutionary Europe, XIII (1984), p. 316-24. Jack Amariglio, Bruce Norton, « Marxist Historians and the Question of Class in the French Revolution », History and Theory, Vol. 30, No. 1. (Feb., 1991), p. 37-55. Lawrence H. Davis, « Jean Jaures, Karl Marx And The French Revolution : Histoire Socialiste As Marxist Interpretation », Proceedings of the Consortium on Revolutionary Europe, 1995, p. 190-98.
3  Nous reprenons la formule proposée par le philosophe Lucien Sève (Penser avec Marx aujourd’hui. I. Marx et nous, Paris, La Dispute, 2004, 282 p.) de façon à dégager la pensée résultant directement du travail intellectuel de Karl Marx à proprement parler, de l’utilisation faite ultérieurement de son œuvre.
4  Il faut tout de même souligner qu’aucun auteur ne saurait être tenu pour responsable de l’utilisation qui est faite de ses écrits après sa mort. Accuser Marx en personne et mettre à l’index des pans entiers de son œuvre au principe que sont nombreux ceux qui ont recouru à ses concepts ou ses idées de façon schématique et dogmatique relève à l’évidence de la malhonnêteté intellectuelle.
5  La position exprimée par Albert Soboul à ce sujet dans un des derniers entretiens qu’il a donnés avant sa mort est sans ambiguïté (Voir Serge Cosseron et Bruno Somalvico, « Albert Soboul ([1914-1982], entretien inédit », in Cahiers Bernard Lazare, n° 119-120, 1987, p. 41-58.). A la question : « Vous avez participé à une école historique qu’on a qualifiée de marxiste. Quel a été votre apport spécifique dans cette direction ? », la réponse de Soboul est très claire : « Je protesterais d’abord contre l’épithète de “marxiste”. Non que je rejette cette qualification, mais je ne pense pas qu’il y ait une histoire marxiste et une histoire qui ne le soit pas. Il y a l’Histoire tout court. Et la réflexion critique à partir d’un travail érudit. Je citerai une anecdote. Lorsque l’Encyclopaedia Universalis est arrivée au mot “révolution”, ses éditeurs ont eu l’idée mirobolante de demander l’interprétation royaliste à Gaxotte, l’interprétation libérale à Furet, l’interprétation marxiste à moi, et d’autres encore… en tout : cinq interprétations. A cette offre, j’ai répondu : “Je ne participerai pas à cette revue car je ne pense pas qu’il y ait trente-six histoires, il y a une histoire de la Révolution française qui s’est forgée à travers les historiens du xixe et ceux du xxe siècle. Et quand bien même nous nous référons à une certaine méthode qui est peut-être la méthode marxiste, il ne faut pas oublier qu’il s’agit seulement d’une approche, d’un aspect de la méthode historique et non d’un dogme.” » (p. 42‑43).
6  Antoine Barnave, Introduction à la Révolution française, texte présenté par Ferdinand Rude, Cahiers des Annales, Armand Colin, Paris, 1971, 78 p. Rédigé en prison au cours de l’année 1793, le texte ne fut publié pour la première fois qu’en 1843.
7  François Furet, Marx et la Révolution française, Paris, Flammarion, 1986, p. 21.
8  Karl Marx, Critique du Droit politique hégélien, Paris, éditions sociales, 1975, p. 69.
9  Dans son essai à paraître (cf note 1), Claude Mazauric fait remarquer combien les historiens de la Révolution française qui ont accepté l’idée d’une interaction « bourgeoisie/capitalisme » n’ont jamais cédé à ces simplifications excessives et ont toujours privilégié au contraire une histoire autonome du capital.
10  Voir l’article de Claude Mainfroy, « Marx et la Révolution Française après 1870 », in Cahiers d’histoire de l’Institut de Recherches Marxistes, n° 21, 1985.
11  Seconde Adresse du Conseil général de l’Association Internationale des Travailleurs, 9 septembre 1870.
12  Au sujet de l’interprétation de la Révolution française par Kautsky et de son insertion dans l’historiographie de son temps, se reporter aux précieux commentaires de Jean-Numa Ducange, « Karl Kautsky et le centenaire de la Révolution française », in Siècles, n° 23, 2006, p. 63-82.
13  Sur les conseils d’Engels qui à la fin de sa vie n’a cessé de mettre en garde contre les schématismes de débutants en matérialisme historique, Kautsky ajoutera à son texte, avant de le rééditer, de nombreuses notes et références, en particulier aux travaux des historiens russes de la paysannerie française.
