"No hay porvenir sin Marx. Sin la memoria y sin la herencia de Marx: en todo caso de un cierto Marx: de su genio, de al menos uno de sus espíritus. Pues ésta será nuestra hipótesis o más bien nuestra toma de partido: hay más de uno, debe haber más de uno." — Jacques Derrida

"Los hombres hacen su propia historia, pero no la hacen a su libre arbitrio, bajo circunstancias elegidas por ellos mismos, sino bajo aquellas circunstancias con que se encuentran directamente, que existen y les han sido legadas por el pasado. La tradición de todas las generaciones muertas oprime como una pesadilla el cerebro de los vivos. Y cuando éstos aparentan dedicarse precisamente a transformarse y a transformar las cosas, a crear algo nunca visto, en estas épocas de crisis revolucionaria es precisamente cuando conjuran temerosos en su auxilio los espíritus del pasado, toman prestados sus nombres, sus consignas de guerra, su ropaje, para, con este disfraz de vejez venerable y este lenguaje prestado, representar la nueva escena de la historia universal" Karl Marx

16/8/14

Lire le Capital | Sur la valeur d’usage de l’interprétation althussérienne de la critique de l’économie politique

Linder Kolja   |   Le sort actuel de la pensée althussérienne est tragique à maints égards. Premièrement, elle se trouve face à une conjoncture politique défavorable à une théorie critique de la société existante. Sur ce point, est symptomatique l’exclusion académique dont a fait l’objet le mémoire de fin d’études[1] à l’origine de cet article au sein d’une Grande Ecole réputée être « un espace intellectuel ouvert » (autopromotion). Prétendant qu’on aurait « peine à se faire une idée, aujourd’hui que le marxisme est une religion morte, de ce que pouvait être l’aura d’un philosophe tel que Louis Althusser dans les années 1960 et 1970 »,[2] la pensée unique s’exprime aussi dans la prépondérance du « cas » d’Althusser par rapport à son œuvre – n’en donnons que l’exemple misérable de deux pièces de théâtre jouées l’année dernière sur des scènes parisiennes (Le Caïman au Théâtre Montparnasse et Althusser soloau Lucernaire). Deuxièmement, l’œuvre althussérienne est aujourd’hui en partie dans les mains d’intellectuels dont les axes de pensée majeurs lui sont étrangers. En témoigne la méconnaissance apparente de l’éditeur François Matheron sur Marx et la tentative de la revue Multitudes de s’accaparer Althusser pour le postmodernisme. Jusqu’aujourd’hui, ces conditions de réception étaient défavorables à une recherche sur le rapport d’Althusser aux idées marxiennes, qui sont cependant la référence centrale deMontesquieu. La politique et l’histoire aux notes sur le matérialisme aléatoire. 

A propos d’Althusser, la pensée unique et le postmodernisme nous parlent du meurtre, de la psychanalyse et de l’épistémologie mais non de la critique de l’économie politique. La conjoncture politique et une réception absente ou caricaturale en semblent être les raisons. Mais même dans un contexte beaucoup plus familier à l’œuvre de Marx, la question du rapport d’Althusser à ce dernier ne pose que rarement problème.[3]Encore, la récente et solide initiative de Lucien Sève à démontrer la problématique du rapport en question a malheureusement tendance à se limiter à critique. 


Face à ces lacunes, je me propose dans ce qui suit de concevoir une ambiguïté du travail althussérien par rapport à la critique de l’économie politique. Ma thèse est que l’Althusser de Pour Marx et Lire le Capital (1965) présente une interprétation puissante mais essentiellement philosophique de l’œuvre marxienne tandis que le tournant politiciste de 1966, aboutissant aux Eléments d’autocritique (1972), le met sérieusement en question. Pour éviter cette impasse que nous allons démontrer, il est nécessaire de reprendre les concepts philosophiques du premier Althusser pour les articuler avec la critique de l’économie politique à la hauteur de la théorie de la valeur et du fétiche. Afin de mener à bien cette entreprise, « un nouveau rapport à Marx » tel que Sève le propose, fondé notamment sur une lecture rigoureuse,[5] me semble inévitable

Le premier Althusser et son autocritique

Rappelons les propos qu’Althusser tient sur Marx dans la première moitié des années 1960. Les contributions althussériennes àLire le Capital[6] distinguent un discours idéologique de l’économie politique classique d’un discours scientifique de Marx. L’effet de ces deux modes de connaissance serait déterminé « par l’intelligence de son mécanisme » (LLC, 79). Pour Marx[7] précise le concept d’idéologie. Celle-ci serait « un tout réel, unifié intérieurement par sa problématique propre, et tel qu’on ne puisse en distraire un élément sans en altérer le sens » (PM, 59). Elle dépendrait « non de son rapport à une vérité différente d’elle, mais de son rapport au champ idéologique existant, et aux problèmes et à la structure sociaux qui le soutiennent et s’y réfléchissent » (ibid.). Ensuite, « le principe moteur du développement d’une idéologie, singulière ne réside donc pas au sein de l’idéologie elle-même, mais hors d’elle, dans l’en-deça de l’idéologie singulière : son auteur comme individu concret, et l’histoire effective, qui se réfléchit dans ce développement individuel selon les liens complexes de l’individu à cette histoire » (ibid.). Une science par contre s’obtient à condition « d’abandonner le domaine où l’idéologie croit avoir affaire au réel, c’est-à-dire en abandonnant sa problématiqueidéologique (la présupposition organique de ses concepts fondamentaux, et avec ce système, la plupart de ces concepts eux-mêmes) pour aller fonder ‹dans un autre élément›, dans le champ d’une nouvelle problématique, scientifique, l’activité de la nouvelle théorie » (PM, 196). Il est généralement connu qu’Althusser conçoit une « coupure épistémologique » (PM, 25) pour désigner ce passage d’une connaissance à l’autre. Une fois née, la science possèderait un fonctionnement particulier. Elle mettrait en parenthèses les apparences sensibles pour dévoiler « l’essence cachée des phénomènes, de leur intériorité essentielle » (LLC, 262). La science ne produirait pas des connaissances empiriques, elle procèderait par abstraction et démonstration. De plus, elle devrait contenir « une théorie systématique, qui embrasse la totalité de son objet » et saisir « le ‹lien intérieur› qui relie les essences (réduites) » (ibid.). Loin de procéder à une simple abstraction, la science effectuerait une « distinction du réel et de lapensée » (LLC, 266). La théorie de la science, le premier Althusser l’appelle théorie des pratiques théoriques ou bien « Théorie » avec majuscule (cf. PM, 169). Selon lui, le mérite de Marx consiste non seulement dans le passage de l’idéologie à la science, mais aussi dans la réalisation d’une coupure dans la Théorie (cf. LLC, 357 passim).

