"No hay porvenir sin Marx. Sin la memoria y sin la herencia de Marx: en todo caso de un cierto Marx: de su genio, de al menos uno de sus espíritus. Pues ésta será nuestra hipótesis o más bien nuestra toma de partido: hay más de uno, debe haber más de uno." — Jacques Derrida

"Los hombres hacen su propia historia, pero no la hacen a su libre arbitrio, bajo circunstancias elegidas por ellos mismos, sino bajo aquellas circunstancias con que se encuentran directamente, que existen y les han sido legadas por el pasado. La tradición de todas las generaciones muertas oprime como una pesadilla el cerebro de los vivos. Y cuando éstos aparentan dedicarse precisamente a transformarse y a transformar las cosas, a crear algo nunca visto, en estas épocas de crisis revolucionaria es precisamente cuando conjuran temerosos en su auxilio los espíritus del pasado, toman prestados sus nombres, sus consignas de guerra, su ropaje, para, con este disfraz de vejez venerable y este lenguaje prestado, representar la nueva escena de la historia universal" Karl Marx

7/11/13

La distinction entre forme et contenu de la valeur, ou la préhistoire de la découverte du ‘travail abstrait’ par Marx

Karl Marx ✆ A.d. 
Zaira Rodrigues Vieira  |  Dans le texte qui suit, nous montrerons les avancées accomplies par Marx, dans lesGrundrisse, notamment avant sa découverte de la catégorie de force de travail. Avant cette découverte, c’est de l’échange – et pas encore du travail lui-même – qui découlent les déterminations universelles de ce mode de production. Dans le premier chapitre de ces manuscrits, letemps de travail en général  première appellation de ce que Marx désignera après le temps de travail socialement nécessaire   est conçu comme détermination de la valeur d’échange en tant qu’argent. La distinction définitive entre la substance et la forme de la valeur, qui lui permettra de comprendre mieux le secret de la valeur d’échange, ne prend forme qu’avec la formulation du concept de travail abstrait. Nous montrerons précisément les pas de l’approximation de Marx à la distinction mentionnée ainsi que le fait selon lequel le concept de travail abstrait commence à apparaître dans la valeur d’usage de la force de travail qui fait face au capital. La première
forme sous laquelle ce concept apparaît dans l’œuvre de Marx n’est ainsi pas en référence au travail abstrait présent dans toute marchandise, mais à celui présent dans la marchandise spéciale force de travail.

Lorsqu’on part d’une lecture des Grundrisse pour entreprendre ensuite celle du livre premier du Capital, on constate dans un premier temps que la quasi-totalité des thèmes développés dans l’oeuvre définitive était en quelque sorte déjà présente dans le premier travail préparatoire. Mais au terme d’une analyse plus attentive, on comprend que ce qui manque à l’élaboration marxienne, ce sont des éléments essentiels qui ne sont pas encore vraiment présents dans les Grundrisse. Si l’on trouve, dans le premier chapitre de ces manuscrits, des catégories telles que la valeur, la valeur d’échange et même le temps de travail « actuellement nécessaire [die gegenwärtig nötige Arbeitszeit] »[1], ces catégories ne s’y présentent pas dans leur sens le plus précis. Dans la première partie des Grundrisse, la valeur ne se distingue pas tout à fait de la valeur d’échange, et le temps de travail socialement nécessaire – concept qui commence à apparaître dans ce texte − n’est pas encore compris, comme on le verra, en tant que détermination qui relève de la production.

Ce qu’on voit dans les Grundrisse, c’est une pensée en cours d’élaboration, et qui est sur le point de délimiter son objet dans son sens le plus profond et le plus précis. Marx est ici au cœur de sa recherche. Il est dans un processus de gestation et de prise de conscience première de certains concepts essentiels. En d’autres termes, ces manuscrits montrent les abstractions de Marx dans le processus même de leur découverte et, bien plus que dans Le Capital, les déterminations historiques apparaissent ici de manière plus claire et immédiate dans l’explication des catégories.

Les Grundrisse présentent comme caractéristique importante le fait qu’il s’agit d’une analyse du mode de production capitaliste dans sa logique développée qui prend cependant très clairement en compte sa genèse historique. Référons nous, par exemple, à une formulation de Marx qui apparaît à plusieurs reprises dans le texte : « Le produit (ou l’activité) devient marchandise ; la marchandise, valeur d’échange ; la valeur d’échange, argent »[2]. Un autre exemple de la caractéristique mentionnée est le recours fréquent de Marx à l’analogie entre la forme moderne de production et les formes précédentes[3].

Dans le premier chapitre, Marx procède à une mise au point initiale dans laquelle il essaie d’appréhender l’essence de la valeur à partir de son origine historique dans la valeur d’échange ou, autrement dit, l’origine du capital dans sa forme argent. Mais nous ne sommes pas pour autant confrontés à une analyse simplement historique[4]. La forme historique de l’apparition du capital fait en réalité, elle aussi partie, du concept de capital. Nous serons amenés à revenir sur ce point. Il s’agit d’un texte qui présente une analyse de type génético-historique[5] dans laquelle Marx essaie toujours d’extraire de son objet les éléments les plus essentiels ou les lois qui commandent son fonctionnement. Marx développe ici une analyse abstraite qui ne perd cependant jamais de vue le sens le plus général des rapports analysés, dans le cas présent, celui des rapports universels entre les produits du travail en tant que ceux-ci représentent des rapports entre les individus producteurs eux-mêmes.

Comme on le sait, lorsque Marx est en train d’écrire les Grundrisse, il relit la Logique de Hegel et, de son aveu, l’on trouve en effet la contribution de celle-ci dans sa méthode d’élaboration. Telle contribution ne défigure pas la détermination centrale de la pensée marxienne, qui prend son origine dans sa rupture de jeunesse avec le philosophe allemand. Le fait que « dans la méthode d’élaboration[in der Methode des Bearbeitensdu sujet, quelque chose m’a rendu grand service : […] la Logique de Hegel »[6] ne veut pas dire que Marx ait tout simplement adhéré ou reproduit la méthode de Hegel. Ceci dit, l’occurrence fréquente des termes d’universalité et de particularité, propres à la dialectique hégélienne[7], est tout de même remarquable. On cherchera tout d’abord ici à identifier les aspects pour l’analyse desquels Marx a recours à ce rapport.

Dans les manuscrits en question, Marx a maintes fois recours à la manière de comprendre comme un mouvement dialectique le mouvement réel qui est à l’origine des contradictions entre la valeur d’usage et la valeur d’échange des marchandises : «Le simple fait que la marchandise ait une existence double, qu’elle existe une fois en tant que produit déterminé contenant idéalement (de façon latente) sa valeur d’échange dans sa forme d’existence naturelle, et ensuite en tant que valeur d’échange manifeste (argent), qui a dépouillé à son tour toute connexion avec la forme d’existence naturelle du produit, cette double existence distincte doit nécessairement progresser jusqu’à la différence, la différence, jusqu’à l’opposition et la contradiction»[8].

Les termes de la dialectique de l’universalité, particularité, singularité (Allgemeinheit, Besonderheit,Einzelnheit) apparaissent très nettement – même si comme dialectique réelle, elle se trouve réduite fondamentalement aux deux moments de la contradiction principale du capital: celle entre le caractère universel des déterminations de la valeur et les marchandises en tant que choses particulières[9]. Ceci n’empêche pas que Marx se réfère également aux marchandises comme ne représentant « qu’un aspect tout à fait singularisé de la richesse »[10], dans la mesure où elles ont « une valeur d’usage déterminée»[11]. Il se réfère de même aux individus qui se posent eux aussi en face de la richesse produite, comme travail vivant, c’est-à-dire, « comme pure singularité, ou comme universalité uniquement intérieure ou extérieure »[12]. En d’autres termes, Marx emploie alternativement ici les notions de singulier et departiculier. Et il le fait en se référant soit à la valeur d’usage des marchandises soit aux individus en tant qu’ils représentent eux-aussi une valeur d’usage particulière en face de la valeur.

Dans le chapitre sur l’argent et notamment dans l’analyse de sa genèse, le rapport entre l’universel et le particulier (et/ou le singulier) apparaît comme rapport entre les déterminations des marchandises. D’après Marx, l’argent n’est pas autre chose qu’une détermination générale des marchandises qui devient pourtant indépendante de celles-ci en tant que marchandises individuelles. Dans le deuxième chapitre, celui sur le capital, le rapport des déterminations particulières et universelles des marchandises réapparaît, cette fois dans l’analyse de la marchandise spéciale force de travail et de son rapport avec le capital[13]. Les catégories de l’universel, du particulier et/ou du singulier reviennent également dans les références de Marx à une forme sociale du travail qui s’affranchirait des contraintes et contradictions posées par le travail devenu, dans la société bourgeoise moderne, en même temps universel et « étranger, aliéné, déssaisi [das Entfremdet-, Entaüßert-, Veraüßertsein] »[14].

