"No hay porvenir sin Marx. Sin la memoria y sin la herencia de Marx: en todo caso de un cierto Marx: de su genio, de al menos uno de sus espíritus. Pues ésta será nuestra hipótesis o más bien nuestra toma de partido: hay más de uno, debe haber más de uno." — Jacques Derrida

"Los hombres hacen su propia historia, pero no la hacen a su libre arbitrio, bajo circunstancias elegidas por ellos mismos, sino bajo aquellas circunstancias con que se encuentran directamente, que existen y les han sido legadas por el pasado. La tradición de todas las generaciones muertas oprime como una pesadilla el cerebro de los vivos. Y cuando éstos aparentan dedicarse precisamente a transformarse y a transformar las cosas, a crear algo nunca visto, en estas épocas de crisis revolucionaria es precisamente cuando conjuran temerosos en su auxilio los espíritus del pasado, toman prestados sus nombres, sus consignas de guerra, su ropaje, para, con este disfraz de vejez venerable y este lenguaje prestado, representar la nueva escena de la historia universal" Karl Marx

25/6/16

Le Manifeste Communiste et la pensée historique

Virgínia Fontes (*)    |    Cet article présente quelques traits constitutifs de la pensée historique de Karl Marx et F.Engels dans le Manifeste Communiste. Depuis, toute la réflexion historique ultérieure a dû s’y reporter. Restent intacts leur originalité et leur courage à nous rappeler que nous vivons dans une fin de millénaire pleine de défis et de transformations, à expliquer et à nous exhorter à avoir le courage, nous aussi, de construire de nouvelles alternatives social La clarté et la densité du Manifeste sont frappantes : en quelques pages, une reflexion très élaborée présente quelques points fondamentaux qui deviendront des références centrales pour la pensée historique. Avant de discuter les concepts et catégoriesqui sont à la base de la réflexion historique dans le Manifeste, examinons les conditions dans lesquelles — et contre lesquelles — ces idées ont vu le jour. Deux tendances principales formaient les assises de la pensée historique au XIXème siècle: des survivances du providentialisme chrétien  et la généralisation de la pensée libérale. [1].
          
Le providentialisme, quoique méconnaissable en raison des combats menés au long du XVIIème et du XVIIIème siècles, approvisionnait encore les grandes réactions conservatrices du XIXème siècle (la Sainte Alliance, par exemple [2]) et, avec un visage “modernisé”, étoffait les arguments de l’eurocentrisme dans le processus d’expansion capitaliste. La connaissance d’un plan divin se muait, au XIXème siècle, en la certitude d’un projet occidental de civilisation, monopolisateur d’une Raison absolue. Ce projet, profondément chrétien dans ses racines, échappait cependant à la surveillance d’une seule église.

La pensée libérale, héritière des efforts de laïcisation du pouvoir, rejetait cette conception mais se gardait d’instaurer une réflexion proprement historique, insistant sur les attributs individuels. La nature de l’homme serait à la base du noyau central du pouvoir, l’État. La société, lieu de rencontre des individus, devenait l’espace d’un pacte nécessaire et problématique: il assurait la vie, la propriété et la liberté en échange d’une menace constante, l’Etat, qui devait susciter la peur chez tout un chacun. La peur permanente était le prix à payer pour la paix civile.
          
La métaphore libérale ne correspondait cependant à aucun processus historique réel. L’ensemble de la société aurait-il des attributs autres et différents de la somme des individus, attributs constitués de façon endogène et non pas divine? Ces caractéristiques appartenaient-elles à toute l’humanité ou ne concernaient-elles que chaque groupe? S’agissait-il de traits constitutifs ou, au contraire, étaient-ils passibles de transformation? Cette dernière question s'adressait aussi bien au libéralisme qu’à son prédecesseur, car tous les deux se basaient sur une “nature” humaine figée.
          