La conception de la rupture épistémologique commence à faire l’objet de la critique d’Althusser à partir de 1966 et connaît son apogée en 1972. Les Eléments d’autocritique[8] s’attaquent à une «tendance théoriciste» (EA, 85), « une interprétation rationalistede la ‹coupure› opposant la vérité à l’erreur sous les espèces de l’opposition spéculative de ‹la› science et de ‹l›’idéologie en général, dont l’antagonisme du marxisme et de l’idéologie bourgeoise devenait ainsi un cas particulier » (EA, 14-15). Le rationalisme, sans doute présent dans les premiers écrits d’Althusser, est ici présenté d’une manière caricaturale et forme ainsi la raison pour laquelle Althusser veut mettre en évidence dès lors une idée déjà souterrainement présente dans ses travaux antérieurs : que la rupture épistémologique de Marx doit être fondée dans la lutte des classes. La science devrait maintenant fournir « des connaissances objectives » (EA, 23), « vérifiables par pratique scientifique et politique » (EA, 23-24). Cette science serait révolutionnaire : « une science dont les révolutionnaires peuvent se servir pour la révolution, mais une science dont ils peuvent se servir parce qu’elle est, dans le dispositif théorique de ses concepts, sur des points théoriques de classe révolutionnaires» (EA, 64). De cette conception modifiée de la science découle également une re-théorisation de l’idéologie qui en fait une qualification assignée par la science. Cette assignation, qu’Althusser soutient dès le début de son tournant politiciste en 1966, « n’est possible que sous la rétrospection d’une connaissance non idéologique ».[9] Selon cette vision, il serait – écrit Althusser un an plus tard en 1967 – « l’existence de la science elle-même qui instaure dans l’histoire des théories cette ‹coupure› à partir de laquelle il est possible de déclarer idéologique sa préhistoire ».[10]

Ces rectifications autocritiques d’idéologie et de science sont la scène sur laquelle survient dans la réponse d’Althusser à John Lewis[11] l’idée de la philosophie comme « lutte de classe dans la théorie » (RJL, 11). Cette conception prend le relais de celle de Théorie qui est maintenant jugée indéfendable à cause de « l’équivoque, qui unit sous un seul et même vocable et la pratique scientifique et la pratique philosophique, et induit par là l’idée que la philosophie puisse être (une) science » (EA, 96). La coupure épistémologique ne recouvrirait que la partie scientifique de la révolution opérée par Marx. A partir de 1966, la composante philosophique de cette révolution gagne successivement en importance pour Althusser. En 1972, il se reproche d’avoir sous-estimé la philosophie politiquement par « le système de la ‹double représentation›, égalitaire, auprès des Sciences et de la Politique » (EA, 100). Non seulement la politique devrait maintenant l’emporter sur la science, mais la philosophie serait aussi proprement politique. Elle représenterait « la politique dans la théorie » (RJL, 56). Enracinée dans la réalité de la lutte de classe économique, la philosophie tracerait constamment une ligne de démarcation par rapport à l’idéologie. L’opposition devient ainsi le fondement primaire de la théorie d’Althusser qui semble peut consciente du risque de réduire tout effort théorique à des « effets de démarcation, c’est-à-dire de position dans l’opposition ».[12] Selon les Eléments d’autocritique, Marx « ne pouvait rompre avec l’idéologie bourgeoise dans son ensemble qu’à la condition de s’inspirer des prémisses de l’idéologie prolétarienne, et des premières luttes de classes du prolétariat, où cette idéologie prenait corps et consistance. Voilà l’‹événement› qui, derrière la scène rationaliste de l’opposition entre la ‹vérité positive› et l’illusion idéologique, donnait à cette opposition sa dimension historique véritable. » (EA, 45) Déjà en 1969, Althusser – dans son manuscrit Sur la reproduction[13] – va dans ce sens : « Il n’est […] pas possible – et Lénine l’a admirablement compris et montré – ni de comprendre, ni à plus forte raison d’exposer et de développer la théorie marxiste, même sur tel point limité, si on ne se place pas sur des positions de classe prolétariennes dans le domaine de la théorie. » (SR, 21)

Ce « léninisme », prétendument en cause avec la théorie marxiste (cf. EA, 33), annonce une nouvelle position épistémologique dans l’interprétation althussérienne de la critique de l’économie politique. En associant politique et épistémologie, Althusser soutient que la possibilité de connaissance de Marx est proprement politique, que seule une certaine position politique adoptée d’avance garantit cette connaissance. Certes, l’autocritique althussérienne a quelques mérites. Elle est anti-dogmatique et courageuse, notamment face à un mouvement communiste dans lequel ce geste est devenu rituel insipide. De plus, avec la rectification de ses propos de la première moitié des années 1960, Althusser s’attaque à un vrai problème de sa théorie, à savoir une conception rationaliste de la science procédant par abstraction et démonstration et manifestement inspirée de la mathématique et non des sciences expérimentales. Finalement, les Eléments d’autocritique présentent un enjeu théorique important : l’articulation de l’histoire sociale et du savoir, généralement négligée dans les approches habituelles de la théorie des sciences. Mais tandis que le manuscrit Sur la reproduction proposait encore une conception élaborée de cette articulation,[14]Althusser retombe dans son autocritique dans le déterminisme et ainsi dans le stalinisme théorique qui a été au centre de la critique de son travail précédent.

Réduction de la critique de l’économie politique sur la lutte des classes

Il n’est sans doute pas faux de constater – comme Althusser le fait en 1972 – qu’ « il n’est guère question de la lutte des classespour elle-même dans Pour Marx et Lire le Capital » (EA, 94). Reste à savoir dans quelle mesure ce fait devrait mettre en question les propos de ces livres. Sur ce point, Althusser nous laisse sur notre faim. Une reconstruction de ses propos sur les classes permet d’y voir plus clair.

En 1972, Althusser suggère que la « lutte des classes n’est pas l’effet dérivé de l’existence des classes, qui existeraientantérieurement (en droit et en fait) à leur lutte : la lutte des classes est la forme historique de la contradiction (interne à un mode de production) qui divise les classes en classes ». Selon lui, il y a un « primat de la contradiction sur les contraires qui s’affrontent, qui s’opposent », raison pour laquelle il fallait « mettre la lutte des classes au premier rang » (RJL, 29-30). Ici, la dimension dynamique du concept de classe l’emporte sur sa dimension structurelle.[15] Cette position semble difficilement conciliable avec la critique de l’économie politique et ceci pour deux raisons. Théoriquement, Le Capital consiste au fond dans une analyse d’une socialisation par le marché. Ce dernier présente une domination systémique – dans le livre premier[16] nous trouvons l’expression idoine de « la contrainte muette des rapports économiques » (C1, 829) – pour tous les acteurs sociaux peu importe leur appartenance de classe, même si les conséquences qui en résultent peuvent être considérables. Marx concentre ses efforts sur la dimension structurelle de la société existante ce qui ne veut évidemment pas dire qu’il omet son aspect dynamique : « La lutte entre le capitaliste et le travailleur salarié commence avec l’existence du rapport capitaliste proprement dit. » (C1, 479) Mais cette lutte, Le Capital ne l’évoque qu’en passant (lutte pour la journée de travail normale, lutte entre l’ouvrier et la machine, accumulation initiale etc.) et nous n’en trouvons point de recherche systématique ou de définition conceptuelle. Certes, il y a des passages euphoriques sur la lutte des classes, ne pensons qu’à ces quelques pages fameuses sur la « Tendance historique de l’accumulation capitaliste » (cf. C1, 854-857). Cependant, celles-ci impliquent non seulement une philosophie de l’histoire, qu’Althusser rejette pour des bonnes causes, mais contredisent aussi certains acquis de l’analyse marxienne parcourue auparavant.[17] La deuxième raison pour laquelle le propos d’Althusser sur les classes est en tension avec la critique de l’économie politique est de l’ordre de l’exposition. En fait, Le Capital procède d’une manière directement inverse à la revendication d’Althusser. Les classes qui devraient être « une seule et même chose » (RJL, 29-30) avec leur lutte, ne sont qu’évoquées systématiquement à la fin du troisième livre[18] et ici le manuscrit s’interrompt après deux pages (cf. C3, III, 259-260). Il est certes oiseux de spéculer sur ce que Marx aurait pu écrire dans son paragraphe inachevé. Une recherche sur les classes doit donc s’appuyer sur ce que les trois livres du Capital retiennent en passage. Mais ces indications vont beaucoup plus dans le sens structurel du concept des classes (sans procéder au réductionnisme althussérien évoqué) confirmant ainsi notre première objection. Néanmoins, la place de ces quelques lignes explicites sur les classes nous indiquent que pour Marx, leur analyse systématique ne peut se faire qu’à un certain niveau, i.e. celui du « procès d’ensemble du capital », et non pas au premier rang.[19] Nous voyons donc comment l’idée qu’Althusser se fait de la lutte des classes peut mettre en question les propos de Pour Marx et de Lire le Capital, livres qui s’efforcent beaucoup de traiter des questions de structure dans l’analyse de Marx et qui ont rapportées à Althusser le reproche malheureux du structuralisme.