Derrière ces trois thématiques centrales des Grundrisse que nous venons d’indiquer, plus qu’une simple application de la Logique de Hegel, il y a plutôt le fait que le capital est compris par Marx comme un mode de production dont l’ensemble des caractéristiques est déterminé en référence à une forme, la valeur, qui est elle-même abstraitement universelle. La production dans sa forme capitaliste ne consiste pas en un échange simple de marchandises, comme l’entendaient les socialistes[15]. Elle ne consiste pas non plus exclusivement en ce que Marx appelle la production matérielle[16] ou le procès de production simple[17]. À celle-ci se superpose le procès de valorisation, la détermination formelle ou encore, « la différence spécifique dont tout dépend »[18]. La valeur − détermination formelle de l’ensemble des rapports qui constituent le mode de production capitaliste et, par conséquent, le capital lui-même –, implique comme une de ses conséquences nécessaires le développement universel des forces productives ou ce qui revient au même, « de la richesse en général »[19], et ce développement n’est cependant pas tout à fait approprié par les individus qui le produisent.

Dans ces manuscrits, Marx cherche à comprendre la contradiction réelle qui pose la valeur d’échange des marchandises comme forme indépendante et autonome par rapport aux marchandises elles-mêmes, ainsi que plusieurs autres aspects du rapport entre la valeur d’échange et la valeur d’usage des marchandises dans le monde capitaliste. De manière plus générique, il s’agit du caractère double des catégories qui expliquent cette société et du rapport des déterminations du capital en tant que rapport contradictoire, dans la mesure où il se présente comme un rapport scindé entre l’universalité et la particularité[20].

Nous nous concentrerons, par la suite, sur l’analyse du premier chapitre de ces manuscrits. Dans ce chapitre, la problématique du rapport des déterminations singulières-particulières et universelles des marchandises apparaît dans les termes d’une opposition des caractères de la marchandise comme valeur d’échange d’un côté, et comme valeur d’usage de l’autre : «En tant que valeur, la marchandise est universelle, en tant que marchandise réelle, elle est une particularité»[21]. La valeur d’usage est la « déterminité naturelle »[22] de la marchandise, son corps physique, tandis que la valeur d’échange constitue sa déterminité sociale. Comme dans le deuxième chapitre, Marx explique ici la valeur d’échange comme quelque chose qui représente la richesse universelle, mais telle qu’elle se pose dans le rapport d’échange simple des marchandises. Il s’agit de la richesse posée sous la forme d’argent.

C’est afin de comprendre la dualité selon laquelle chaque marchandise est en même temps objectivation d’un temps de travail particulier ou déterminé [das bestimmte Resultat] et objectivation du « temps de travail en général [Arbeitszeit im allgemeinen] »[23] – rapport qui est, comme on verra, à la base du concept d’argent –, et afin de comprendre l’ensemble des déterminations du rapport entre la valeur d’usage et la valeur d’échange des marchandises, tel qu’il se présente dans la forme argent, que Marx a recours, dans ce chapitre, aux catégories du syllogisme de Hegel.

La contradiction entre la marchandise en tant qu’« aspect tout à fait singularisé de la richesse » et son caractère universel de valeur d’échange se poserait au moment même de la scission entre la marchandise et sa valeur d’échange, c’est-à-dire, avec l’apparition de la valeur d’échange comme existence effective, comme « une chose extérieure à côté de la marchandise »[24]. Cette scission «inclut d’entrée de jeu la possibilité que ces deux formes d’existence de la marchandise ne soient pas convertibles l’une en l’autre. [...]. Dès que l’argent est une chose extérieure à côté de la marchandise, l’échangeabilité de la marchandise contre de l’argent est aussitôt liée à des conditions externes, qui peuvent intervenir ou pas; elle est soumise à des conditions extérieures»[25]. Une telle échangeabilité est soumise à des conditions qui n’ont pas de rapport avec la marchandise en tant qu’existence particulière et qui ne dépendent pas de ses propriétés naturelles. La forme universelle, ou valeur d’échange, c’est la marchandise en tant que rapport social, ce sont ses propriétés sociales, non naturelles. La valeur d’échange de la marchandise, c’est l’expression de son échangeabilité avec une autre marchandise.

Dans le chapitre sur l’argent, Marx cherche à déceler les déterminations de la valeur, en partant directement des rapports d’échange des marchandises. Le passage suivant, extrait de ce chapitre, est le témoin de ce point de départ et de l’importance de l’échange dans ce moment de l’élaboration de Marx : «Médiatisé par la valeur d’échange et l’argent, l’échange présuppose toutefois la dépendance multilatérale et réciproque entre les producteurs, mais en même temps l’isolement [Isolierung]complet de leurs intérêts privés […]. C’est par la médiation de la pression réciproque de la demande et de l’offre universelles que s’établit la connexion de gens indifférents les uns aux autres»[26].

S’il est, d’un côté, vrai ce que dit Marx ici, c’est-à-dire que ce n’est que par le moyen de l’échange que les individus, dans cette société, se posent en rapport, puisque la production est organisée en vue et à partir de l’échange (entre la force de travail e le capital) ; d’un autre côté, pour ce qui est de la forme finale qui prendra la théorie de la valeur de Marx, ce passage nous montre pourtant déjà que c’est de l’échange – et pas encore du travail lui-même – qui découlent, pour Marx, ici les déterminations universelles de ce mode de production.

Comme nous essaierons de montrer ci-après, le travail universel, cette propriété sociale du travail, n’apparaît, en ce moment, que dans la valeur d’échange. La valeur d’échange serait, ainsi, la détermination principale de la marchandise, celle qui représente le travail universel ou le travail en tant que tel. C’est la raison pour laquelle Marx entend que le travail universel, dans ce mode de production, n’est pas autre chose que du « travail seulement privé transmis à la collectivité »[27], et donc du travail universel exclusivement en soi; ou travail universel abstrait. Ce travail n’est réalisé que partiellement comme travail universel, exclusivement dans l’échange.

Après avoir conceptualisé la valeur d’échange, dans ces termes plus généraux et telle qu’elle se présente dans sa forme argent, il faut souligner, encore une fois, que Marx, de toute évidence, ne parle pas ici de n’importe quelle circulation simple. Il est en train d’expliquer celle-ci telle qu’elle se présente dans la forme primitive du capital en tant qu’argent, « mais aussi, d’autre part, à l’intérieur du système de la production bourgeoise, c.-à-d. de la production qui pose de la valeur d’échange »[28]. Comme on le montrera plus loin, c’est d’ailleurs précisément de cela que découlent les imprécisions de cette analyse de Marx en ce qui concerne la théorie de la valeur. Dans ce chapitre des Grundrisse, Marx procède à une investigation autour de la valeur d’échange comme détermination du capital, avant de développer le concept de production, c’est à dire avant de trouver des déterminations essentielles au concept de capital – comme celles qui découlent de sa découverte de la catégorie « force de travail » [Arbeitskraft].

Cela dit, revenons sur notre exposé à propos de la valeur d’échange. Il se trouve que pour déterminer la valeur d’échange de chaque marchandise, dans son rapport d’échange avec une autre marchandise diverse, on doit avant tout la transposer, ou la transformer, en temps de travail « en général ». Ce que Marx explique par ce raisonnement, c’est que l’argent n’est pas autre chose que le caractère d’équivalent que possède toute marchandise dès qu’elle devient marchandise, c’est-à-dire, dès que sa valeur doit être définie par rapport à quelque chose d’autre. Mais ce qu’il veut mettre en relief c’est surtout l’aspect selon lequel l’argent − ce caractère d’équivalent que possède toute marchandise – doit, en même temps, être symbolisé par quelque chose de différent des marchandises elles-mêmes et de leurs temps de travail particuliers. Ainsi, l’argent c’est l’argent, c’est-à-dire, en lui-même une marchandise particulière, parce que tout en étant une détermination intrinsèque aux marchandises, il représente pourtant quelque chose d’externe à elles. Plus généralement parlant, la contradiction entre les déterminations particulières et universelles des marchandises est, en réalité, la contradiction nécessaire entre « la différence naturelle des marchandises » et « leur équivalence économique » : «En tant que valeur, toute marchandise est également divisible ; dans son existence naturelle, elle ne l’est pas. En tant que valeur, elle reste la même, quelques métamorphoses qu’elle subisse et quelques formes d’existence qu’elle parcoure ; dans la réalité, on n’échange des marchandises que parce qu’elles sont inégales et qu’elles correspondent à différents systèmes de besoins»[29].