14  C’est à Jaurès que l’on doit la création de la « Commission de recherche et de publication des documents d’archives relatifs à la vie économique de la Révolution » qui vécut pendant près d’un siècle sous le nom de « commission Jaurès », avant d’être supprimée par un ministre de la gauche plurielle désireux d’en finir avec l’exceptionnalité de la Révolution française. Voir Christine Peyrard et Michel Vovelle (sous la dir.), Héritages de la Révolution française à la lumière de Jaurès, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2002.
15  Jean Jaurès, Histoire socialiste de la Révolution française, édition revue et annotée par Albert Soboul, préface d’Ernest Labrousse, 6 volumes et index, Paris, Éditions sociales, 1968, vol. 1, p. 66-67.
16  Idem, p. 68.
17  Les deux hommes ont en effet longtemps considéré la République comme une diversion, une « illusion », un système, selon Marx, « qui ne saurait être pris pour la véritable émancipation ouvrière et humaine ».
18  Claude Mazauric, Le marxisme et l’histoire de la Révolution française – Une rétrospective, texte inédit (cf note 1).
19  Georges Lefebvre, « Pro Domo », in Annales Historiques de la Révolution française, 1947, p. 189.
20  Daniel Guérin, La lutte de classes sous la Première République, bourgeois et « bras nus », 1793-1797, Gallimard, Paris, 1946.
21  Eric Hobsbawm, Aux Armes, historiens. Deux siècles d’histoire de la Révolution française, Paris, Éditions La Découverte, 2007.
22  Alfred Cobban, The Myth of the French Revolution, London, University College, 1955.
23  Alfred Cobban, The Social Interpretation of the French Revolution, Cambridge, Cambridge University Press, 1964. Étonnamment, la traduction française de ce texte pourtant décisif ne fut disponible que très tardivement de ce côté-ci de la Manche. Publié par un éditeur opportuniste en 1984, donc dans un contexte historiographique très différent de celui des années 1950, le texte de Cobban de 1964 était devenu Le sens de la Révolution française (Paris, Julliard, 220 p., préface d’E. Le Roy Ladurie) et sa parution à quelques années des célébrations du Bicentenaire laissait supposer que les critiques adressées au début des années 1960 à l’historiographie classique étaient toujours d’actualité.
24  Georges V. Taylor, « Non capitalist wealth and the origins of the French Revolution », in American Historical Review, 4, 1967.
25  François Furet, Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, 1978, p. 40.
26  François Furet, Marx et la Révolution française, op. cit.
27  François Hincker et Claude Mazauric, « 1789-1799 », Histoire de la France contemporaine, t.1, Paris, Éditions Sociales/LCD, 1978, 447 p. Voir en particulier le chapitre « Transgression culturelle et orthodoxie jacobine », écrit en collaboration avec Philippe Goujard, p. 272-287.
28  Aujourd’hui l’histoire, Paris, Éditions sociales, 1974.
29  Régine Robin, La société française en 1789 : Semur-en-Auxois, Paris, Plon, 1970, 523 p.
30  A titre d’exemple, mentionnons l’article de deux non-spécialistes de la Révolution française, Jack Amariglio et Bruce Norton, « Marxist Historians and the Question of Class in the French Revolution », in History and theory, 1991, article cité.
31  Georges Comninel, Rethinking the French Revolution : marxism and the revisionist challenge, Londres, Verso, 1987, XII-225 p.
32  Florence Gauthier et Guy-Robert Ikni, La Guerre du blé au xviiie siècle, Montreuil, Les éditions de la passion, 1988, 237 p.
33  Pour mettre en valeur les pistes ouvertes par ces chercheurs, Albert Soboul publiera un recueil sous sa direction (Albert Soboul (dir), Contribution à l’histoire paysanne de la Révolution française, Paris, Éditions sociales, 1977, 407 p.) dans lequel il introduira notamment les thèses novatrices de l’historien soviétique Anatoli Ado sur la révolution paysanne.
34  Jean-Pierre Jessenne (dir.), Vers un ordre bourgeois ?Révolution française et changement social, Renes, Presses Universitaires de Rennes, 2007, 418 p. (Actes du colloque de Lille III, 12-14 janvier 2006).
35  Sarah Maza, The Myth of the French Bourgeoisie : An Essay on Social Imaginary, 1750-1850, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2003.
36  Henri Heller, The Bourgeois Revolution in France, 1789-1815, New York, Bergham Books, 2006, 172 p.
37  Eric J. Hobsbawm, Aux armes, historiens !, op. cit., 2007.
http://chrhc.revues.org/