A côté de son exposé sur la lutte des classes, un autre propos althussérien concernant un concept fondamental de la critique de l’économie politique semble méconnaître la théorie de Marx. Ce propos est également inspiré de l’importance accrue qu’Althusser attribue à la contradiction des classes à partir de la deuxième moitié des années 1960 et il concerne le concept de mode de production. Selon Althusser, nous avons en celui-ci à faire au concept central de la science du continent-Histoire inaugurée par Marx. Articulant les forces productives avec les rapports de production et ayant ces derniers comme déterminant, le mode de production devrait nous confronter au premier plan à une problématique d’exploitation. Le Capital de Marx mettrait « l’accent […] sur les Rapports de production, dont le primat est affirmé sans contestation » (SR, 248) et ces rapports seraient avant tout « des rapports de répartition unilatérale des moyens de production entre ceux qui les détiennent d’une part, et ceux qui en sont dépourvus d’autre part, cette répartition des moyens de production déterminant la répartition des produits » (SR, 52). Ce propos n’est pas faux, mais réductionniste, ce que démontre particulièrement la phrase suivante d’Althusser : « nous savons ce qui caractérise en dernière instance un mode de production, ce sont ‹les rapports de production et d’échange qui sont les siens› (Marx), et comme les rapports d’échange sont fonction des rapports de production, ce sont donc les rapports de production » (SR, 180). Marx, par contre, vise – comme le prouve le deuxième livre du Capital – avec son concept une réalité beaucoup plus complexe : « Le capital, étant de la valeur qui se met en valeur, n’implique pas seulement des rapports de classe, ou un caractère social déterminé reposant sur l’existence du travail comme travail salarié : c’est un mouvement, un procès cyclique traversant différents stades et qui lui-même implique à son tour trois formes différentes du procès cyclique. C’est pourquoi on ne peut le comprendre que comme mouvement, et non pas comme une chose au repos. Ceux qui considèrent l’avènement à une existence indépendante de la valeur comme une pure abstraction oublient que le mouvement du capital industriel est cette abstraction in actu [en action]. » [20] Le mode de production capitaliste inclut donc – comme l’écrit Marc Abélès dans le Dictionnaire Critique du Marxisme – « un ensemble complexe de relations […]. L’élément super-structurel est investi dans la forme même de la production. Construire le concept de mode de production n’implique pas seulement qu’on décrive des ‹régions› ou qu’on additionne des ‹instances› ou des ‹fonctions›. Il s’agit de restituer les conditions et les effets de cette articulation complexe ».[21] Avec Marx, nous pouvons donc soutenir que le mode de production, bien qu’il ne soit pas identique avec le concept de société (qui inclut l’état, les relations de sexes etc.), est ce que le premier Althusser appelle un « Tout complexe structuré » (PM, 198), déterminé en dernière instance par le rapport de production, déterminante dont « l’heure solitaire […] ne sonne jamais » (PM, 113). Pour l’Althusser politiciste par contre le mode de production et le rapport de production ne sont qu’un. « L’élément super-structurel »[22] ne serait qu’un appendice à l’analyse de Marx qui s’occuperait de la production, sphère dans laquelle a lieu l’exploitation et qui importe particulièrement à Althusser.

La régression de l’interprétation du Capital

Après avoir vu comment la réduction de la critique de l’économie politique sur la lutte des classes se heurte à la théorie de Marx, je me propose, à partir de deux textes, d’explorer plus concrètement les atteintes à la structure théorique du Capital qui découlent de ce qu’Althusser conçoit comme la prise en compte de « la mesure, exceptionnelle, du rôle de la lutte des classes dans la philosophie de Marx et dans le dispositif conceptuel du Capital lui-même » (EA, 64). Les deux textes en question sont un avertissement d’Althusser au premier livre du Capital de 1969[23] et son avant-propos à un livre de Gérard Duménil de 1977.[24] Les offenses concernent l’exposition, le rapport entre l’historique et le conceptuel, le fétichisme ainsi que la lutte des classes.

Dans son avertissement, Althusser donne la « recommandation impérative » de « mettre PROVISOIREMENT ENTRE PARENTHÈSES TOUTE LA SECTION I ; et [de] COMMENCER LA LECTURE PAR LA SECTION II » (AV, 13), c’est-à-dire d’affronter le livre de Marx par la discussion de la formule générale du capital et de ces contradictions qui donnent lieu à l’analyse de l’achat et de la vente de la force de travail, bref à la théorie de la plus-value. Althusser nous conseille ceci parce qu’il soutient que les premiers chapitres sont pris « dans une conception hégélienne de la science (pour Hegel il n’est de science que philosophique, et à ce titre toute vraie science doit fonder son propre commencement), Marx pensait alors que, ‹en toute science, le commencement est ardu› » (AV, 19). De cette influence, Althusser veut « en tirer la conséquence, ce qui suppose à la limite qu’on ré-écrive la section I du Capital, de façon qu’elle devienne un ‹commencement› qui ne soit plus du tout ‹ardu›, mais simple et facile » (AV, 22). Comme point de départ pour cette entreprise, Althusser nous propose « la reproduction des conditions de la production » (AV, 19) qui devrait être décrite lucidement dans une lettre de Marx à son ami Kugelmann de 1868 : « Le bavardage sur la nécessité de démontrer la notion de la valeur ne repose que sur une ignorance totale, non seulement de la question dont il s’agit, mais aussi de la méthode scientifique. N’importe quel enfant sait que toute nation crèverait, qui cesserait le travail, je ne veux pas dire pour un an, mais ne fût-ce que pour quelques semaines. »[25] Althusser ne cite pas la suite de cette lettre qui en est la seule partie qui traite explicitement de l’exposition : « Il appartient précisément à la science de développer comment agit cette loi de la valeur. Si l’on voulait donc débuter en ‹expliquant› tous les phénomènes qui en apparence contredisent la loi, il faudrait pouvoir fournir la science avant la science. »[26]Le livre de Marx ne peut pas fournir cette science avant la science. Il doit se contenter de l’y introduire de manière compréhensible et sérieuse ce que Poulantzas a justement souligné : « La science est un discours démonstratif, dans lequel l’ordre d’exposition et de présentation des concepts tient de leurs rapports nécessaires qu’il convient de faire apparaître : c’est cet ordre qui relie les concepts et attribue à la discursivité scientifique son caractère scientifique. »[27] Mais avec son idée de partir de la reproduction, Althusser rejette cette systématicité marxienne. La raison de ce rejet est qu’Althusser identifie à partir de son autocritique la méthode marxienne au rationalisme et à l’idéalisme. Ainsi, il n’est plus capable de penser une systématicité non-déductive et rend impossible toute discussion du rapport entre la méthode de Marx et son objet. Dans ce rapport, il s’agit d’une détermination (de l’objet sur la méthode) comme Fred Schrader et Helmut Brentel l’ont démontré sans présupposer un idéalisme hégélien quelconque.[28] De plus, Althusser n’arrive ni à proposer une alternative méthodique, ni à concevoir une analyse non-abitraire. Ainsi, les textes qu’il propose pour une réécriture du Capital sont ceux qui devraient être les moins influencés d’Hegel, mais qui manquent en même temps toute systématicité : la « Critique du programme de Gotha » et les « Notes marginales pour le Traité d’économie politique d’Adolphe Wagner » (cf. AV, 21). Enfin, Althusser conçoit la procédure marxienne simplement comme « positionde concept, inaugurant l’exploitation (analyse) de l’espace théorique ouvert et fermé par cette position, puis par position d’un nouveau concept, élargissant le champ théorique, et ainsi de suite : jusqu’à la constitution de champs théoriques d’une extrême complexité structurelle » (AP, 257). Ainsi devraient résulter le concept de valeur, de capital, de production capitaliste etc., de « la contingence du commencement de Marx » (AP, 262). Avec ces propos, Althusser méconnaît complètement ce que Marx – dans une lettre à Lassalle en 1858 – exige avec son exposition : « à la fois un tableau du système [de l’économie bourgeoise], et la critique de ce système par l’exposé lui-même ».[29] C’est justement l’ordre de cet exposé qui fait apparaître que les formes catégorielles de l’économie bourgeoise sont des transformations (Verkehrungen) : « Par sa démonstration de la constitution réelle des formes de l’objet économique et leur restitution au cours de son analyse, elle [la théorie des formes économiques de Marx, K.L.] accomplit en même temps la critique fondamentale de la société bourgeoise. »[30]