L’« existence purement économique, dans laquelle elle [la marchandise] est un simple signe, une lettre indiquant un rapport de production »[30]  est une existence qui se différencie de son corps pour plusieurs raisons, mais c’est tout de même une forme d’existence des marchandises elles-mêmes. Comme nous l’avons dit, la valeur d’échange est expliquée, dans ce chapitre, à partir des rapports d’échange des marchandises. Elle apparaît comme dérivant du fait que c’est l’échange qui pose les produits comme des choses égales. Marx reconnait, déjà en ce moment, qu’il y a, derrière ces formes, une division du travail et donc une production qui est production de valeurs d’échange. Mais c’est tout de même l’échange qui pose les marchandises comme des marchandises ou les « produits » comme des choses équivalentes. La valeur présuppose un fondement substantiel commun aux marchandises, ce que Marx considère ici comme une transformation qualitative qui apparaît au plan des rapports d’échange qu’il est en train d’analyser.

Pour comprendre la détermination quantitative des marchandises dans leur échange effectif, il faudrait mettre les deux marchandises qui s’échangent en rapport avec quelque chose d’autre, avec un troisième terme qui servirait d’étalon de mesure du rapport d’égalité entre elles. Car, d’après Marx, on ne peut comprendre la valeur d’échange d’une marchandise singulière que dans le rapport de celle-ci à un troisième terme, ce troisième terme étant le « temps de travail en général [die Arbeitszeit im allgemeinen] »[31] – le fondement de la valeur –, qui apparaît donc, ici, comme fondement de lavaleur d’échange. Ceci montre avant tout que Marx confond encore valeur et valeur d’échange dans cette première partie des Grundrisse, puisqu’il est en train d’analyser la valeur d’échange dans sa forme argent.

Ce qui n’est pas encore clair pour Marx, c’est que ce produit de l’échange nommé l’argent se détermine lui-même comme valeur exclusivement à partir de la production. En d’autres termes, il se détermine comme tel dans la mesure où il est le résultat de rapports de production fondés sur la séparation entre la force de travail et les moyens de production. Car, si l’argent en tant que médiateur nécessaire des rapports d’échange des marchandises, ou en tant que « moyen de circulation », selon l’appellation de Marx, résulte de ces rapports d’échange eux-mêmes[32] ; la valeur d’échange, dont il est le représentant ou le symbole, n’apparaît pourtant, en toute rigueur, que lorsque le rapport de production est un rapport salarié. La valeur (et, par conséquent, la valeur d’échange elle aussi) est une détermination de la production (et non pas de l’échange). Ce que Marx prétend décrypter dans cette analyse des Grundrisse, c’est en réalité l’argent en tant que « mesure des valeurs »[33], en tant que détermination qui découle donc de la valeur. Il s’agit d’une recherche autour de déterminations qui sont – comme il le découvrira après – des déterminations de la production, telles que le « temps de travail, en tant que mesure de valeur »[34], à partir, toutefois, des rapports d’échange.

Le rapport des marchandises avec l’argent est, dans ce texte, compris par Marx comme symbolisant quelque chose qui est derrière la forme argent elle-même, c’est-à-dire, comme un rapport de la marchandise avec sa valeur d’échange, ce qui signifie déjà ici, un rapport de la marchandise avec letemps de travail en général. Le temps de travail en général y apparaît donc comme le fondement de la valeur d’échange que Marx est en train d’analyser dans sa forme argent. Mais cette détermination universelle ou sociale des marchandises en tant que valeurs d’échange, apparaît comme quelque chose qui ne dérive que de l’échange : «Dans la circulation […] la valeur d’échange apparaît une fois comme valeur universelle dans la forme de l’argent, puis comme valeur particulière dans la marchandise naturelle qui a maintenant un prix ; […] la circulation elle-même […] [est] la position d’une égalité, l’abolition d’une différence purement imaginaire. […] Cette égalité se pose matériellement dans l’argent»[35] .

Marx confond, en fait, ici la détermination de la valeur d’échange des marchandises avec le prix[36]. Les déterminations de la valeur d’échange y sont posées comme des déterminations de la marchandise en tant qu’argent : «La valeur d’échange de la marchandise acquiert une existence particulière à côté de la marchandise ; c’est-à-dire que : la marchandise sous la forme où elle est […]marchandise universelle et où sa particularité naturelle est effacée ; […] où est posée la mesure de son échangeabilité, le rapport déterminé dans lequel elle se pose égale à toutes les autres marchandises, tout cela, la marchandise l’est en tant qu’argent et plus précisément non pas en tant qu’argent tout court, mais en tant que somme déterminée d’argent»[37]. Et ceci est confirmé de manière encore plus précise par le passage suivant : « Le temps de travail n’existe jamais que dans des produits particuliers (en tant qu’objet) : en tant qu’objet universel, il ne peut avoir qu’une existence symbolique et, derechef, précisément dans une marchandise particulière, qu’on pose comme argent »[38]. L’inconsistance de cette formulation est évidente, si l’on consulte Le Capital sur ce même sujet. Le temps de travail abstrait ou socialement nécessaire n’a pas qu’« une existence symbolique ». Il existe réellement dans les produits des travaux concrets et détermine la production de chaque produit particulier, dans la mesure où celle-ci doit observer la « loi naturelle régulatrice»[39] du temps de travail socialement nécessaire pour la production de telle ou telle marchandise : «On pourrait s’imaginer que si la valeur d’une marchandise est déterminée par le quantum de travail dépensé pendant sa production plus un homme est paresseux ou inhabile, plus sa marchandise a de valeur, parce qu’il emploie plus de temps à sa fabrication. Mais le travail qui forme la substance de la valeur des marchandises est du travail égal et indistinct, une dépense de la même force. La force de travail de la société tout entière, laquelle se manifeste dans l’ensemble des valeurs, ne compte par conséquent que comme force unique, bien qu’elle se compose de forces individuelles innombrables. Chaque force de travail individuelle est égal à toute autre, en tant qu’elle possède le caractère d’une force sociale moyenne et fonctionne comme telle, c’est-à-dire n’emploie dans la production d’une marchandise que le temps de travail nécessaire en moyenne ou le temps de travail nécessaire socialement»[40].

Le «temps de travail […] en tant qu’objet universel» n’a donc pas qu’«une existence symbolique»[41], comme écrivait Marx dans les Grundrisse. Le temps de travail n’est pas que le temps de travail individuel dépensé pour créer chaque marchandise particulière, mais dans la société capitaliste, il s’agit plutôt du « temps de travail nécessaire socialement ». Comme l’explique Marx encore dans Le Capital : « Le temps socialement nécessaire à la production des marchandises est celui qu’exige tout travail, exécuté avec le degré moyen d’habileté et d’intensité et dans des conditions qui, par rapport au milieu social donné, sont normales »[42].

Poursuivons notre exposé sur les Grundrisse: le temps de travail [die Arbeitszeit] est définit ici comme étant « non seulement leur [des valeurs d’échange] mesure inhérente, mais leur substance même »[43]. Cependant, cette substance n’est pas encore constituée par le temps de travail en général[die Arbeitszeit im allgemeinen][44], mais par le temps de travail contenu dans chaque marchandise particulière. Dans ces manuscrits, Marx entend la valeur comme déterminée par le temps de travail spécifique dépensé pour la production de chaque marchandise prise individuellement : « Toute marchandise […] est = à l’objectivation d’un temps de travail déterminé. Sa valeur, la proportion dans laquelle elle s’échange contre d’autres marchandises ou dans laquelle d’autres marchandises s’échangent contre elle est = au quantum de temps de travail réalisé en elle »[45].

Le temps de travail en général ou « temps de travail social [der gesellschaftlichen Arbeitszeit] »[46] – que Marx perçoit ici comme étant le fondement de la valeur – se trouve, au fond, encore dans un rapport d’extériorité avec la valeur des marchandises particulières. Cette dernière est comprise comme étant déterminée par le temps de travail individuellement dépensé. La valeur est définie «comme quantum de temps de travail réalisé en elle [la marchandise] », ou tout simplement comme «temps de travail déterminé », par opposition au temps de travail en général. Marx ne voit le temps de travail objectivé dans les marchandises que comme un « temps de travail particulier » : «L’échangeabilité universelle de ce temps de travail doit d’abord être médiatisée, prendre une forme d’objet, différent de lui, pour qu’il accède à cette échangeabilité universelle »[47]. L’universalité du temps de travail ou le temps de travail en général est, ainsi, une détermination qui ne se pose que dans l’échange, comme détermination de la valeur d’échange en tant qu’argent.