À la fin du XVIIIème siècle, Jean-Jacques Rousseu (1712-1778) conduira la pensée libérale à ses extrêmes. En partant de Hobbes et de Locke, Rousseau met en évidence les dichotomies qui marquent la pensée libérale - Etat contre société civile et, surtout, individu contre société. Rousseau envisage la nature de l’homme dans une perspective nouvelle comme “bonne nature” corrompue par les sociétés inégalitaires et comme “nature perfectible”, c’est-à-dire comme passible de “dénaturalisation”. Cette contradiction signale des possibilités nouvelles, car une “nature opprimée” par un ordre social injuste signifie la révolte sociale; la perfectibilité de cette nature ouvrait un terrain illimité à l’action politique. L’idée même de nature humaine changeait et deux notions montaient sur la scène: l’histoire et la liberté.
          
Deux expériences concrètes jalonneraient une nouvelle centralité de la “question sociale” et de l’histoire: la Révolution Française et l’Independance americaine. De l’idée d’un pacte déjà assuré et immuable émergeait dans la pratique l’aventure des conquêtes sociales et la possibilité d’une participation élargie. Au délà d’une tradition, la question sociale indiquait qu’elle ne concernait pas tous les participants de façon identique. Les revendications des groupes sociaux pouvaient être franchement opposées[3].
          
Au XIXème siècle, le sentiment d’incomplétude des conquêtes sociales renvoyaitt directement à la perception d’une autre dimension dans la vie collective, au-delà d’une multitude mais en-deçà d’un projet téléologique, d’une dimension proprement historique. Il s'agit d'une perception de la société comme lieu d’action, de transformation collective et des possibilités d’épanouissement des individus. La question sociale devenait un point névralgique [4], avec un pouvoir de mobilisation grandissant, ne se réduisant donc pas à une interrogation intellectuelle.
          
L’industrialisation et l’expansion européenne à travers le monde révélaient de nouvelles capacités économiques et justifiaient un quotidien limité et inégal pour la plupart de la population, mais paré d’un futur riche de promesses et de progrès. Pour aboutir à un tel futur, il fallait discipliner les individus, contrôler leurs impulsions, empêcher les manifestations de leur barbarie [5]. Les inégalités sociales, maintenues et mêmes approfondies, étaient la contrepartie d’une inclusion forcée dans le monde de la production industrielle [6].
          
Dans la mesure où l’économie souligne les fondements capables de stimuler l’expansion capitaliste, elle réduisait l’histoire à une croissance plus ou moins continue de la prodution et de la capacité productive. Quelques pays européens, sortis de l’”enfance” par la production en grande échelle, paradigme d’un monde capitaliste et chrétien, devraient élever et discipliner les autres, à commencer par leurs propres pauvres [7]. Il y avait très peu de place, sur ce terrain, pour la question sociale et ses revendications.
          
Le Manifeste Communiste part directement de la question sociale, envisagée en tant que problème pratique, refléxion théorique et question historique. Ce n’est pas un instantané figé de la société, mais un processus en mouvement constant, gros de forces capables de mener des changements radicaux. Entre les deux axes fondamentaux — la synthèse et l’action — le processus historique devient le noyau de l’émergence du nouveau.
          
Avant sa rédaction, Marx et Engels avaient entrepris une série de travaux qui ont constitué la base de leurs ouvrages ultérieurs (Gazette Rhénane, Manuscrits de 1844 et l’Idéologie Allemande, parmi d’autres), où se consolidait le refus de l’intervention de tout facteur extra-social dans l’analyse du processus historique. L’explication de l’essor des différentes formes de singularité (individuelles ou collectives) et des dynamiques qui assuraient la stabilité de formes sociales determinées ou, au contraire, stimulaient leurs transformations, devrait être trouvée dans la vie des hommes en collectivité.
          
Ils étaient capables, ainsi, d’abandonner, en le surmontant, le dilemme classique des libéraux et des providentialistes. Ils ont critiqué très pertinemment le libéralisme et ont démontré que le processus d’individualisation était lui-même historique et ne devenait comprehénsible que dans sont rapport à la vie sociale, en particulier, aux luttes sociales à l’origine du capitalisme. Pas même l’individu n'était une question de nature... Quant à la pensée réligieuse, ils soulignaient son rôle de consolidation des mythologies sur lesquelles s’installe le pouvoir, par l’intériorisation des normes de domination sociale en tant que modes de vie [8].  Cette opération était possible par l’anatomie des bases du pouvoir: l’exploitation du surtravail de la plupart des populations, bases historiquement vérifiables et incontestables.
          