La deuxième atteinte althussérienne au Capital découle de l’affirmation qu’on y trouverait deux logiques opposées : un « intérieur » qui consisterait dans l’exposition des concepts et un « extérieur » allant « de la valeur d’usage à la productivité du travail et à la lutte des classes » (AP, 261). Ces parties historiques du livre de Marx devraient rompre avec l’idée hégélienne de la science, de la méthode et de la dialectique en mettant en avant la question clé de l’exploitation.[31] Marx, n’ayant prétendument traité de ce sujet que dans « l’intériorité du champ conceptuel défini par les trois grands concepts de marchandise, de capital et de production capitaliste » (AP, 260), aurait risqué de « réduire l’exploitation au simple décompte de la plus-value, en laissant à l’‹extérieur› et les conditions de travail (premier ‹extérieur›), et les conditions de la reproduction de la force de travail (second ‹extérieur›), cette marchandise qui n’est ni produite ni consommée comme les autres marchandises, et qui […] est partie et enjeu dans la lutte des classes (troisième et dernier ‹extérieur›) » (AP, 262). Ici encore, la position d’Althusser ne semble que difficilement conciliable avecLe Capital qui n’oppose point les deux logiques en question bien que leur développement puisse l’être.[32] Il les articule, faisant ainsi de l’exposition conceptuelle un système ouvert à l’histoire concrète. L’exemple le plus instructif en est la valeur de la force de travail que Marx détermine comme celle de toute autre marchandise par le temps nécessaire à sa production, donc à sa reproduction. Cette détermination est variable selon tout changement de la valeur des moyens nécessaires à l’entretien de la force de travail et celui de la quantité des moyens considérés comme nécessaires pour cette reproduction. Marx conçoit conséquemment un « élément historique et moral » (C1, 193). Le propos d’une tension entre le conceptuel et l’historique est d’autant plus absurde qu’une bonne partie des connaissances de Marx reposent sur leur articulation. Pour l’exemple évoqué, nous pouvons retenir que seul le développement conceptuel parcouru jusqu’à la théorie de la valeur de la force de travail nous montre que la valeur d’une marchandise, dont la force de travail n’est qu’un exemple particulier, se définit par le temps de travail nécessaire à sa production ou sa reproduction.

La troisième offense d’Althusser au Capital est celle qui est la plus directement liée à sa nouvelle position épistémologique à partir de la fin des années 1960 : les positions théoriques de classe. Selon lui, il y a un groupe social qui est favorable à l’occupation de ces positions. Les prolétaires, écrit-il en 1968, auraient « un ‹instinct de classe› qui leur facilite le passage sur les ‹positions de classe› prolétariennes », tandis que les intellectuelles auraient « un instinct de classe petit-bourgeois qui résiste farouchement à ce passage ».[33] D’où vient cet instinct ? Althusser soutient que les ouvriers « ont ‹par nature› un ‹instinct de classe› formé par la rude école de l’exploitation quotidienne » (AV, 25), par « la réalité quotidienne à laquelle ils ont affaire » (AV, 8), par « l’expérience directe de l’exploitation capitaliste » (AV, 9). En effet, les prolétaires « ne peuvent pas ne pas voir cette exploitation, puisqu’elle constitue leur vie quotidienne » (AV, 25). Ce propos est totalement étranger au Capital qui ne conçoit point de lien entre un point de vue épistémique privilégié et une position sociale. Selon la critique de l’économie politique, tous les acteurs sociaux sont exposés aux illusions qu’Althusser voit uniquement régner sur l’esprit des intellectuels. Ce phénomène, Marx l’appelle fétichisme. Celui-ci repose sur le fait que la forme-marchandise « renvoie aux hommes l’image des caractères sociaux de leur propre travail comme des caractères objectifs des produits du travail eux-mêmes, comme des qualités sociales que ces choses posséderaient par nature : elle leur renvoie ainsi l’image du rapport social des producteurs au travail global, comme un rapport social existant en dehors d’eux entre des objets. C’est ce quiproquo qui fait que les produits du travail deviennent des marchandises, des choses sensibles supra-sensibles, des choses sociales. » (C1, 82-83) Les rapports, que le capitalisme installe entre les hommes, apparaissent donc comme des rapports entre les choses. Mais il ne s’agit pas d’une simple apparence ou conscience : le fétichisme « adhère aux produits de travail dès lors qu’ils sont produits comme marchandises » (C1, 83). Il est donc inscrit dans la praxis des hommes. Les « formes de pensée » fétichistes ont « une validité sociale, et donc une objectivité, pour les rapports de production de ce mode de production social historiquement déterminé qu’est la production marchande » (C1, 87). Dans Le Capital, Marx analyse plusieurs fétiches, en outre celui du salaire. Selon lui, le travail crée de la valeur mais n’en a pas en lui-même. Le « rapport essentiel » qui est renfermé dans « la forme phénoménale ‹valeur et prix du travail› ou ‹salaire› » est la valeur et le prix de la force de travail. Tandis que les formes de pensée mystifiées « se reproduisent d’une façon immédiatement spontanée, comme idées reçues et formes de pensée courantes », ce rapport essentiel « ne peut d’abord être découvert que par la science » (C1, 607). Les formes de conscience spontanée font que dans le travail salarié « même le surtravail, ou travail non payé, apparaît comme payé » (C1, 604-605). Et Marx poursuit : « C’est sur cette forme phénoménale qui rend invisible le rapport réel et qui en montre même rigoureusement le contraire que repose l’ensemble des représentations juridiques du travailleur aussi bien que du capitaliste, toutes les mystifications du mode de production capitaliste, toutes ses illusions de liberté, toutes les sornettes apologétiques de l’économie vulgaire. » (C1, 605)Pour Marx, c’est « la vie quotidienne » (C1, 602) qui nous donne la catégorie du prix du travail, donc justement la réalité qui fait, selon Althusser, que les travailleurs devraient s’apercevoir de leur exploitation. Le Capital constate donc que l’exploitation devient invisible avec le salaire parce que même le surtravail apparaît comme payé. Pour Althusser, cette représentation, issue des rapports économiques, est une « mystification bourgeoise qui déclare que le ‹travail› de l’ouvrier est ‹payé à sa valeur› », un piège, « où la bourgeoisie essaie de prendre la conscience ouvrière pour détruire en elle toute volonté de lutte des classes organisée » (AV, 16). Selon cette idée, la bourgeoisie est le producteur conscient d’une tromperie qu’elle injecte dans la conscience de la classe ouvrière pour satisfaire à son « intérêt à travestir les rapports de classe » (SR, 69). Tandis que Marx analyse une forme de pensée qui résulte des structures du mode capitaliste de production même et qui affecte le travailleur « aussi bien que [le] capitaliste » (C1, 605), Althusser part de l’idée d’idéologues conceptistes.

