Thierry de
Larochelambert | Il est parfois nécessaire, dans les
époques troubles où certains peuvent perdre leurs repères et d'autres ajouter à
la confusion des esprits, où une certaine extrême-gauche rejoint le terrain
douteux anti-laïque, anti-républicain des intégristes religieux et du
totalitarisme obscurantiste, de revisiter les textes fondateurs et historiques
de ceux qui ont participé à la construction de la pensée socialiste et
communiste, du matérialisme, du combat contre les oppressions, les féodalismes,
l'exploitation de l'homme et de la nature. Il est devenu aujourd'hui nécessaire, voire urgent, de
procéder à ce retour réflexif pour contrer ceux qui, intentionnellement ou par
confusion idéologique, confondent la lutte pour les opprimés, pour la justice
sociale avec le soutien aux cultures oppressives et rétrogrades contre les
Lumières. L'amour du Peuple contre les oligarchies, de la République
contre la Monarchie, c'est se battre pour les libérer des chaînes idéologiques
qui les entravent et les instrumentalisent, des injustices qui les rabaissent,
des intégrismes religieux qui les abrutissent, les maintiennent dans
l'ignorance, la résignation et l'acceptation de leur oppression. Karl Marx
et Engels, contrairement à ce que certains curés d'un nouveau genre écrivent,
avaient clairement analysé les religions comme l'opium des peuples qui les
aident à supporter indéfiniment leur misère et leur condition d'opprimés, mais
ce n'était pas pour défendre les religions ou les recommander comme moindre
mal!
Le dogme, la pression idéologique et morale, le
négationnisme anti-scientifique et la dictature par essence des
religions "révélées" sont fondamentalement, par nature, opposées à la
liberté de pensée, au libre-arbitre, à la connaissance scientifique (sauf à
induire une forme de schizophrénie: la "Révélation" n'a aucun sens
physique; "Dieu" n'est pas une hypothèse scientifique ni une
explication du monde, de l'univers, des univers; le galimatias des textes et
versets prétendument "sacrés", écrit par des humains pour imposer aux
humains des pseudo-"vérités" et "lois divines" est
contraire à l'élaboration critique de la pensée et de l'émergence de
l'auto-gouvernement démocratique): ils constituent l'oppression religieuse.
Mais
l'oppression n'est pas que religieuse; elle peut être sociale, économique,
politique, écologique et à ce titre, toutes les idéologies sont des formes
d'oppression, dans la mesure où elles inversent et maquillent plus ou moins
sciemment la (les) réalité(s), masquent les causes, nient les oppressions et
leurs conséquences.
Ceux qui défendent les religions, que ce soient celles des
prolétaires ou des bourgeois, des immigrés ou des autochtones, participent de
cette confusion idéologique et mentale, de cette oppression et font le jeu,
volontairement ou par sophisme idéologique, des ennemis de la liberté, de
l'égalité et de la fraternité.
Si Marx constate que "La religion est le soupir de
la créature opprimée, l'âme d'un monde sans cœur", c'est en sociologue
qu'il l'écrit, après de longues analyses sur les mécanismes de l'aliénation
religieuse dans le prolétariat, non comme un soutien implicite à une
introuvable nécessité de la religion comme expression des masses
opprimées ! Je m'interroge sur les intentions de ceux qui détournent la
pensée et les analyses profondes, argumentées, documentées de Marx et Engels en
sortant une ou deux phrases de leur corpus. Si vous avez lu Marx et Engels,
vous connaissez leur philosophie matérialiste et leur critique fondamentale des
religions prétendument "révélées" (pas seulement chrétienne, mais
judaïque et islamique).