L’histoire devenait une dynamique non-aléatoire. Dans la vie sociale, rien ne pouvait plus être atribué à une “nature” ni à des “volontés” ou des “raisons” externes à la vie des hommes.
          
Le Manifeste Communiste s’ouvre par une rapide provocation politique — “un spectre hante l’Europe: le spectre du communisme” — et présente les conceptions, les objectifs et les projets des communistes. Cependant, avant de présenter ces projets, le premier chapitre est consacré à l’explication historique. Ce chapitre historique, fondamental pour la formulation politique, montre le processus de formation aussi bien de la bourgeoisie que du prolétariat. Il ne s’agit pas d’une “toile de fond”, d’une illustration convaincante [9]. Les descriptions prétendument historiques y sont aussi absentes : elles deviennent superflues. L’explication présentée dans le Manifeste se passe de moralisme et évite les contrapositions entre principes “vertueux” et un monde “contaminé”; elle se passe aussi de manichéismes et d’oppositions simplistes. La pensée historique trouve un langage nouveau [10].
          
Telle que le suggère le Manifeste, l’historien doit rechercher les possibles par l’examen de la dynamique sociale. Le Manifeste expose le nerf central de la production et des classes sociales. Il se rattache directement à la pratique politique, par la généralisation d’un savoir capable de contribuer à la construction sociale des volontés collectives. Le rapport au passé s’opère de façon nouvelle: il incorpore aussi bien le présent, en tant que point de départ — et non plus comme point final de l’histoire — que le futur, en tant qu’ouverture sur des possibilités données. Le futur n’est donc plus une “anticipation visionnaire” ou une utopie supplémentaire, mais une construction.

Dans une esquisse brève et précise affleure l’explication du processus et de ses lignes tendancielles, dont le point de départ est donné dans la proposition : “l’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de la lutte de classes”. Cette affirmation subit, par la suite, des lectures dogmatiques, à la recherche d’une application à la lettre en toutes circonstances et devint une sorte de “recette de cuisine”, d’où la réflexion se révélait la grande absente [11]. La célèbre “théorie des étapes” ainsi engendrée prônait, dans chaque période, une seule et unique opposition entre classe dominante et classe dominée. Les présuposés théoriques de Marx se trouvaient délaissés au nom d’une soi-disant application positive de ses principes.
          
Cependant, la richesse de la proposition demeure. Le processus historique et ses transformations exigent l’examen des formes de structuration des conflits sociaux. De surplus, aucune réflexion historique au cours des 150 dernières années ne réussit à escamoter la dynamique conflictuelle des processus historiques ou à la séparer de la production de la vie sociale.
        
Ces remarques générales, traduites dans le texte du Manifeste, soulignent quelques points:

1. Le capitalisme est présenté comme un rapport social — et pas seulement comme une manière de produire. Ce rapport social permet l’essor de la production industrielle qui, à son tour, le consolide : extension de la division du travail, développement des forces productives et subordination croissante de la vie sociale au système productif. Dans le Manifeste, dont l’axe est la divulgation des principes du communisme, cette perspective oriente tout l’ouvrage. Par la suite, elle sera développée dans d’autres textes de Marx et d’Engels, et éclairera la matrice du capitalisme : la séparation des travailleurs d’avec les moyens de production et l’expulsion des paysans de leurs terres. Ce déracinement les rend libres de la subordination antérieure aux grands propriétaires fonciers, mais dépossédés de tout attribut garantissant leur survie. Ils deviennent “propriétaires” d’une seule marchandise : leur force de travail.

2. La définition du capitalisme, présente dans le Manifeste et dans d’autres textes, ne se limite point à la description de la vie économique en Angleterre ou en quelque autre pays. Le capitalisme connaît son essor en Europe, mais il traverse les frontières nationales. Le rapport social qui entraîne ouvriers et entrepreneurs capitalistes jaillit un peu partout avec des colorations spécifiques, mais trouve en Angleterre son modèle le plus complet. Sa dynamique, irréductible à un seul espace national, s’élargit constamment et étend sa modalité propre de rapport social de production. L’Histoire ne se laisse pas jalonner par des frontières politiques ou géographiques. À l’inverse, elle permet d’en expliquer la constitution.