◆ El que busca, encuentra...

Todo lo sólido se desvanece en el aire; todo lo sagrado es profano, y los hombres, al fin, se ven forzados a considerar serenamente sus condiciones de existencia y sus relaciones recíprocasKarl Marx

Not@s sobre Marx, marxismo, socialismo y la Revolución 2.0

— Notas notables
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Mauricio Mejía: Karl Marx, el poeta de la mercancía — El Financiero
Emmanuel Laurentin: Karl Marx à Paris: 1843-1845 — France Culture
Jacinto Valdés-Dapena Vivanco: La teoría marxista del Che Guevara — Bohemia
Aldo Casas: El marxismo como herramienta para la lucha — La necesidad de la formación en la militancia — La Tinta
Evald Vasiliévich Iliénkov: La dialéctica de lo abstracto y lo concreto en El Capital de Marx — Templando el Acero
Vincent Présumey: Suivi des écrits de Karl Marx / 1837-1848 - Part I, Part II, Part III & Part IV — Mediapart
Roman Rosdolky: Marx ésotérique et Marx exotérique — Palim Psao
Lepotier: Marx, Marxisme, Cui bono? — Bella Ciao
Andrea Vitale: La critica di Pareto a Marx: una abborracciatura — Operai e Teoria
Annelie Buntenbach: Marx provides us with a glimpse behind the scenes of capitalism — Marx 200
Antoni Puig Solé: La Ley del Valor y la ecología en Marx — Lo que somos
Vladimiro Giacché: Note sui significati di "Libertà" nei Lineamenti di Filosofia del Diritto di Hegel — Il Comunista
Salvador López Arnal: Manuel Sacristán (1925-1985) como renovador de las tradiciones emancipatorias — Rebelión
Paúl Ravelo Cabrera: Marx, Derrida, el Gesto Político y la supercapitalización mundial — Scribb
Dino Greco: In difesa del marxismo — Sollevazione
Alberto Quiñónez: Arte, praxis y materialismo histórico — Rebelión
Josefina L. Martínez: Feminismo & Socialismo marxista - Eleanor Marx, la cuestión de la mujer y el socialismo — Rebelión
John Bellamy Foster: Marx y la fractura en el metabolismo universal de la naturaleza — Scribb
José Manuel Bermudo Ávila: Concepto de Praxis en el joven Marx — Scribb
Carlos Oliva Mendoza: Adolfo Sánchez Vázquez: ¿marxismo radical o crítica romántica? — InfoLibre
Bernardo Coronel: ¿El marxismo es una ciencia? — La Haine
Sylvain Rakotoarison: Le capitalisme selon Karl Marx — Agora Vox

— Notas y comentarios sobre El Capital
António Ferraz: Os 150 anos do livro ‘O Capital’, de Karl Marx — Correio do Minho
Horacio Tarcus: Traductores y editores de la “Biblia del Proletariado” - Parte I & Parte II — Memoria
Emmanuel Laurentin: Le Capital, toujours utile pour penser la question économique et sociale? — France Culture
J.M. González Lara: 150 años de El Capital — Vanguardia
Roberto Giardina: Il Capitale di Marx ha 150 anni — Italia Oggi
Alejandro Cifuentes: El Capital de Marx en el siglo XXI — Voz
Marcela Gutiérrez Bobadilla: El Capital, de Karl Marx, celebra 150 años de su edición en Londres — Notimex
Mario Robles Roberto Escorcia Romo: Algunas reflexiones sobre la vigencia e importancia del Tomo I de El Capital — Memoria
Antoni Puig Solé: El Capital de Marx celebra su 150° aniversario — Lo que Somos
Jorge Vilches: El Capital: el libro de nunca acabar — La Razón
Carla de Mello: A 150 años de El Capital, la monumental obra de Karl Marx — Juventud Socialista del Uruguay
Rodolfo Bueno: El Capital cumple 150 años — Rebelión
Diego Guerrero: El Capital de Marx y el capitalismo actual: 150 años más cerca — Público
José Sarrión Andaluz & Salvador López Arnal: Primera edición de El Capital de Karl Marx, la obra de una vida — Rebelión
Sebastián Zarricueta: El Capital de Karl Marx: 150 años — 80°
Marcello Musto: La durezza del 'Capitale' — Il Manifesto
Esteban Mercatante: El valor de El Capital de Karl Marx en el siglo XXI — Izquierda Diario
Michael Roberts: La desigualdad a 150 años de El Capital de Karl Marx — Izquierda Diario
Ricardo Bada: El Capital en sus 150 años — Nexos
Christoph Driessen: ¿Tenía Marx razón? Se cumplen 150 años de edición de El Capital — El Mundo
Juan Losa: La profecía de Marx cumple 150 años — Público
John Saldarriaga: El Capital, 150 años en el estante — El Colombiano
Katia Schaer: Il y a 150 ans, Karl Marx publiait ‘Le Capital’, écrit majeur du 20e siècle — RTS Culture
Manuel Bello Hernández: El Capital de Karl Marx, cumple 150 años de su primera edición — NotiMex
Ismaël Dupont: Marx et Engels: les vies extravagantes et chagrines des deux théoriciens du communisme! — Le Chiffon Rouge
Jérôme Skalski: Lire Le Capital, un appel au possible du XXIe siècle - L’Humanité
Sebastiano Isaia: Il Capitale secondo Vilfredo Pareto — Nostromo