Citons donc Marx et Engels pour éviter de leur faire dire le
contraire de ce qu'ils ont dit:
"La bourgeoise
"liberté de conscience" n'est rien de plus que la tolérance de toutes
les sortes possibles de liberté de conscience religieuse, tandis que le parti
ouvrier s'efforce de libérer les consciences de la fantasmagorie religieuses"
(Marx, Neue Zeit, 1890-91, tome 1)
"En général, le
reflet religieux du monde réel ne pourra disparaître que lorsque les conditions
du travail et de la vie pratique présenteront à l'homme des rapports
transparents et rationnels avec ses semblables et avec la nature. La vie
sociale, dont la production matérielle et les rapports qu'elle implique forment
la base, ne sera dégagée du nuage mystique qui en voile l'aspect, que le jour
où s'y manifestera l'oeuvre d'hommes librement associés, agissant consciemment,
et maîtres de leur propre mouvement social." (Marx, Das Kapital)
"Seule, la
connaissance réelle des forces de la nature chasse les dieux ou le dieu d'une
position après l'autre." (Engels, Anti-Dühring,
1876-1878)
A propos de Kriege et des "révolutionnaires
religieux": "Ces prophètes "enseignent" leurs disciples,
qui se présentent ici avec une remarquable ignorance de leurs propres intérêts,
de la meilleure façon "de travailler et jouir en commun", et cela non
pour "travailler et jouir en commun", mais uniquement au contraire
afin que l'Ecriture s'accomplisse et que quelques rêveurs d'il y a 1800 ans
n'aient pas prophétisé en vain." Mars
et Engels, Circulaire contre Kriege, 1846, chapitre IV)
"Quand le monde
antique était à son déclin, les vieilles religions furent vaincues par la
religion chrétienne. Quand, au XVIIIème siècle, les idées chrétiennes cédèrent
la place aux idées de progrès, la société féodale livrait sa dernière bataille
à la bourgeoisie, alors révolutionnaire. Les idées de liberté de conscience, de
liberté religieuse ne firent que proclamer le règne de la libre concurrence
dans le domaine du savoir (...). Rien n'est plus facile que de donner une
teinture de socialisme à l'ascétisme chrétien. Le christianisme ne s'est-il pas
élevé lui auss contre la propriété privée, le mariage, l'Etat? Et à leur place
n'a-t-il pas prêché la charité et la mendicité, le célibat et la mortification
de la chair, la vie monastique et l'Eglise? Le socialisme chrétien n'est que de
l'eau bénite avec laquelle le prêtre consacre le dépit de l'aristocratie."
(Marx, Engels, Manisfeste du Parti
communiste, ch II et III).
Pour finir, citons donc aussi la Critique de la philosophie
d'Hegel un peu plus longuement:
"Cet Etat, cette
société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu'ils sont
eux-mêmes un monde à l'envers. La religion est la théorie générale de ce monde
(...), elle est la réalisation fantastique [au sens de fantasme, fantaisie] de
l'être humain, parce que l'être humain ne possède pas de vraie réalité. Lutter
contre la religion, c'est donc indirectement lutter contre cemonde-là, dont
la religion est l'arôme spirituel. La détresse religieuse est, pour une
part, l'expression de la détresse réelle et, pour l'autre, la protestation contre
la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme
d'un monde sans cœur, comme est l'est l'esprit de conditions sociales d'où
l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple. L'abolition de la religion
en tant que bonheur illusoire du peuple est l'exigence que formule
son bonheur réel. Exiger qu'il renonce aux illusions sur sa situation
c'est exiger qu'il renonce à une situation qui a besoin d'illusions. La
critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes
dont la religion est l'auréole(...). C'est en premier lieu la tâche de la
philosophie, qui est au service de l'histoire, une fois dénoncée la forme
sacrée de l'auto-aliénation de l'homme, de démasquer l'auto-aliénation
dans sesformes non-sacrées." (Marx, Critique de la philosophie du droit de Hegel, 1843-1844)
C'est clair, net et précis: il faut cesser de faire croire à
une compassion, voire un soutien de Marx aux aliénations religieuses.
Vive la Laïque et les Lumières! Vive l'égalité de tous et de
toutes devant la loi humaine, égalité des femmes et des hommes, égalité des
peuples, sans particularisme ni communautarisme diviseur, inégalitaire et
anti-républicain. Contre la propagande religieuse, pour l'éducation
scientifique et humaniste de toutes et tous, le partage du savoir, des
connaissances et de l'histoire.