La dernière atteinte althussérienne au Capital concerne la lutte des classes et découle de sa conception épistémologique que nous venons de voir. Pour Althusser, la lutte de classe prolétarienne s’élève « contre cette mystification » (SR, 68) que présente le salaire. Marx par contre suggère que la lutte des classes se déroule d’abord entièrement dans les représentations juridiques qui reposent sur la forme phénoménale de la valeur ou du prix du travail. Ainsi, il retient pour le premier exemple d’une lutte de classes dans Le Capital, la lutte pour la journée de travail normale : « Le capitaliste se réclame de son droit d’acheter quand il cherche à rendre la journée de travail aussi longue que possible et à faire deux journées de travail en une seule. D’un autre côté, la nature spécifique de la marchandise vendue implique une limitation de sa consommation par l’acheteur, et le travailleur se réclame de son droit de vendeur quand il veut limiter la journée de travail à une grandeur normale déterminée. Il y a donc ici une antinomie, droit contre droit, l’un et l’autre portant sceau de la loi de l’échange marchand. Entre des droits égaux, c’est la violence qui tranche. Et c’est ainsi que dans l’histoire de la production capitaliste, la réglementation de la journée de travail se présente comme la lutte pour les limites de la journée de travail. Lutte qui oppose le capitaliste global, c’est-à-dire la classe des capitalistes, et le travailleur global, ou la classe ouvrière. » (C1, 261-262) Selon Le Capital, la lutte de classe est donc d’abord immanente au mode capitaliste de production. La classe ouvrière ne cherche pas à en finir avec la forme salariale même, mais se retire sur une position de droit, fondée dans le rapport social du capital.[34] Althusser méconnaît ce problème en défendant que le défaut de la lutte de classe réside dans sa restriction à l’économie, excluant ainsi une lutte politique (cf. AV, 16), et non pas dans son attachement à la forme salariale.

Retour sur le premier Althusser

L’importance accrue de la lutte des classes dans la réflexion d’Althusser à partir de 1966, où il veut se débarrasser de sa conception rationaliste de la science, est responsable des bévues théoriques importantes que nous venons de démontrer. Pourtant, il y a une autre issue au problème du rationalisme du premier Althusser. Celle-ci consiste dans une radicalisation matérialiste de sa conception de science et une réconciliation de ses premières réflexions épistémologiques avec la théorie de la valeur et du fétiche. Notamment l’école anglaise critical realism ainsi que Jacques Rancière dans sa contribution à Lire le Capital, un texte qui a été supprimé par Althusser dans l’édition en format « de poche » du livre (cf. LLC, XI), se sont charger de remplir ces tâches.

Nous avons vu plus haut qu’Althusser nous propose dans la première moitié des années 1960 une conception anti-empirique de la science. Tandis que dans l’idéologie règne une problématique empiriste et idéaliste, la science s’obtient en abandonnant « le domaine où l’idéologie croit avoir affaire au réel » (PM, 196). Ainsi, la science procède par la mise en question des apparences sensibles et en dévoilant leur essentiel, c’est-à-dire en faisant abstraction de l’empirie. Cette science ne se justifie pas par rapport à la réalité mais seulement par rapport à des critères théoriques. C’est justement ici que se trouve le « théoricisme » d’Althusser qui ne peut pas réclamer l’héritage de Marx sur ce point. Car pour ce dernier, il est justement la réalité apparente qui donne aux essences une validité sociale. Derek Sayer soutient à ce propos que « l’abstraction de Marx […] ne prend pas la forme d’ ‹extraction›, comme Althusser le conçoit, mais de ce que je devrais nommer une critique ».[35] L’autocritique althussérienne semble plutôt porter sur une conception de science ricardienne. Marx critique celle-ci pour son abstraction formelle des phénomènes. En fait, Ricardo identifie les abstractions immédiatement à l’essence sans questionner le mécanisme par lequel cette dernière apparaît. Rancière conclut que cela « tient à ce que n’ont pas été pensées les conditions de possibilité de cette unité [entre l’essence et sa forme d’apparition, K.L.], à ce que le moteur du système n’a pas été découvert » (LLC, 152). Marx se sépare de Ricardo « dans l’analyse même, dans la manière de rechercher l’unité et de déterminer son mode d’existence […]. Seule l’analyse de forme que mène Marx permet le second moment, le développement génétique [de la forme, K.L.]. » (LLC, 169)

Philosophiquement par contre, les propos du premier Althusser sont à la hauteur de la conception marxienne de la science. Lire le Capital rejette surtout toute interprétation historiciste ainsi que Rancière peut noter : « La différence entre Marx et Ricardo n’est pas entre un système posé comme éternel et un système historique où les catégories auraient été affectées d’un signe + (signe de leur historicité). Seul Marx parvient à faire un système au sens kantien du terme. Il n’y a qu’une manière pour l’économie politique d’être systématique, c’est d’accéder à ce type d’objectivité radicalement nouveau, que Marx détermine dès le premier chapitre duCapital. » (LLC, 170) L’Althusser de 1965 rejette également l’empirisme mais malheureusement sans déterminer correctement le procédé anti-empiriste de Marx. Celui-ci consiste d’abord dans une identification de ce que le capitalisme a en commun avec d’autres modes de production. Sur ce point, Marx conclut à des abstractions simples : la production en général. Ensuite, il peut poser la question de pourquoi ce contenu général prend une forme spécifique dans le capitalisme. Marx prend au sérieux ce que Rancière appelle « la relation du phénomène à l’objet transcendantal » (LLC, 128) et met en lumière une « relation d’inversion entre la détermination scientifique et la forme phénoménale, qui est pour lui une loi générale de la scientificité » (LLC, 145). Sa critique procède donc à ce que Sayer désigne « réalisme transcendantal ».[36]

Dans son autocritique, Althusser ne reconnaît pas les raisons théoriques pour son « théoricisme » mais en présente une critique qui aggrave sa bévue sur la théorie de Marx. En s’attaquant au fétichisme et à l’exposition il met en question ce qui est en corrélation théorique avec cette objectivité radicalement nouvelle découverte par la critique de l’économie politique. Et ceci, parce que – comme le soutient Rancière – l’analyse de la forme marchandise a montré que « la chose, l’objet, était le support d’un rapport, que la méconnaissance de cette fonction de support, du caractère sensible-suprasensible de la chose, transformait enpropriété naturelle de la chose ce qui était l’expression d’un rapport social » (LLC, 179). En effet, « les rapports qui déterminent le système capitaliste ne peuvent exister que dans la forme de leur dissimulation. La forme de leur réalité est la forme où disparaît leur mouvement réel » (LLC, 191), bref le fétichisme. L’exposition du Capital est également une conséquence de la découverte marxienne de l’objectivité sociale de la marchandise. Ainsi, le développement des catégories par contradiction, accusé par Althusser d’être un hégélianisme, se résout au simple mode d’efficace propre de la structure, c’est-à-dire à son existence même. Rancière en conclut : « De la sorte, il nous faut peut-être donner au concept de contradiction une valeur purement indicielle ; Marx penserait dans les concepts hégéliens de contradiction et de développement de la contradiction quelque chose de radicalement nouveau dont il n’arrivait pas à formuler le concept : le mode d’action de la structure en tant que mode d’action des rapports de production qui la gouvernent. » (LLC, 131) Il n’est donc pas question d’hégélianisme dans Le Capital. Le rapport entre la méthode de Marx et son objet, entre l’exposé et la critique du système de l’économie bourgeoise, que nous avons déjà soutenu plus haut, se fonde dans la conversion des moyens de production en capital, du travail utile en travail créateur de valeur, opéré dans le procès de la production capitaliste. Et c’est à cause de cette conversion « que les caractéristiques du mode de production capitaliste peuvent se trouver déjà incluses (eingeschlossen) dans la simple forme marchandise du produit du travail » (LLC, 142). Contre l’autocritique althussérienne nous devons retenir que la théorie du fétiche et l’exposition du Capital sont deux manières d’honorer l’exigence anti-empirique de la science matérialiste justement souligné par Althusser.