Le caractère d’équivalence des marchandises apparaît donc comme conséquence d’un développement des échanges que finit par poser les « produits » − les valeurs d’usage − comme des chose égales ou équivalentes. Ceci apparaît de façon tout à fait modifiée dans Le Capital : le caractère commun des marchandises est souligné ici comme quelque chose qui relève de la production.

Dans Le Capital, ce caractère est expliqué à partir du fait que les marchandises sont du travail matérialisé [vergegenständlichte Arbeit], c’est-à-dire, à partir du caractère de valeur que les marchandises ont en commun. En ce sens, ce n’est pas l’échange qui les détermine comme égaux ou qui rend égaux des choses différentes, mais c’est la production qui pose elle-même ce caractère d’égalité : «Ce n’est pas la monnaie qui rend les marchandises commensurables : au contraire. C’est parce que les marchandises en tant que valeurs sont du travail matérialisé [vergegenständlichte menschliche Arbeit], et, par suite, commensurables entre elles, qu’elles peuvent mesurer toutes ensemble leurs valeurs dans une marchandise spéciale et transformer cette dernière en monnaie, c’est-à-dire en faire leur mesure commune»[48].

L’accent est déplacé sur le fait que la valeur est nécessairement du travail humain objectivé ou matérialisé, tout en étant en même temps, du travail humain abstrait[49], et donc sur le fait qu’elle est valeur posée sous la forme d’objet. Cet accent est, en réalité, le signe d’un changement très important qui découle des découvertes réalisées par Marx à partir du fait que c’est la production qui pose l’ensemble des déterminations du mode de production du capital. Ainsi, tandis que dans le premier chapitre des Grundrisse, à propos de la valeur d’échange, l’on trouve que : «La marchandise n’estvaleur d’échange que pour autant qu’elle est exprimée en une autre chose, donc en tant que rapport. Un boisseau de blé vaut tant de boisseaux de seigle; dans ce cas, le blé est valeur d’échange pour autant qu’il est exprimé en seigle et le seigle, valeur d’échange, pour autant qu’il est exprimé en blé. Tant que chacun des deux n’est rapporté qu’à lui-même, il n’est pas valeur d’échange»[50]. Dans Le Capital, Marx explique, au contraire, que : «La valeur d’échange apparaît d’abord comme le rapport quantitatif, comme la proportion dans laquelle des valeurs d’usage d’espèce différente s’échangent l’une contre l’autre, rapport qui change constamment avec le temps et le lieu. La valeur d’échange semble donc quelque chose d’arbitraire et de purement relatif ; une valeur d’échange intrinsèque, immanente à la marchandise, paraît être, comme dit l’école, une contradictio in adjecto. […] Une marchandise particulière, un quarteron de froment, par exemple, s’échange dans les proportions les plus diverses avec d’autres articles. Cependant, sa valeur d’échange reste immuable, de quelque manière qu’on l’exprime, en x cirage, y soie, z or, et ainsi de suite»[51].

L’aspect contradictoire souligné dans l’oeuvre destinée à la publication ne sera plus celui entre les déterminations de la marchandise en tant que chose spécifique (ou valeur d’usage) et sa détermination générale de valeur d’échange. Marx a déjà trouvé la forme essentielle de la coexistence de cette contradiction. Encore plus profonde et plus déterminante, la contradiction révélée dans la première partie du Capital est interne à la forme valeur elle-même. Ainsi, si, dans les Grundrisse, Marx n’avait pas tort de souligner les contradictions de la marchandise comme chose particulière avec son caractère de temps de travail existant dans le temps (ou valeur), puisque « En tant que tel, le temps de travail proprement dit n’existe que subjectivement, il n’existe que sous forme d’activité »[52] ; dans Le Capital, il précisera qu’«il ne suffit pas cependant d’exprimer le caractère spécifique du travail qui fait la valeur de la toile. La force de travail de l’homme à l’état fluide, ou le travail humain, forme bien de la valeur, mais n’est pas valeur. Il ne devient valeur qu’à l’état coagulé, sous la forme d’un objet. Ainsi, les conditions qu’il faut remplir pour exprimer la valeur de la toile paraissent se contredire elles-mêmes. D’un côté, il faut la représenter comme une pure condensation du travail humain abstrait, car en tant que valeur la marchandise n’a pas d’autre réalité. En même temps, cette condensation doit revêtir la forme d’un objet visiblement distinct de la toile elle-même et qui, tout en lui appartenant, lui soit commune avec une autre marchandise»[53]. Le travail matérialisé est ici la valeur, cette réalité sociale qui doit cependant prendre « la forme d’un objet visiblement distinct de la toile elle-même ». Comme nous verrons mieux ci-après, on parle donc d’une contradiction qui est interne à la forme valeur elle-même : celle entre la forme valeur relative et la forme valeur équivalente.

On conclut qu’il y a dans les Grundrisse – et à plus forte raison dans le chapitre sur l’argent −, un rapport conflictuel dans la détermination de la valeur, plus précisément, entre le temps de travail spécifique, qui est objectivé dans une marchandise particulière, et le temps de travail en général. La valeur – que Marx entend ici comme synonyme de la valeur d’échange – est conçue comme correspondant au temps de travail moyen. Celui-ci est déterminé toutefois par la moyenne des prix des marchandises. Ceci montre que Marx confond encore la détermination de la valeur d’échange (ou de la valeur tout court) par le temps de travail en général ou social, avec le prix. En réalité, ce qui n’existe qu’idéalement, ce n’est pas la détermination de la valeur d’échange par le temps de travail. Au contraire, celle-ci est une contrainte très concrète, qui s’impose aux producteurs au moment même de leur production, dans la mesure où ils ne doivent y dépenser, pour la production de leur marchandise, que le temps strictement nécessaire, celui socialement établi, sous peine de se voir exclus du marché (et, dans ce cas, ne plus produire de la marchandise). Comme l’explique Marx dans Le Capital, le temps de travail est une mesure immanente aux marchandises : « La mesure des valeurs par la monnaie est la forme que doit nécessairement revêtir leur mesure immanente, la durée de travail »[54]. Ce qui présente une existence idéale, c’est donc exclusivement le rapport de la valeur d’échange des marchandises avec sa forme argent.

Si contrairement à Smith, Marx voit bien, dans les Grundrisse, que le temps de travail particulier et le temps de travail universel sont des déterminations de la valeur d’échange des marchandises et non pas de choses différentes, il ne se rend pas encore compte, à cet instant, que le temps de travail particulier est subsumé sous le temps de travail social dans l’acte même de la production. Dans Le Capital, il souligne que dès que les marchandises – en tant que valeurs – sont du travail matérialisé, elles ont en elles-mêmes, comme mesure de leur valeur, le temps de travail social. La marchandise en tant que marchandise particulière n’est, en ce sens, pas différente de sa valeur[55]. Autrement dit, comme valeur, elle ne diffère pas d’elle-même en tant que valeur d’usage. Tout en étant une valeur d’usage spécifique – ou justement pour cette raison –, la marchandise est du travail matérialisé et donc, d’emblée, de la valeur. La valeur n’a pas de réalité palpable. Comme cela sera expliqué dans Le Capital: « Il n’est pas un atome de matière qui pénètre dans sa valeur»[56]. Il s’agit d’une détermination sociale: «Les valeurs des marchandises n’ont qu’une réalité purement sociale, qu’elles ne l’acquièrent qu’en tant qu’elles sont des expressions de la même unité sociale, du travail humain, il devient évident que cette réalité sociale ne peut se manifester aussi que dans les transactions sociales, dans les rapports des marchandises les unes avec les autres»[57]. Mais en dépit du fait que la valeur n’a pas en elle-même de réalité physique, elle a, de toute évidence, une existence réelle et objective. Il s’agit de laforme que revêt tout résultat du travail qui s’effectue dans des conditions normales, c’est-à-dire laforme de tout travail « exécuté avec le degré moyen d’habileté et d’intensité et dans des conditions qui, par rapport au milieu social donné, sont normales »[58]. Car, la substance de la valeur, le travail, est «du travail égal et indistinct, une dépense de la même force »[59].

Les contradictions de la valeur d’usage avec la valeur d’échange des marchandises ne se posent donc pas à la suite ou en dehors de leur production et de ce qui les caractérise comme des choses spécifiques ou objets de travaux spécifiques. Il s’agit de contradictions de la marchandise elle-même en tant que chose ou produit spécifique, c’est-à-dire, en tant que travail matérialisé. Des contradictions inhérentes à tout objet marchandise, qui sont dans son origine même en tant que produit, ou encore dans sa production.