3. Dans le capitalisme, la place des sujets dans la société n’est pas déterminée par leurs capacités (compétence, mérite, etc), ni par leurs qualités (intelligence, adresse, etc). Il ne s’agit pas d’une “nature humaine”, d’un “penchant” naturel pour le profit, ou encore d’une naturalisation des qualités ou capacités individuelles, inhérentes à des groupes sociaux. La bourgeoisie n’est jamais envisagée de façon “machiavélique” et le capitalisme ne se réduit pas à une “machination”, brassée par quelques-uns. Cette caractérisation permet d’illustrer comment le capitalisme — le rapport social entre le capital et le travail — procède par l’expansion de la capacité de production. Il ouvre d’immenses possibilités quand il brise l’isolement entre les régions et socialise la production intellectuelle par la création de forces productives colossales. Par contre, il détruit impitoyablement nombre de libertés, réduit tous les rapports sociaux à des rapports marchands, généralise le principe de “l'intérêt froid” et fait se volatiliser toutes les formes traditionnelles d’assises sociales.

4. Cette caractérisation du rapport social conduit à la définition du prolétariat et à son rôle. Le travail, pôle générateur de toute richesse sociale, se trouve socialisé: la production de n’importe quel bien dépend d’une division internationale du travail. Des formes de coopération jamais envisagées entre les travailleurs sont dirigées et contrôlées par le capital. La classe ouvrière, lors de la généralisation de formes de coopération internationales, condition et effet de la production capitaliste, manifeste son rôle de créateur de richesse et, par là-même, quitte la défensive dans sa lutte pour l’élimination du contrôle capitaliste de la production. Elle mène ainsi de front la lutte contre l’existence même des classes sociales.

Le capital a organisé et concentré le monde du travail. La multiplication de sa capacité productive renforçe sa mainmise sur le cheminement de la société.En une première approche, la révolution consisterait dans le contrôle, par la société, de ce qui constitue le fruit de son travail. La socialisation, incomplète sous le capitalisme, qui n’accorde qu’à une élite la propriété des moyes de production, serait alors généralisée.

5. L’image d’une “armée” de travailleurs nous révèle déjà la forme de la révolution, telle que Marx et Engels l’envisagent en 1848 : une transformation d’ordre militaire. Au blocage libéral sur le plan politique — toutes les formes d’organisation sociale des travailleurs se trouvent bâillonnées, par exemple interdiction des syndicats, des représentations politiques ouvrières, de la consolidation de formes nouvelles de solidarité et de révendication — ils opposent la destruction du système. Cette image sera plus tard remaniée en fonction des diverses conjonctures politiques.

6. La révolution est aussi une construction sociale. Les “automatismes” sont absents de leur analyse. Si la tension entre le travail et le capital s’instaure avec le début du rapport qui les traverse et, dès lors, si la lutte de classe est constitutive de ce rapport, ses formes et sa portée se modifient par la construction graduelle des formes de lutte, par l’apprentissage du processus, par l’expérience accumulée [12]. La liberté du travailleur, quoique pénible et limitée par le capital, signifie la fin du joug des seigneurs et apporte de meilleures conditions à la formulation de nouvelles possibilités de lutte. Peu à peu, des formes de solidarité se mettent en place, la lutte, isolée d’abord, se généralise aussi bien sur le plan national que sur le plan international — tel est le propos du Manifeste.

7. Le rôle du prolétariat et la possibilité de la révolution se laissent saisir par la réflexion historique. Celle-ci doit agir doublement: par l’identification de l’organisation spécifique qui caractérise le capitalisme dans chaque situation particulière (synthèse) et par la transformation des moments précédents (processus). Ce ne sont pas deux moments séparés, mais complémentaires. Chez Marx — à la différence des libéraux, qui envisagent le présent en tant que cristalisation d’un moment final, comme point d’arrivée [13] — le présent est un autre point de ce processus, d’où l’importance d’une pensée qui incorpore la pratique, mettant en évidence les résistances, les transformations possibles par l’investissement politique, d’autant plus puissant qu’il est capable d’évaluer les possibilités données par le système qui organise ce présent, mises en évidence par une pensée qui ne peut être qu’historique.
          