De la Théorie de Marx à sa réhabilitation

Les propos du premier Althusser n’ont pas seulement des mérites philosophiques. Il me semble qu’ils contiennent aussi quelque chose dont l’Althusser autocritique dément le droit d’existence : une Théorie de Marx, ou pour le dire plus modestement, son début. Marx renonce justement aux problématiques idéologiques de l’économie politique classique – avec Michael Heinrich nous pouvons soutenir qu’il s’agit d’anthropologie, d’individualisme, d’anhistoricisme et d’empirisme[37] – pour fonder « ‹dans un autre élément›, dans le champ d’une nouvelle problématique, scientifique, l’activité de la nouvelle théorie » (PM, 196). La critique de Marx est constructiviste, sociocentrique et historique (non pas historiciste). Althusser s’exprime de manière adéquate dans Lire le Capitalquand il propose que l’effet de connaissance d’idéologie et de la science serait déterminé « par l’intelligence de son mécanisme » (LLC, 79). Les Eléments d’autocritique encaissent l’enjeu théorique considérable de cette définition et régressent sur une théorie du point de vue, c’est-à-dire « des positions théoriques de classe révolutionnaires » (EA, 64). La différentiation entre science et idéologie est maintenant liée à la politique. Mais si tout se résout à la politique, la Théorie qui détermine la différence spécifique entre plusieurs modes du savoir n’est plus nécessaire. En même temps, l’autocritique d’Althusser semble confondre les deux critiques que présente l’œuvre de Marx, la critique de la connaissance et la critique politique. Mais leur rapport doit être considéré comme beaucoup moins sévère qu’il l’était dans l’écrasante majorité de la tradition marxiste. Heinrich note justement sur ce point : « Nous devons distinguer […] la critique politique des rapports capitalistes de la critique scientifique du ‹point de vue› de l’économie politique, de la construction de son objet théorique. Cette critique politique n’est nullement la présupposition des résultats scientifiques. Elle est leur conséquence. »[38]

La valeur d’usage de l’interprétation althussérienne de la critique de l’économie politique est étrangement ambivalente. Tandis quePour Marx et Lire le Capital disposent d’une force philosophique considérable, même si celle-ci ne recouvre pas toujours l’entreprise marxienne, la lecture althussérienne de Marx devient insupportablement plate à partir de 1966. Il est courant aujourd’hui de lier l’œuvre d’Althusser à sa conjoncture politique. Peut-être que la régression de son interprétation de Marx est liée véritablement à une importance accrue de questions politiques dans le marxisme français à la fin des années 1960. Sève a récemment souligné comment ce développement a joué en défaveur des questions théoriques. Mais si ces lectures-de-parti de Marx « mêlaient trop souvent enthousiasme pour les idées et négligence envers les textes, lucidité sur la portée des réponses qu’ils proposent et aveuglement sur bien des questions qu’ils appellent »,[39] le cas théorique d’Althusser doit être reconsidéré. Il s’agit d’une œuvre dont notamment le début dispose d’une valeur d’usage, mais qui régresse au fur et à mesure. Pour éviter cette régression, nous avons proposé une réhabilitation critique du premier Althusser. Elle se veut autant être une réhabilitation critique de Marx pour lequel l’intérêt s’est, sans justification, écroulé avec la chute de l’URSS.

Notes

[1] Kolja Lindner, La lecture symptomale de Louis Althusser – méthode et épistémologie de la critique de l’économie politique, master en histoire et théorie du politique, IEP Paris, 2006.
[2] Dominique Dhombres, « Le coup de folie du philosophe », Le Monde, 30/31 juillet 2006, p. 14.
[3] Dans plusieurs ouvrages collectifs importants consacrés à la théorie d’Althusser, tel que Politique et philosophie dans l’œuvre de Louis Althusser (PUF 1993), Denk-Prozesse nach Althusser (Argument 1994), Althusser : a critical reader (Blackwell 1994), Althusser philosophe (PUF 1997) et Sartre, Lukács, Althusser : des marxistes en philosophie (PUF 2005), seul un texte (Jacques Bidet, « La lecture du Capital par Louis Althusser », in Pierre Raymond dir., Althusser philosophe, pp. 9-29) en fait méritoirement exception.
[4] Cf. Lucien Sève, Penser avec Marx aujourd’hui. I. Marx et nous (La Dispute 2004), pp. 24-32 et pp. 131-136.
[5] Cf. ibid., p. 95 passim.
[6] Louis Althusser et al., Lire le Capital (PUF 1996), cité par la suite LLC.
[7] Louis Althusser, Pour Marx (La Découverte 1996), cité par la suite PM.
[8] Louis Althusser, Eléments d’autocritique (Hachette 1974), cité par la suite EA.
[9] Louis Althusser, « Conjoncture philosophique et recherche théorique marxiste », in Ecrits philosophiques et politiques II (STOCK/IMEC 1995), pp. 393-415, ici p. 409.
[10] Louis Althusser « La querelle de l’humanisme », in Ecrits philosophiques et politiques II (STOCK/IMEC 1995), pp. 433-532, ici p. 487.
[11] Louis Althusser, Réponse à John Lewis (François Maspero 1973), cité par la suite RJL.
[12] Louis Althusser, « Soutenance d’Amiens », in Solitude de Machiavel et autres textes (PUF 1998), pp. 199-236, ici p. 204.
[13] Louis Althusser, Sur la reproduction (PUF 1995), cité par la suite SR.
[14] Nous y lisons que les transformations de la philosophie seraient « en rapport avec un jeu complexe, mais incontestable, entre des transformations dans les rapports de classe et leur effets d’une part, et de grands événements de l’histoire des sciences d’autre part » (SR, 39), avec « la conjonction d’événements importants dans les rapports de classe et de l’Etat d’une part, et dans l’histoire des sciences d’autre part » (SR, 40). Ainsi, Althusser souligne à propos de l’exemple de la philosophie de Descartes : « Nous ne prétendons pas, qu’on nous entende bien, qu’on peut déduire la philosophie de Descartes de la conjonction de ces deux événements économico-politique et scientifique décisifs [développement des rapports juridiques marchands sous la monarchie absolue et fondation de la physique mathématique par Galilée, K.L.]. Nous disons seulement que la conjoncture, sous laquelle Descartes pense, est dominée par cette conjonction, qui la distingue radicalement de la conjoncture antérieure, par exemple celle sous laquelle les Philosophes italiens de la Renaissance avaient à penser. » (SR, 39)
[15] Les classes dans cette dimension structurelle sont au centre de la théorie althussérienne avant 1966. Mais déjà cette conception est redoutable parce que Pour Marx et les contributions d’Althusser à Lire le Capital ne savent pas quoi faire de la théorie de la valeur bien qu’ils soient philosophiquement à sa hauteur. Le premier Althusser conçoit le capitalisme uniquement à partir de la plus-value. Ce réductionnisme de classe se transforme à la fin des années 1960 dans un réductionnisme de la lutte des classes.
[16] Karl Marx, Le Capital. Critique de l’économie politique. Livre premier. Le procès de production du capital, traduction de la 4ème édition allemande (Messidor/Editions sociales 1983), cité par la suite C1.
[17] Cf. Michael Heinrich, Kritik der politischen Ökonomie. Eine Einführung (Schmetterling 2004), p. 200 passim.
[18] Karl Marx, Le Capital. Critique de l’économie politique. Livre troisième. Le procès d’ensemble de la production capitaliste, 3 tomes (Editions sociales 1974), cité par la suite C3.
[19] Michael Heinrich, Kritik…, op. cit., p. 195.
[20] Karl Marx, Le Capital. Critique de l’économie politique. Livre deuxième. Le procès de circulation du capital, 2 tomes (Editions sociales 1978), I, p. 97.
[21] Marc Abélès, « Mode de production », in Gérard Bensussan/Georges Labica (dir.), Dictionnaire Critique du Marxisme (PUF 1999), pp. 744-749, ici pp. 747-748.
[22] Nous avons avec cette terminologie topologique, d’ailleurs très peu utilisée par Marx mais largement repris par le marxisme, un bon exemple de ce que Lire le Capital dénonce constamment chez Marx, c’est-à-dire l’exemple d’un mot qui exprime mal le concept dont il est question. Car si la superstructure est investie dans la forme même de la production et si la structure détermine les rapports d’échange, il est hautement redoutable que cet ensemble complexe est décrit d’une manière adéquate par la référence à une topologie.
[23] Louis Althusser, « Avertissement aux lecteurs du livre I du Capital », in Karl Marx, Le Capital. Livre I. (Garnier-Flammarion 1969), pp. 7-26, cité par la suite AV.
[24] Louis Althusser, « Avant-propos du livre de G. Duménil, Le concept de loi économique dans ‹Le Capital› », in Solitude…, op. cit., pp. 245-266, cité par la suite AP.
[25] Karl Marx, Lettres sur « Le Capital » (Editions Sociales 1964), p. 229.
[26] Ibid., p. 230.
[27] Nicos Poulantzas, Pouvoir politique et classes sociales (François Maspero 1972), I, p.18.
[28] Fred E. Schrader, Restauration und Revolution. Die Vorarbeiten zum « Kapital » von Karl Marx in seinen Studienheften 1850-1858(Gerstenberg 1980), p. 134 passim et Helmut Brentel, Soziale Form und ökonomisches Objekt. Studien zum Gegenstands- und Methodenverständnis der Kritik der politischen Ökonomie (Westdeutscher Verlag 1989), p. 301 passim.
[29] Karl Marx, Correspondance, Tome 5 (Editions Sociales 1975), p. 143.
[30] Helmut Brentel, Soziale…, op. cit., p. 278.
[31] Cf. Louis Althusser, « Marx dans ses limites », in Ecrits philosophiques et politiques I (STOCK/IMEC 1994), pp. 357-524, notamment pp. 394-399.
[32] Ceci est le cas dans l’analyse du capital marchant dans le troisième livre du Capital (cf. C3, I, 297-298) ce qui néanmoins ne confirme pas la thèse althussérienne d’une contradiction entre l’analyse scientifique et l’histoire mais celle d’une opposition possible de leur déroulement. Dans Le Capital le cours de l’exposition et la genèse historique peuvent être inverses.
[33] Louis Althusser, « La philosophie comme arme de la révolution », in Positions (Editions Sociales 1976), pp. 35-48, ici p. 37.
[34] Cf. Evgeny B. Pašukanis, La théorie générale du droit et le marxisme (Etudes et documentation internationales 1970), p. 64 passim.
[35] Derek Sayer, « Science as Critique: Marx vs. Althusser », in Mephan, John/David-Hillel Ruben (dir.), Issues in marxist philosophy. Volume III: Epistemology, science, ideology (Harvester 1979), pp. 27-54, ici p. 36.
[36] Ibid., p. 37.
[37] Cf. Michael Heinrich, Die Wissenschaft vom Wert. Die Marxsche Kritik der politischen Ökonomie zwischen wissenschaftlicher Revolution und klassischer Tradition (Westfälisches Dampfboot 1999), p. 82.
[38] Ibid., p. 383.
[39] Lucien Sève, Penser…, op. cit., p. 25.