Comme Marx le montrera de manière plus définitive dans la Contribution à la critique de l’économie politique, ainsi que dans Le Capital, la contradiction de ce mode de production se pose dans le travail lui-même, dans la substance même de la valeur, et pas seulement dans la forme. Le travail qui produit des marchandises a lui-même un double caractère[60]. Dans ce mode de production, les travaux différents sont réduits à une force simple de travail, à du travail humain tout court ou à « une dépense de la force simple que tout homme ordinaire, sans développement spécial, possède dans l’organisme de son corps»[61]. Car, « La valeur des marchandises représente purement et simplement le travail de l’homme, une dépense de force humaine en général »[62]. Et encore : «Pour ce qui est de la valeur en général, l’économie politique classique ne distingue jamais clairement ni expressément le travail représenté dans la valeur du même travail en tant qu’il se représente dans la valeur d’usage du produit. Elle fait bien en réalité cette distinction, puisqu’elle considère le travail tantôt au point de vue de la qualité, tantôt à celui de la quantité. Mais il ne lui vient pas à l’esprit qu’une différence simplement quantitative des travaux suppose leur unité ou leur égalité qualitative, c’est-à-dire leur réduction au travail humain abstrait»[63].

En bref, ce que Marx n’a pas atteint dans le premier chapitre des Grundrisse, c’est justement la distinction par laquelle il commence son exposé dans Le Capital : celle entre la substance et la forme de la valeur, entre le travail comme force égale et indistincte ou le temps de travail socialement nécessaire, et la valeur d’échange ou l’argent (die Geldform)[64]. Il parviendra à cette distinction avant tout au moyen de sa découverte de la catégorie de force de travail dans le deuxième chapitre desGrundrisse. Comme nous verrons ci-après, c’est cette découverte qui lui permet, par la suite, de comprendre mieux ce qu’est la substance de la valeur, la distinction conceptuelle entre la substance et la forme de la valeur avançant de conserve avec une définition plus précise de la première.
En lisant les passages suivants, on s’aperçoit en effet que Marx tâtonne, dans le deuxième chapitre, sur la distinction précise entre la substance et la forme de la valeur. Une première version qui le suggère est formulée de la manière suivante : «Monnaie contre marchandise : c.-à-d. que la valeur d’échange de la marchandise disparaît devant son contenu matériel ; ou marchandise contre monnaie, c’-à-d. que son contenu disparaît devant sa forme de valeur d’échange. Dans le premier cas, c’est la forme de valeur d’échange qui est effacée ; dans le second cas, c’est sa substance ; et donc dans les deux cas, sa réalisation est purement passagère et s’évanouit»[65]. Pourtant, notre penseur confond encore, comme on le voit, la substance de la valeur (qu’il entend encore comme étant valeur d’échange dans la mesure où justement il n’y a pas encore vraiment là de distinction entre forme etcontenu de la valeur) avec la matérialité de la marchandise ou sa valeur d’usage. L’étape suivante – qui, dans ces manuscrits, fait immédiatement suite à la découverte de la catégorie de force de travailcomme marchandise – montre que la recherche marxienne s’approche déjà plus nettement d’une problématique juste, même si elle est encore loin de la forme finale qu’elle prendra: «Cette substance commune à toutes les marchandises, c.-à-d., encore une fois, leur substance non en tant que matière organique, donc comme détermination physique, mais leur substance commune en tant quemarchandises et, partant, en tant que valeurs d’échange, c’est d’être du travail objectivé. (Mais on ne peut parler de cette substance économique (sociale) des valeurs d’usage, c.-à-d. de leur détermination économique en tant que contenu par opposition à leur forme (mais cette forme n’est valeur que parce que quantité déterminée de ce travail) qu’à la seule condition de chercher ce qui s’oppose à elles. En ce qui concerne leurs diversités naturelles, aucune d’entre elles n’interdit au capital de prendre place en elles, d’en faire son corps propre, dans la mesure où aucune n’exclut la détermination de valeur d’échange et de marchandise[66].

Marx s’approche ainsi, petit à petit, de la distinction mentionnée. Plus exactement, il s’approche de ce qui correspondrait au contenu de la valeur. Même si c’est encore de manière confuse, parce qu’inachevée, on y voit déjà une distinction entre forme et contenu en ce qui concerne les déterminations de la valeur. Marx indique en outre que la forme de cette détermination économique correspond à la valeur d’échange et à l’aspect quantitatif de la valeur ce qui la rend assez proche, dans sa formulation générique, de la conception exposée dans Le Capital. Il n’en va cependant pas de même pour ce qui est du contenu ou de la substance de la valeur. Celle-ci apparaît pour la première fois conçue – ce qui constitue un grand pas en avant – comme correspondant au travail, et non plus à la valeur d’usage. L’opposition de la valeur d’échange à la valeur d’usage des marchandises commence à donner lieu à une forme plus complexe dans la mesure où la valeur d’échange devient capital, et donc matérialisation de travail ou valeur d’usage elle-même – comme l’explique Marx ci-dessous. Au fur et à mesure que Marx décèle le secret de la production comme fondé sur la marchandise force de travail et son échange avec le capital, l’opposition entre la valeur d’échange et la valeur d’usage est de mieux en mieux comprise comme interne au capital, et ensuite aux marchandises elles-mêmes, car: «De par son concept, le capital est argent, mais cet argent n’existe plus sous la forme simple de métal d’or ou d’argent, ni même en tant qu’argent par opposition à la circulation, mais sous la forme de toutes les substances – de toutes les marchandises. Dans cette mesure, il ne s’oppose donc pas en tant que capital à la valeur d’usage, mais il n’existe précisément que dans des valeurs d’usage»[67].

Pour que la distinction définitive entre la véritable substance – le travail abstrait – et la forme de la valeur prenne forme, il manque précisément la formulation du concept de travail abstrait et donc la distinction entre travail concret et travail abstrait. Cette question n’apparaîtra de manière achevée que dans la Contribution à la critique de l’économie politique[68]. Il faut néanmoins remarquer que cette découverte commence à prendre forme dans le deuxième chapitre des Grundrisse, dans la valeur d’usage de la force de travail qui fait face au capital. La première forme sous laquelle le concept de travail abstrait apparaît dans l’oeuvre de Marx n’est pas en référence au travail abstrait présent danstoute marchandise, mais à celui présent dans la marchandise spéciale force de travail : «En tant qu’il [le travail qui fait face au capital] est la valeur d’usage [Gebrauchswertfaisant face à l’argent posé comme capital, il n’est pas tel ou tel travail, mais du travail en général [Arbeit schlechthin], du travail abstrait [abstrakte Arbeit]; absolument indifférent à sa déterminité particulière [besondre Bestimmtheit[69]. Ceci se trouve également confirmé dans la suite du passage cité plus haut, dans lequel Marx cherche justement ce qui s’oppose au travail objectivé : «La seule chose qui diffère dutravail objectivé, c’est le travail non objectivé, mais encore en train de s’objectiver, le travail en tant que subjectivité. Ou encore, on peut opposer le travail objectivé, c-à-d. présent dans l’espace en tant que travail passé, au travail présent dans le temps. Pour autant qu’il soit censé exister dans le temps comme travail vivant, il n’est présent qu’en tant que sujet vivant au sein duquel il existe comme capacité, comme possibilité ; et, partant, comme travailleur. Par conséquent, la seule valeur d’usagequi puisse constituer une opposition au capital, c’est le travail»[70].

Marx se préoccupe précisément de rechercher la forme de l’opposition qui est interne à la valeur – celle entre le travail concret et le travail abstrait –, sans y parvenir véritablement à ce moment précis[71]. La raison en est que la substance de la valeur est encore étudiée à partir des résultats de son investigation autour des rapports d’échange, c’est à dire à partir d’une opposition entre la valeur d’usage et la valeur d’échange. Dans la mesure où, dans sa recherche, Marx est parti de la valeur d’échange ou de la forme de la valeur, il cherche maintenant à trouver ce qui s’oppose à la valeur d’échange qui n’est cependant plus seulement une forme, mais aussi le contenu de la valeur, à trouver par conséquent ce qui s’oppose au travail objectivé qui, dans l’état actuel de ses recherches, constitue ce contenu. Marx cherche ce qui s’oppose à ce contenu, mais sans y parvenir encore véritablement. S’il avait en effet assuré auparavant qu’ « il ne s’oppose donc pas en tant que capital à la valeur d’usage, mais il n’existe précisément que dans des valeurs d’usage »[72], ce qu’on lit juste après – comme le montre la citation ci-dessus – c’est que c’est précisément au travail comme puissance ou à la valeur non encore matérialisée, qu’il s’oppose. Cette opposition est comprise encore comme ne pouvant être personnifiée que par une valeur d’usage – même s’il ne s’agit plus de la valeur d’usage des marchandises en général, mais de celle d’une marchandise spécifique, qui s’oppose à la valeur d’échange devenue capital : le travail ou plus précisément, la force de travail. En d’autres termes, l’opposition de la valeur d’usage à la valeur d’échange persiste encore ici. D’une certaine manière, par son interposition, elle fait obstacle à ce moment à l’introduction de la catégorie travail abstrait sous sa forme finale, c’est-à-dire, comme détermination présente dans les marchandises ou dans les travaux objectivés eux-mêmes (et non pas exclusivement comme puissance de travail). D’un autre côté, il est tout à fait sûr qu’elle permet à Marx de réaliser la découverte principale de ces manuscrits : celle qui concerne la marchandise spéciale force de travail, et par conséquent, l’apparition aussi de la catégorie de travail abstrait elle-même dans sa première forme, c’est-à-dire, comme travail présent dans le temps ou puissance de travail.