— Notas y reportajes de actualidad
Román Casado: Marx, Engels, Beatles, ese es el ritmo de Vltava — Radio Praga
María Gómez De Montis: El Manifiesto Comunista nació en la Grand Place — Erasmus en Flandes
Enrique Semo: 1991: ¿Por qué se derrumbó la URSS? — Memoria
Michel Husson: Marx, un économiste du XIXe siècle? A propos de la biographie de Jonathan Sperber — A L’Encontre
César Rendueles: Todos los Marx que hay en Marx — El País
Alice Pairo: Karl Marx, Dubaï et House of cards: la Session de rattrapage — France Culture
Sebastián Raza: Marxismo cultural: una teoría conspirativa de la derecha — La República
Samuel Jaramillo: De nuevo Marx, pero un Marx Nuevo — Universidad Externado de Colombia
Sergio Abraham Méndez Moissen: Karl Marx: El capítulo XXIV de El Capital y el “descubrimiento” de América — La Izquierda Diario
Joseph Daher: El marxismo, la primavera árabe y el fundamentalismo islámico — Viento Sur
Francisco Jaime: Marxismo: ¿salvación a través de la revolución? — El Siglo de Torreón
Michel Husson: Marx, Piketty et Aghion sur la productivité — A l’encontre
Guido Fernández Parmo: El día que Marx vio The Matrix — Unión de Trabajadores de Prensa de Buenos Aires
Cest: Karl Marx y sus "Cuadernos de París" toman vida con ilustraciones de Maguma — El Periódico
Leopoldo Moscoso: 'Das Kapital': reloading... — Público
Laura "Xiwe" Santillan: La lucha mapuche, la autodeterminación y el marxismo — La Izquierda Diario
José de María Romero Barea: Hölderlin ha leído a Marx y no lo olvida — Revista de Letras
Ismaël Dupont: Marx et Engels: les vies extravagantes et chagrines des deux théoriciens du communisme! — Le Chiffon Rouge Morlai
Francisco Cabrillo: Cómo Marx cambió el curso de la historia — Expansión
El “Dragón Rojo”, en Manchester: Cierran el histórico pub donde Marx y Engels charlaban "entre copa y copa" — BigNews Tonight
Marc Sala: El capitalismo se come al bar donde Marx y Engels debatían sobre comunismo — El Español