◆ El que busca, encuentra...

Todo lo sólido se desvanece en el aire; todo lo sagrado es profano, y los hombres, al fin, se ven forzados a considerar serenamente sus condiciones de existencia y sus relaciones recíprocasKarl Marx

Not@s sobre Marx, marxismo, socialismo y la Revolución 2.0

— Notas notables
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Moishe Postone: Il compito della teoria critica oggi: Ripensare la critica del capitalismo e dei suoi futuri — Blackblog Franco Senia
Pierre-Yves Quiviger: Marx ou l'élimination des inégalités par la révolution — Le Point
Hernán Ouviña: Indigenizar el marxismo — La Tinta
Emmanuel Laurentin: Les historiens américains et Karl Marx — France Culture
Adèle Van Reeth: Le Capital de Karl Marx: La fabrique de la plus-value — France Culture
Manuel Martínez Llaneza: Reproches a Marx acerca de El Capital (Bajo la égida de Friedrich Engels) — Rebelión
Victoria Herrera: Marx y la historia — Buzos
Alejandro F. Gutiérrez Carmona: La vigencia del pensamiento marxista — Alianza Tex
Víctor Arrogante: El Capital y las aspiraciones de la clase trabajadora — Nueva Tribuna
Mauricio Mejía: Karl Marx, el poeta de la mercancía — El Financiero
Emmanuel Laurentin: Karl Marx à Paris: 1843-1845 — France Culture
Jacinto Valdés-Dapena Vivanco: La teoría marxista del Che Guevara — Bohemia
Aldo Casas: El marxismo como herramienta para la lucha — La necesidad de la formación en la militancia — La Tinta
Evald Vasiliévich Iliénkov: La dialéctica de lo abstracto y lo concreto en El Capital de Marx — Templando el Acero
Vincent Présumey: Suivi des écrits de Karl Marx / 1837-1848 - Part I, Part II, Part III & Part IV — Mediapart
Roman Rosdolky: Marx ésotérique et Marx exotérique — Palim Psao
Lepotier: Marx, Marxisme, Cui bono? — Bella Ciao
Andrea Vitale: La critica di Pareto a Marx: una abborracciatura — Operai e Teoria
Annelie Buntenbach: Marx provides us with a glimpse behind the scenes of capitalism — Marx 200
Antoni Puig Solé: La Ley del Valor y la ecología en Marx — Lo que somos
Vladimiro Giacché: Note sui significati di "Libertà" nei Lineamenti di Filosofia del Diritto di Hegel — Il Comunista
Salvador López Arnal: Manuel Sacristán (1925-1985) como renovador de las tradiciones emancipatorias — Rebelión
Paúl Ravelo Cabrera: Marx, Derrida, el Gesto Político y la supercapitalización mundial — Scribb
Dino Greco: In difesa del marxismo — Sollevazione
Alberto Quiñónez: Arte, praxis y materialismo histórico — Rebelión
Josefina L. Martínez: Feminismo & Socialismo marxista - Eleanor Marx, la cuestión de la mujer y el socialismo — Rebelión
John Bellamy Foster: Marx y la fractura en el metabolismo universal de la naturaleza — Scribb
José Manuel Bermudo Ávila: Concepto de Praxis en el joven Marx — Scribb
Carlos Oliva Mendoza: Adolfo Sánchez Vázquez: ¿marxismo radical o crítica romántica? — InfoLibre
Bernardo Coronel: ¿El marxismo es una ciencia? — La Haine
Sylvain Rakotoarison: Le capitalisme selon Karl Marx — Agora Vox