Le capitalisme, dont la logique est examinée à fond dans Le Capital n’est, à aucun moment, pensé como statique. Au contraire, il est dynamique et révolutionnaire. Dans ce cadre, quel rôle attribuer au prolétariat? Quelle est sa dimension proprement historique? D’abord, lui aussi est en permanente transformation dans le sens de l’approfondissement de la socialisation de plus en plus poussée de la structure productive. Il apporte ainsi la possibilité de mener cette socialisation jusqu’à son extrême, par la transformation des privilèges liés au capital en propriété sociale, par la socialisation de la politique et de la vie quotidienne. Cette lutte, historique, est une possibilité et non une donnée assurée d’avance. Elle dépend de l’action politique — et des transformations que celle-ci est capable d’introduire. Ce rapport central entre structure et processus, entre le donné (la division sociale du travail) et le construit (les formes de l’action politique), entre l’économique (dans sa définition large) et le politique, est la marque de la pensée marxiste. L’histoire n’est pas seulement’une logique à dégager du réel, ni la volonté des individus (dont elle ne peut pas, par ailleurs, se dessaisir).

8. La pensée historique chez Marx incorpore une tension constitutive de la dimension temporelle. Expliquer le présent suppose l’identification de ses lignes de force organisatrices (synthèse, déterminations limitatrices de la vie sociale, avec leur coercition ouverte ou admise comme “naturelle”). Mais ces lignes de force ne sont pas statiques, ne sont pas le fruit d’une nature pré-établie ou d’une logique anhistorique. Le centre du processus est le mouvement — la dynamique est le noyau dur de l’histoire. C’est ainsi que détermination et indétermination marchent ensemble. Détermination : le passé est donné, il n’est pas passible de transformations. Il façonne les hommes, les groupes et les classes sociales selon des formes d’organisation toujours déjà données. Indétermination : la lutte sociale peut aboutir à des transformations, y compris des révolutions. Indétermination, car c’est le conflit — la lutte de classes, les multiples affrontements sociaux — le moteur du mouvement de l’histoire. La possibilité de futur inscrite dans le présent n’est pas assurée d’avance. Elle reste une possibilité.
          
Il faut cependant remarquer que cette indétermination,  à la différence d’autres auteurs, ne s’ouvre pas vers un non-lieu, à la façon des utopies traditionnelles, ou vers tous les possibles [14], ce qui obscurcit l’action politique et empêche toute pratique sociale consistante. La construction du futur, chez Marx, relie passé et présent, comme réalisation — ou non — de certaines possibilités par l’intermédiaire de l’action sociale. C’est donc la capacité d’identifier les tensions principales — le noyau de l’exploitation de classe — qui permet d’imaginer un futur radicalement transformé. C’est elle aussi qui permet l’accumulation des luttes, des résistances, la transformation des formes de lutte et la construction de nouvelles possibilités.

Le Manifeste, pamphlet de 1848, anticipe une série de formulations reprises ultérieurement par Marx et Engels. La définition de “pensée historique” trouvée ci-dessus incorpore des catégories développées dans les ouvrages qui suivent le Manifeste. La contribution de Marx et d’Engels ne peut pas être limitée à la construction de concepts généraux et de “catégories opérationnelles”, directement “applicables”. L’histoire, envisagée comme processus, ouvre une possibilité extraordinaire de croissance intellectuelle et pratique par l’absence de références fermées en elles-mêmes ou de “loi d’airain”. Dès lors, il est toujours possible de bâtir de nouvelles luttes, de nouveaux concepts et catégories. Au lieu d’un historicisme incapable de saisir l’idée d’une réalité changeable, il se profile sur le champ théorique une dialectique entre processus et vérité, entre passé et présent, entre penser et agir.
          