— Notas sobre debates, entrevistas y eventos
Fabrizio Mejía Madrid: Conmemoran aniversario de la muerte de Lenin en Rusia — Proceso
Segundo Congreso Mundial sobre Marxismo tendrá lugar en Beijing — Xinhua
Debate entre Andrew Kliman & Fred Moseley — Tiempos Críticos
David McNally & Sue Ferguson: “Social Reproduction Beyond Intersectionality: An Interview” — Marxismo Crítico
Gustavo Hernández Sánchez: “Edward Palmer Thompson es un autor que sí supo dar un giro copernicano a los estudios marxistas” — Rebelión
Alberto Maldonado: Michael Heinrich en Bogotá: El Capital de Marx es el misil más terrible lanzado contra la burguesía — Palabras al Margen
Leonardo Cazes: En memoria de Itsván Mészáros — Rebelión (Publicada en O Globo)
Entrevista con István Mészáros realizada por la revista persa Naghd’ (Kritik), el 02-06-1998: “Para ir Más allá del Capital” — Marxismo Crítico
Rosa Nassif: “El Che no fue solo un hombre de acción sino un gran teórico marxista” Agencia de Informaciones Mercosur AIM
Entrevista a Juan Geymonat: Por un marxismo sin citas a Marx — Hemisferio Izquierdo
Juliana Gonçalves: "El Capital no es una biblia ni un libro de recetas", dice José Paulo Netto [Português ] — Brasil de Fato
Entrevista a Michael Heinrich: El Capital: una obra colosal “para desenmascarar un sistema completo de falsas percepciones” — Viento Sur
Alejandro Katz & Mariano Schuster: Marx ha vuelto: 150 años de El Capital. Entrevista a Horacio Tarcus — La Vanguardia
Salvador López Arnal: Entrevista a Gustavo Hernández Sánchez sobre "La tradición marxista y la encrucijada postmoderna" — Rebelión
Jorge L. Acanda: "Hace falta una lectura de Marx que hunda raíces en las fuentes originarias del pensamiento de Marx" — La Linea de Fuego

— Notas sobre Lenin y la Revolución de Octubre
Guillermo Almeyra: Qué fue la Revolución Rusa — La Jornada
Jorge Figueroa: Dos revoluciones que cambiaron el mundo y el arte — La Gaceta
Gilberto López y Rivas: La revolución socialista de 1917 y la cuestión nacional y colonial — La Jornada
Aldo Agosti: Repensar la Revolución Rusa — Memoria
Toni Negri: Lenin: Dalla teoria alla pratica — Euronomade
Entretien avec Tariq Ali: L’héritage de Vladimir Lénine — Contretemps
Andrea Catone: La Rivoluzione d’Ottobre e il Movimento Socialista Mondiale in una prospettiva storica — Marx XXI
Michael Löwy: De la Revolución de Octubre al Ecocomunismo del Siglo XXI — Herramienta
Serge Halimi: Il secolo di Lenin — Rifondazione Comunista
Víctor Arrogante: La Gran Revolución de octubre — El Plural
Luis Bilbao: El mundo a un siglo de la Revolución de Octubre — Rebelión
Samir Amin: La Revolución de Octubre cien años después — El Viejo Topo
Luis Fernando Valdés-López: Revolución rusa, 100 años después — Portaluz
Ester Kandel: El centenario de la Revolución de octubre — Kaos en la Red
Daniel Gaido: Come fare la rivoluzione senza prendere il potere...a luglio — PalermoGrad
Eugenio del Río: Repensando la experiencia soviética — Ctxt
Pablo Stancanelli: Presentación el Atlas de la Revolución rusa - Pan, paz, tierra... libertad — Le Monde Diplomatique
Gabriel Quirici: La Revolución Rusa desafió a la izquierda, al marxismo y al capitalismo [Audio] — Del Sol

— Notas sobre la película “El joven Karl Marx”, del cineasta haitiano Raoul Peck
Eduardo Mackenzie:"Le jeune Karl Marx ", le film le plus récent du réalisateur Raoul Peck vient de sortir en France — Dreuz
Minou Petrovski: Pourquoi Raoul Peck, cinéaste haïtien, s’intéresse-t-il à la jeunesse de Karl Marx en 2017? — HuffPost
Antônio Lima Jûnior: [Resenha] O jovem Karl Marx – Raoul Peck (2017) — Fundaçâo Dinarco Reis
La película "El joven Karl Marx" llegará a los cines en el 2017 — Amistad Hispano-Soviética
Boris Lefebvre: "Le jeune Karl Marx": de la rencontre avec Engels au Manifeste — Révolution Pernamente

— Notas sobre el maestro István Mészáros, recientemente fallecido
Matteo Bifone: Oltre Il Capitale. Verso una teoria della transizione, a cura di R. Mapelli — Materialismo Storico
Gabriel Vargas Lozano, Hillel Ticktin: István Mészáros: pensar la alienación y la crisis del capitalismo — SinPermiso
Carmen Bohórquez: István Mészáros, ahora y siempre — Red 58
István Mészáros: Reflexiones sobre la Nueva Internacional — Rebelión
Ricardo Antunes: Sobre "Más allá del capital", de István Mészáros — Herramienta
Francisco Farina: Hasta la Victoria: István Mészáros — Marcha
István Mészáros in memoriam : Capitalism and Ecological Destruction — Climate & Capitalism.us