Tout cela confirme de manière précise la thèse que nous avançons selon laquelle la découverte de la marchandise spéciale force de travail est celle qui, dans la critique de l’économie politique, rend possible et concret la découverte de la catégorie de travail abstrait[73]. Elle constitue vers celle-ci un point de passage décisif dans la mesure où elle représente le tournant de l’investigation marxienne vers des déterminations de la valeur venues de l’intérieur de la production. Ainsi, si dans le premier chapitre des Grundrisse, le temps de travail social, la détermination sociale des marchandises en tant quevaleurs d’échange ou encore, leur caractère d’égalité, apparaît comme ne découlant que de l’échange[74], dans le deuxième chapitre les choses commencent à prendre une forme différente. Le changement provoqué par la découverte de la marchandise spéciale force de travail rendra possible de déterminer le fondement de la valeur – le temps de travail social – comme contrainte qui ne relève pas de la circulation, mais qui se pose déjà au niveau de la production immédiate ou du travail. Le travail abstrait sera compris alors tout d’abord comme détermination de la marchandise force de travail[75]et, ensuite, comme détermination de toute marchandise. Comme le soulignera Marx dans Le Capital, dès que les marchandises sont du travail matérialisé, elles ont en elles-mêmes, comme mesure de leur valeur, le temps de travail social nécessaire à leur production.

Pour conclure, revenons donc sur la question précédemment mentionnée de la présence des catégories hégéliennes dans ces manuscrits. Bien que ces catégories aient été d’utilité dans l’analyse de Marx, la portée d’une telle utilité est encore à déterminer[76]. La dialectique du singulier-particulier-universel ou plus spécifiquement le rapport de l’universel avec le particulier et/ou singulier, a quelque-part aidé Marx à montrer la problématique de la valeur, présente dans le rapport d’échange des marchandises, comme relevant d’un rapport entre des déterminations des marchandises elles-mêmes, et non pas – comme c’était le cas dans la pensée de Smith, par exemple – de déterminations posées dans des choses différentes. Cette dialectique apparaît, dans ce sens, comme un instrument utilisé «afin de tenir ensemble tout l’univers réflexif construit par l’économie politique classique au-dessus de l’antagonisme qui exprime l’essence du mode de production capitaliste en tant que réalitéhistorique»[77]. En tant que rapport générique, la portée de ses explications est cependant très limitée lorsqu’il s’agit de comprendre la problématique de Marx comme un tout raison pour laquelle nous ne sommes pas restés dans les limites de cette question. Celle-ci nous a servi, en réalité, uniquement comme argument de départ. L’analyse que nous venons de présenter aboutit, au sujet du développement de la théorie de valeur de Marx, à des conclusions bien plus substantielles que la simple constatation d’une méthode ou d’un emploi de catégories hégéliennes dans ces manuscrits[78]. Par notre recherche spécifique autour du sujet et du contenu des Grundrisse, nous pensons avoir montré que c’est grâce à ses découvertes centrales, lors de la rédaction de ces manuscrits, que Marx parvient à établir, dans ce mode de production, le caractère universel et social du travail – qui ne serait donc pas l’apanage exclusif d’un travail émancipé. Le travail abstrait – une catégorie essentielle dans l’explication de la valeur, qui permet finalement de comprendre le travail comme détermination sociale – est un concept dont l’origine se trouve dans la découverte par Marx des secrets de la production, et plus précisément dans sa découverte de la marchandise spéciale constituée par la force de travail.