— Notas y comentarios sobre El Capital
António Ferraz: Os 150 anos do livro ‘O Capital’, de Karl Marx — Correio do Minho
Horacio Tarcus: Traductores y editores de la “Biblia del Proletariado” - Parte I & Parte II — Memoria
Emmanuel Laurentin: Le Capital, toujours utile pour penser la question économique et sociale? — France Culture
J.M. González Lara: 150 años de El Capital — Vanguardia
Roberto Giardina: Il Capitale di Marx ha 150 anni — Italia Oggi
Alejandro Cifuentes: El Capital de Marx en el siglo XXI — Voz
Marcela Gutiérrez Bobadilla: El Capital, de Karl Marx, celebra 150 años de su edición en Londres — Notimex
Mario Robles Roberto Escorcia Romo: Algunas reflexiones sobre la vigencia e importancia del Tomo I de El Capital — Memoria
Antoni Puig Solé: El Capital de Marx celebra su 150° aniversario — Lo que Somos
Jorge Vilches: El Capital: el libro de nunca acabar — La Razón
Carla de Mello: A 150 años de El Capital, la monumental obra de Karl Marx — Juventud Socialista del Uruguay
Rodolfo Bueno: El Capital cumple 150 años — Rebelión
Diego Guerrero: El Capital de Marx y el capitalismo actual: 150 años más cerca — Público
José Sarrión Andaluz & Salvador López Arnal: Primera edición de El Capital de Karl Marx, la obra de una vida — Rebelión
Sebastián Zarricueta: El Capital de Karl Marx: 150 años — 80°
Marcello Musto: La durezza del 'Capitale' — Il Manifesto
Esteban Mercatante: El valor de El Capital de Karl Marx en el siglo XXI — Izquierda Diario
Michael Roberts: La desigualdad a 150 años de El Capital de Karl Marx — Izquierda Diario
Ricardo Bada: El Capital en sus 150 años — Nexos
Christoph Driessen: ¿Tenía Marx razón? Se cumplen 150 años de edición de El Capital — El Mundo
Juan Losa: La profecía de Marx cumple 150 años — Público
John Saldarriaga: El Capital, 150 años en el estante — El Colombiano
Katia Schaer: Il y a 150 ans, Karl Marx publiait ‘Le Capital’, écrit majeur du 20e siècle — RTS Culture
Manuel Bello Hernández: El Capital de Karl Marx, cumple 150 años de su primera edición — NotiMex
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Jérôme Skalski: Lire Le Capital, un appel au possible du XXIe siècle - L’Humanité
Sebastiano Isaia: Il Capitale secondo Vilfredo Pareto — Nostromo

— Notas y reportajes de actualidad
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Michel Husson: Marx, Piketty et Aghion sur la productivité — A l’encontre
Guido Fernández Parmo: El día que Marx vio The Matrix — Unión de Trabajadores de Prensa de Buenos Aires
Cest: Karl Marx y sus "Cuadernos de París" toman vida con ilustraciones de Maguma — El Periódico
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Laura "Xiwe" Santillan: La lucha mapuche, la autodeterminación y el marxismo — La Izquierda Diario
José de María Romero Barea: Hölderlin ha leído a Marx y no lo olvida — Revista de Letras
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Francisco Cabrillo: Cómo Marx cambió el curso de la historia — Expansión
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Marc Sala: El capitalismo se come al bar donde Marx y Engels debatían sobre comunismo — El Español

— Notas sobre debates, entrevistas y eventos
Fabrizio Mejía Madrid: Conmemoran aniversario de la muerte de Lenin en Rusia — Proceso
Segundo Congreso Mundial sobre Marxismo tendrá lugar en Beijing — Xinhua
Debate entre Andrew Kliman & Fred Moseley — Tiempos Críticos
David McNally & Sue Ferguson: “Social Reproduction Beyond Intersectionality: An Interview” — Marxismo Crítico
Gustavo Hernández Sánchez: “Edward Palmer Thompson es un autor que sí supo dar un giro copernicano a los estudios marxistas” — Rebelión
Alberto Maldonado: Michael Heinrich en Bogotá: El Capital de Marx es el misil más terrible lanzado contra la burguesía — Palabras al Margen
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Entrevista con István Mészáros realizada por la revista persa Naghd’ (Kritik), el 02-06-1998: “Para ir Más allá del Capital” — Marxismo Crítico
Rosa Nassif: “El Che no fue solo un hombre de acción sino un gran teórico marxista” Agencia de Informaciones Mercosur AIM
Entrevista a Juan Geymonat: Por un marxismo sin citas a Marx — Hemisferio Izquierdo
Juliana Gonçalves: "El Capital no es una biblia ni un libro de recetas", dice José Paulo Netto [Português ] — Brasil de Fato
Entrevista a Michael Heinrich: El Capital: una obra colosal “para desenmascarar un sistema completo de falsas percepciones” — Viento Sur
Alejandro Katz & Mariano Schuster: Marx ha vuelto: 150 años de El Capital. Entrevista a Horacio Tarcus — La Vanguardia
Salvador López Arnal: Entrevista a Gustavo Hernández Sánchez sobre "La tradición marxista y la encrucijada postmoderna" — Rebelión
Jorge L. Acanda: "Hace falta una lectura de Marx que hunda raíces en las fuentes originarias del pensamiento de Marx" — La Linea de Fuego

— Notas sobre Lenin y la Revolución de Octubre
Guillermo Almeyra: Qué fue la Revolución Rusa — La Jornada
Jorge Figueroa: Dos revoluciones que cambiaron el mundo y el arte — La Gaceta
Gilberto López y Rivas: La revolución socialista de 1917 y la cuestión nacional y colonial — La Jornada
Aldo Agosti: Repensar la Revolución Rusa — Memoria
Toni Negri: Lenin: Dalla teoria alla pratica — Euronomade
Entretien avec Tariq Ali: L’héritage de Vladimir Lénine — Contretemps
Andrea Catone: La Rivoluzione d’Ottobre e il Movimento Socialista Mondiale in una prospettiva storica — Marx XXI
Michael Löwy: De la Revolución de Octubre al Ecocomunismo del Siglo XXI — Herramienta
Serge Halimi: Il secolo di Lenin — Rifondazione Comunista
Víctor Arrogante: La Gran Revolución de octubre — El Plural
Luis Bilbao: El mundo a un siglo de la Revolución de Octubre — Rebelión
Samir Amin: La Revolución de Octubre cien años después — El Viejo Topo
Luis Fernando Valdés-López: Revolución rusa, 100 años después — Portaluz
Ester Kandel: El centenario de la Revolución de octubre — Kaos en la Red
Daniel Gaido: Come fare la rivoluzione senza prendere il potere...a luglio — PalermoGrad
Eugenio del Río: Repensando la experiencia soviética — Ctxt
Pablo Stancanelli: Presentación el Atlas de la Revolución rusa - Pan, paz, tierra... libertad — Le Monde Diplomatique
Gabriel Quirici: La Revolución Rusa desafió a la izquierda, al marxismo y al capitalismo [Audio] — Del Sol

— Notas sobre la película “El joven Karl Marx”, del cineasta haitiano Raoul Peck
Eduardo Mackenzie:"Le jeune Karl Marx ", le film le plus récent du réalisateur Raoul Peck vient de sortir en France — Dreuz
Minou Petrovski: Pourquoi Raoul Peck, cinéaste haïtien, s’intéresse-t-il à la jeunesse de Karl Marx en 2017? — HuffPost
Antônio Lima Jûnior: [Resenha] O jovem Karl Marx – Raoul Peck (2017) — Fundaçâo Dinarco Reis
La película "El joven Karl Marx" llegará a los cines en el 2017 — Amistad Hispano-Soviética
Boris Lefebvre: "Le jeune Karl Marx": de la rencontre avec Engels au Manifeste — Révolution Pernamente

— Notas sobre el maestro István Mészáros, recientemente fallecido
Matteo Bifone: Oltre Il Capitale. Verso una teoria della transizione, a cura di R. Mapelli — Materialismo Storico
Gabriel Vargas Lozano, Hillel Ticktin: István Mészáros: pensar la alienación y la crisis del capitalismo — SinPermiso
Carmen Bohórquez: István Mészáros, ahora y siempre — Red 58
István Mészáros: Reflexiones sobre la Nueva Internacional — Rebelión
Ricardo Antunes: Sobre "Más allá del capital", de István Mészáros — Herramienta
Francisco Farina: Hasta la Victoria: István Mészáros — Marcha
István Mészáros in memoriam : Capitalism and Ecological Destruction — Climate & Capitalism.us