[1] Marx, K., Manuscrits de 1857-1858, trad. Jean-Pierre Lefebvre, Paris, Éditions Sociales, 1980, tome I, p. 69.
[2] Ibid., tome I, 86. Cf. aussi ibid., tome I, p. 79-80.
[3] Cf. ibid., tome I, pp. 91-93 ; 424-425 ; 434-436 ; etc.
[4] « Les circonstances dans lesquelles émerge tout d’abord un rapport ne nous montrent nullement ce rapport lui-même, ni dans sa pureté ni dans sa totalité ». (Ibid., tome I, p. 144).
[5] « Mais nous n’avons affaire ni à une forme particulière du capital, ni au capital individuel en ce qu’il se distingue d’autres capitaux individuels, etc. Nous assistons au procès de sa formation. Ce procès dialectique de formation n’est que l’expression idéale du mouvement réel au cours duquel le capital devient capital. Ses relations ultérieures doivent être considérées comme un développement à partir de ce noyau ». (Ibid.,  tome I, cit., p. 249)
[6] Lettre de Marx à Engels du 16 janvier 1858, in Correspondance – K. Marx, F. Engels, tome V, cit., p. 116 ; MEW 29, p. 260.
[7] La dialectique de l’universel, particulier et singulier est au centre de la logique hégélienne. D’après Lukács, « En dépit de ces limites et contradictions insolubles, Hegel est le premier penseur à avoir placé la question des relations entre singularité, particularité et universalité au cœur de la logique, et non pas comme un problème isolé, plus ou moins important et plus ou moins accentué, mais comme une question cruciale, comme un élément déterminant de toutes les formes logiques du concept, du jugement, et du syllogisme ». (Lukács, G., « Hegels Lösungsversuch », in Über die Besonderheit als Kategorie der Ästhetik, Berlin und Weimar, Aufbau-Verlag, 1985, p. 33. Traduit par nous de l’allemand). Cela même si « Naturellement, on voit dans son traitement toutes sortes de distorsions qui sont provoquées par l’idéalisme objectif, le sujet-objet identique, la contradiction entre système et méthode ». Et – poursuit Lukács – « Hegel n’a pu franchir ce pas que parce qu’il était incité de toutes parts à comprendre philosophiquement les expériences de la Révolution bourgeoise de son temps, d’y rechercher les bases de l’existence d’une dialectique historique, et d’entamer à partir de là l’édification d’une logique d’un nouveau genre ». (Ibidem). Plus spécifiquement – explique le philosophe hongrois à partir des refléxions hégéliennes de La Constitution de l’Allemagne –, « Hegel considère l’État de l’ancien régime comme une formation qui a la prétention de représenter la société dans son ensemble (en logique : d’être l’universel), bien qu’un tel État serve exclusivement les intérêts des couches féodales dominantes (en logique : le particulier). [...] Un système en survie sociale qui exerce un pouvoir de pure violence qui est dommageable pour le peuple tout entier (l’universel devient le particulier). La classe révolutionnaire, la bourgeoisie, le tiers état, représente en revanche dans la révolution le progrès social, ainsi que les intérêts des autres classes (le particulier devient l’universel) ». (Ibid., p. 34). « Hegel transpose ici en termes philosophiques des faits sociaux et les idées politiques qui les expriment. Cette transposition dans une logique abstraite est cependant une véritable généralisation des thèmes essentiels, réels, de la Révolution française, une généralisation, non seulement des idées des acteurs principaux, mais aussi de la situation idéologique socialement déterminée, objective, dont Marx a décrit, plus tard, les formes d’expression comme des “illusions héroïques” […] Hegel lui-même se tenait naturellement sur le terrain de telles illusions. Cela ne change cependant rien au fait que sa transposition en termes philosophiques était un reflet d’une réalité sociale ». (Ibid., p. 35). D’après cette explication, la dialectique de l’universalité et particularité est un thème important qui traverse les plus différentes étapes de la pensée hégélienne. En se référant au texte de La raison dans l’histoire, Lukács soutient, en outre, que « la transformation de l’universalité en particularité et ainsi, comme nous l’avons vu, la dialectique de l’universalité et particularité, est un problème de la transformation ininterrompue de la société en tant que loi fondamentale de l’histoire ». (Ibid., p. 38). Pour finir, indiquons un moment du même texte de Lukács où sont exposées aussi quelques-unes de ses restrictions au traitement du problème par Hegel: « Et il est inévitable que de telles inexactitudes apparaissent, en nombre, chez Hegel, surtout en raison de sa philosophie idéaliste, puis à cause des limites qui sont fixées à la conception démocratique bourgeoise du monde, même lorsqu’on en tire les conséquences les plus ultimes (et nous savons que de ce point de vue, Hegel était loin d’être véritablement conséquent), enfin à cause de l’impact croissant de la misère allemande, à l’époque de la Sainte-Alliance, sur la philosophie de son temps de plus grande maturité. Il faut à ce propos souligner fortement qu’il ne s’agit pas ici seulement de la manière dont des conceptions de la dialectique de l’universel et du particulier, justes en elles-mêmes, se trouvent brouillées par suite de ces distorsions dans les positions philosophiques et socioéconomiques, mais on voit bien davantage, causées par cette base fausse, des conceptions trompeuses, formalistes, mystifiées, précisément dans cette dialectique de l’universel et du particulier. Le juste et le faux, le progressiste et le rétrograde, se trouvent souvent, dans la philosophie de Hegel, brutalement et directement côte à côte ». (Ibid., p. 45). « Cette hétérogénéité du juste et du faux, il faut la garder en mémoire si l’on veut comprendre l’importance du fait que Hegel  le premier dans l’histoire de cette discipline  fonde toute la construction de la logique sur le rapport entre universalité, particularité, et singularité. Toute la doctrine du concept, du jugement, et du syllogisme a ces relations pour base et pour contenu ». (Ibid., p. 55). « Ce qui est précisément le plus positif dans l’analyse hégélienne, c’est qu’il ne conçoit pas les relations entre universalité, particularité et singularité de manière formaliste, comme un problème exclusivement logique, mais comme une part importante de la dialectique vivante de la réalité, dont la généralisation la plus haute doit faire naître une forme plus concrète de logique, ce qui a justement pour conséquence que la conception logique restera toujours dépendante de l’exactitude ou de l’inexactitude de la conception de la réalité. Les limites de la Logique de Hegel sont ici également déterminées par les limites de sa position face à la société et la nature, de même que ses aspects géniaux le sont par le caractère progressiste de son attitude face aux grands problèmes historiques de son temps ». (Ibid., pp. 52-53).
[8] Marx, K., Manuscrits de 1857-1858, tome I, cit., p. 82.
[9] « En tant que valeur, la marchandise est universelle, en tant que marchandise réelle, elle est une particularité ». (Ibid., tome I, p. 76; MEW 42, p. 76). [« Als Wert ist sie allgemein, als wirkliche Ware eine Besonderheit »].
[10] Marx, K., Manuscrits de 1857-1858, tome I, cit., p. 159.
[11] Ibidem.
[12] Ibid., tome II, p. 323.
[13] Cf. ibid., tome I, pp. 234-235.
[14] Cf. ibid.,tome II, p. 323.
[15] Cf. ibid., tome I, cit., pp. 205-206.
[16] Cf. ibid., tome I, pp. 17, 235, 243.
[17] La production matérielle (ou procès de production simple) est sous-jacente à tout le procès. Comme toute forme sociale de production, la production capitaliste présuppose des déterminations générales telles que l’instrument, qui fait la médiation entre le sujet actif et les fins recherchées ; le travail, comme activité adaptée à une fin ; et la matière sur laquelle il se réalise. « Le procès de valorisation du capital s’effectue par et dans le procès de production simple» (ibid., tome I, p. 304).
[18] Ibid., tome I, p. 205.
[19] Ibid., tome II, p. 34.
[20] Ibid., tome II, p. 376.
[21] Ibid., tome I, 76.
[22] Ibid., tome I, p. 159.
[23] Ibid., tome I, p. 78. Marx appelle initialement « temps de travail en général » [« Arbeitszeit im allgemeinen »] ou « temps de travail social » [« gesellschaftlichen Arbeitszeit »] (ibid., tome I , p. 145), le « temps de travail abstrait ». Il faut remarquer, à ce propos, qu’en suivant également le choix de Lefebvre, nous utilisons le terme « général » toutes les fois qu’il s’agit de se référer au terme allgemein, tel qu’il apparaît dans les Grundrisse.
[24] Ibid., tome I, p. 82.
[25] Ibid., tome I, p. 82.
[26] Ibid., tome I, p. 94. Au sujet de l’importance de l’échange dans le point de départ de la critique de l’économie politique, voir aussi l’explication de Dobb selon laquelle : « En effet, Marx est parti de concepts tels que l’offre et la demande, la compétition et le marché. Ceci apparaît de manière évidente dans les Manuscrits de 1844 […]. Mais on le voit aussi dans cette oeuvre-ci, la Critique, écrite quinze ans plus tard. (En revanche, Le capital s’occupe du ‘niveau’ du marché dans la partie conclusive, vers la fin du livre troisième). Au cours de l’exposé critique de ces concepts […] Marx s’engage de plus en plus dans l’analyse de la production et des rapports de production […] ainsi que des racines sociales et de classes d’une société dominée par l’exploitation et par la recherche du profit le plus élevé ». (Dobb, M., Introduzione à Marx, K., Per la critica dell’economia politica, trad. Emma Cantimori Mezzomonti, Roma, Editori Riuniti, 1984, p. VIII. Traduit par nous de l’italien).
[27] Marx, K., Manuscrits de 1857-1858, tome I, cit., p. 154.
[28] Ibid., tome I, p. 196.
[29] Ibid., tome I, p. 76.
[30] Ibidem.
[31] Ibid., tome I, p. 78.
[32] « Il devient monnaie réelle par l’aliénation universelle des marchandises » (Marx, K., Le Capital, livre premier, tome I, trad. Joseph Roy, Paris, Éditions Sociales, 1971, p. 118).
[33] Les définitions données dans Le Capital, à propos de l’argent (ou de la « monnaie », comme le traduit Lefebvre) comme « mesure des valeurs », expriment justement ce caractère idéal du rapport des marchandises avec leur détermination de prix : « Le prix ou la forme monnaie des marchandises est, comme la forme valeur en général, distincte de leur corps ou de leur forme naturelle, quelque chose d’idéal. […] L’expression de la valeur des marchandises en or étant tout simplement idéale » (Marx, K., Le Capital, livre premier, tome I, cit., p 105). Et encore plus clairement : « Dans sa fonction de mesure des valeurs la monnaie n’est employée que comme monnaie idéale » (Ibid., p. 106).
[34] Marx, K., Manuscrits de 1857-1858, tome I, cit., p. 74.
[35] Ibid., tome I, p. 186.
[36] Même si, comme l’explique Mandel, la théorie qui présente la solution de ce problème commence à prendre forme dans le chapitre sur le capital. Dans le deuxième chapitre des Grundrisse, Marx commence à entreprendre le chemin nécessaire à l’éclaircissement définitif du secret de la valeur d’échange des marchandises: « Mais si la valeur d’échange des marchandises est déterminée par le temps de travail qu’elles contiennent, comment concilier cette définition avec le fait empiriquement constaté que les prix de marché de ces mêmes marchandises sont déterminés par ‘la loi de l’offre et de la demande’ ? Cette objection, dit Marx, revient à ceci: comment des prix de marché différents des valeurs d’échange des marchandises peuvent-ils se former, ou, mieux encore, comment la loi de la valeur ne peut-elle se réaliser en pratique qu’à travers sa propre négation ? Ce problème est résolu par la théorie de la concurrence des capitaux, que Marx développe à fond dès la rédaction des Grundrisse, en élaborant la théorie de la péréquation du taux de profit, et de la formation des prix de production, sur la base de la concurrence entre les capitaux » (Mandel, E., La formation de la pensée économique de Karl Marx, Paris, François Maspero, 1967, p. 85).
[37] Marx, K., Manuscrits de 1857-1858, tome I, cit., p. 102.
[38] Ibid., tome I, p. 105 .
[39] Marx, K., Le Capital, livre premier, tome I, cit., p. 87.
[40] Ibid., p. 54.
[41] Marx, K., Manuscrits de 1857-1858, tome I, cit., p. 105.
[42] Marx, K., Le Capital, livre premier, tome I, cit., p. 55.
[43] Marx, K., Manuscrits de 1857-1858, tome I, cit., pp. 105-106 .
[44] Appellation par laquelle Marx désigne dans ces manuscrits ce qu’il appellera ensuite le temps de travail socialement nécessaire [gesellschaftliche notwendige Arbeitszeit].
[45] Marx, K., Manuscrits de 1857-1858, tome I, cit., p. 75.
[46] Ibid., tome I, p. 145.
[47] Ibid., tome I, p. 108.
[48] Marx, K., Le Capital, livre premier, tome I, cit., p. 104.
[49] Une valeur d’usage, une denrée, n’a donc une valeur que parce qu’en elle est objectivé ou matérialisé du travail humain abstrait ». (Marx, K., Le Capital, livre premier, trad. Jean-Pierre Lefebvre, Paris, PUF Quadrige, 2009, p. 43 ; MEW 23, p. 53). [« Ein Gebrauchswert oder Gut hat also nur einen Wert, weil abstrakt menschliche Arbeit in ihm vergegenständlicht oder materialisiert ist »]. Dans la traduction de Joseph Roy – à cet endroit ainsi que dans deux autres passages – l’adjectifabstrakt, lié au travail, ne figure pas (cf. Marx, K., Le Capital, livre premier, tome I, trad. Joseph Roy, cit., pp. 54 et 61 ; MEW 23, pp. 53 et 61). Le concept de travail abstrait apparaît expliqué ici plutôt dans les termes suivants : « une dépense de force humaine de travail sans égard à la forme particulière sous laquelle cette force a été dépensée. » (Marx, K., Le Capital, livre premier, tome I, trad. Joseph Roy, cit., p. 54).
[50] Marx, K., Manuscrits de 1857-1858, tome I, cit., p.145.
[51] Marx, K., Le Capital, livre premier, tome I, trad. Joseph Roy, cit., pp. 52-53.
[52] Marx, K., Manuscrits de 1857-1858, tome I, cit., p. 108.
[53] Marx, K., Le Capital, livre premier, tome I, trad. Joseph Roy, cit., p. 65.
[54] Ibid., p. 104. Les soulignés sont de nous. Cf. aussi, à ce propos, ibid., p. 111.
[55] Dans le premier chapitre des Manuscrits de 1857-1858, Marx assurait qu’ « En tant que valeur, elle est de l’argent. Mais puisque la marchandise, ou plutôt le produit ou l’instrument de production, diffère de lui-même en tant que valeur, en tant que valeur, elle diffère d’elle-même en tant que produit ». (Marx, K., Manuscrits de 1857-1858, tome I, cit., p. 76). « La valeur de la marchandise est différente de la marchandise elle-même. La valeur (valeur d’échange) n’est la marchandise que dans l’échange (effectif ou imaginé) ». (Ibid., tome I, p. 75).
[56] Marx, K., Le Capital, livre premier, tome I, trad. Joseph Roy, cit., p. 62.
[57] Ibidem MEW 23, p. 62.
[58] Marx, K., Le Capital, livre premier, tome I, trad. Joseph Roy, cit., p. 55.
[59] Ibid., p. 54.
[60] « Pour bien comprendre comment la valeur d’échange est déterminée par le temps de travail, il importe de ne pas perdre de vue les idées essentielles suivantes : la réduction du travail à du travail simple, pour ainsi dire dénué de qualité ; […] enfin la distinction entre le travail, en tant qu’il se réalise en valeurs d’usage, et le travail, en tant qu’il se réalise en valeurs d’échange ». (Marx, K., Contribution à la critique de l’économie politique, trad. Maurice Husson et Gilbert Badia, Paris, Éditions sociales, 1957, p. 10). « Il s’agit [d’un côté] […] du travail abstrait, source de la valeur d’échange, […] [et de l’autre] du travail concret, en tant qu’il est une source de richesse matérielle, bref, du travail produisant des valeurs d’usage ». (Ibid., p. 15)
[61] Marx, K., Le Capital, livre premier, tome I, trad. Joseph Roy, cit., p. 59.
[62] Ibidem.
[63] Ibid., p. 91 .
[64] La forme et le contenu de la valeur n’étaient pas distingués non plus par les économistes de l’école ricardienne, comme l’indique Marx dans plusieurs moments de son oeuvre, tels que dans les Théories sur la plus-value et dans le début du Capital aussi.
[65] Marx, K., Manuscrits de 1857-1858, tome I, cit., p. 200.
[66] Ibid., tome I, p. 213.
[67] Ibid., tome I, p. 212.
[68] Cf. Marx, K., Contribution à la critique de l’économie politique, cit., pp. 15, 43.
[69] Marx, K., Manuscrits de 1857-1858, tome I, cit., p. 235.
[70] Ibid., tome I, p. 213.
[71] On rappellera très succinctement que, dans Le Capital, il explique que: « La force de travail de l’homme à l’état fluide, ou le travail humain, forme bien de la valeur, mais n’est pas valeur. Il ne devient valeur qu’à l’état coagulé, sous la forme d’un objet ». (Marx, K., Le Capital, livre premier, tome I, trad. Joseph Roy, cit., p. 65)
[72] Marx, K., Manuscrits de 1857-1858, tome I, cit., p. 212.
[73] Notre position met en question l’argument de Postone, dans Temps, travail et domination sociale, selon lequel la caractérisation marxienne du travail serait indépendante de la définition de la plus-value, et selon lequel encore Marx expliquerait la dualité du travail à partir exclusivement des déterminations de la marchandise. Cet entendement découle de ce que pour cet auteur: « la catégorie de travail abstrait, c’est-à-dire la substance catégorielle de la valeur, doit être considérée comme une catégorie qui naît dans la circulation simple des marchandises et se développe dans la production » [«La categoria lavoro astratto, cioè la sostanza categoriale del valore, dev’esser considerata come categoria che nasce nella circolazione semplice delle merci e si sviluppa nella produzione »] (Postone, Moishe; Reinicke, Helmut, « Note all’Introduzione ai Grundrisse di Martin Nicolaus », in Dialettica e Proletariato, Firenze, La Nuova Italia, 1978, p. 82).
[74] Cf. Marx, K., Manuscrits de 1857-1858, tome I, cit., p. 186.
[75] Ibid., tome I, p. 235.
[76] Encore que se référant au Capital, Bidet parle d’« expérimentation » en ce qui concerne les catégories hégéliennes auxquelles Marx aurait recours lorsqu’il est confronté à de nouveaux horizons non encore maîtrisés : « Dans son procès d’élaboration, Marx procède en réalité comme tout autre inventeur : face aux problèmes qu’il n’appréhende encore que de façon indistincte, il s’exerce avec les moyens formels qui sont ceux de sa culture. Ainsi, […] puise-il à chaque pas dans l’instrumentarium hégélien, en vue de reconnaître les nouveaux espaces théoriques qu’il entrevoit, et de formuler les questions théoriques qui lui apparaissent progressivement ». (Bidet, J., « Les nouvelles interprétations du Capital », disponible sur http://jacques.bidet.pagesperso-orange.fr/indexar.htm)
[77] Lefebvre, J-P., Introduction, Marx, K., Manuscrits de 1857-1858, tome I, cit., p. XII.
[78] L’emploi de la méthode ou de catégories hégéliennes par Marx a été maintes fois entendu comme question qui justifierait en soi-même la présence de certaines problématiques dans l’oeuvre de Marx. C’est le cas par exemple de l’analyse de Rosdolsky selon laquelle « dans Le Capital [...] et dans les travaux préparatoires à cet ouvrage, nous trouvons plusieurs digressions et observations sur les problèmes concernant l’organisation sociale socialiste [...]. La nécessité de ces digressions s’imposait en raison même de la méthode matérialiste-dialectique, dont l’objectif est celui de comprendre tout phénomène de la vie sociale dans le procès même de son devenir, de son existence et de son périr, et qui, tout en renvoyant à ‘des modes de production antérieurs’ (Marx, K., Manuscrits de 1857-1858, tome I, cit, p. 400), reconnaît aussi ‘des points où s’esquisse l’abolition de la configuration actuelle des rapports de production et donc la naissance d’un mouvement, préfiguration de l’avenir.’ (Ibidem) ». (Rosdolsky R., Genesi e struttura del “Capitale” di Marx, vol. II, cit., p. 478. Traduit par nous de l’italien.) [« Nel Capitale [...] e nei lavori preparatori ad esso, troviamo ripetute digressioni e annotazioni che si riferiscono ai problemi dell’ordinamento sociale socialista [...]. La necessità di taliexcursus si imponeva già in forza del metodo materialistico-dialettico, che si prefigge di cogliere e comprendere ogni fenomeno della vita sociale nel suo farsi, nel flusso del suo essere e del suo perire, e che, mentre rinvia a ‘precedenti modi storici di produzione’ (Lineamenti, II, p. 81), individua ‘i punti in cui si annunzia il superamento dell’atuale forma dei rapporti di produzione – e quindi un presagio del futuro [foreshadowing der Zukunft nel testo], un movimento che diviene’ (Lineamenti, II, p. 82) »].
http://www.consecutio.org/


◆ El que busca, encuentra...

Todo lo sólido se desvanece en el aire; todo lo sagrado es profano, y los hombres, al fin, se ven forzados a considerar serenamente sus condiciones de existencia y sus relaciones recíprocasKarl Marx

Not@s sobre Marx, marxismo, socialismo y la Revolución 2.0

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