Par “pensée historique” je désigne l’explication des formes d’organisation des sociétés et leurs transformations. C’est la construction de la connaissance. Cette pensée historique ne se limite pas à la recherche empirique et à l’examen de faits ou de processus passés, mais les incorpore. Elle ne se laisse pas non plus réduire à des spéculations de nature philosophique et générique, à la recherche d’un modèle fixe (naturel, humain, intellectuel) qui façonne le processus historique.
          
La connaissance historique, comme n’importe quelle connaissance, articule deux mouvements. D’une part, les constatations et le travail minutieux de rassemblement de données; d’autre part, une dimension créative, imaginative et interrogative, capable de les intégrer. D’un côté, incorporer le plus grand nombre possible d’éléments significatifs (données), organisés selon des formes de pertinence. D’un autre côté, les soumettre au crible d’une explication (et non pas simplement une description) dans le contexte d’une formulation théorique.
          
Les sociétés sont composées par des données et des variables infinies. De même, le processus historique comprend un nombre infini d’événements et subit des transformations déclenchées par de multiples volontés, bien qu’on ne puisse pas définir l’une d’elles comme le déterminant de chaque processus.
          
Ainsi, la connaissance historique présuppose l’articulation des multiples dimensions de la vie sociale, de façon à l’expliquer. Comme dans toute forme de connaissance, elle ne saurait épuiser la variété des manifestations de la vie sociale et ne peut s’ériger en connaissance qu’en faisant abstraction des éléments agglutinants et significatifs de l’immense variété des événements.
          
Les contributions de Marx sur ce terrain sont fondamentales, soit par la critique pertinente et contondante des formes spéculatives de la pensée historique au XIXèmesiècle, soit par l’attention portée au traitement des évidences empiriques, surtout dans Le Capital et dans la trilogie sur les transformations sociales en France [15].
          
On parvient ainsi au concept de totalité. La totalité, dans le sens marxien, ne signifie pas l’incorporation de tous les faits et de toutes les occurrences du passé. Cela ne fait pas de sens dans un procès cognitif. La totalité dans la pensée historique correspond à une évidence première: la vie sociale ne se laisse pas épuiser par un seul signifiant. Rien ne peut être considéré comme uniquement économique, par exemple, ni même l’action la plus consciemment dirigée vers l’économique. Un acte d’achat et de vente, par exemple, peut comprendre les sentiments les plus divers (amour, haine, indifférence); il peut aussi illustrer la plus parfaite liberté des deux contractants comme la plus profonde coercition; il embrasse de subtils partages antérieurs au contrat (salaire, héritage, épargne, mariage). De même, les sentiments en apparence les plus “purs” et les relations les plus éthérées peuvent comprendre des préoccupations mesquines.
          
L’imbrication d’innombrables liens entre les individus conduisit fréquemment à l’impossibilité d’expliquer les actes sociaux. Quand c’est le cas, l’histoire devient stérile par l’abandon de la dimension explicative, même si l’on en décrit exhaustivement certains moments, rehaussés par le recours à des techniques narratives. Réduite à de belles narrations, l’histoire perd sa capacité sociale de stimuler la transformation.
          
Or, pour Marx le défi était stimulant. Si tous ces éléments se croisent, s’influencent mutuellement, comment penser ceux qui peuvent jouer un rôle de formation, c’est-à-dire, avoir une dimension déterminante, encore qu’on sache qu’il n’agira jamais seul ? Comment identifier les transformations qui impliquent un réseau, une suite ininterrompue de mouvements qui provoquent un changement de sens dans les actes quotidiens eux-mêmes ? Comment échapper à la simplification d’imposer un seul signifiant à tous les éléments de la vie sociale et, en même temps, les percevoir dans leurs formes spécifiques de connexion ?
          
Marx opéra un saut qualitatif par rapport à la pensée politique de son époque. Hobbes et Locke, par exemple, dans leur essai pour faire de la vie le fondement dernier de la société (la propriété, dans le cas du second), retournent à un principe de nature (permanent, pourtant ahistorique). Or, pour Marx, la vie aura aussi un rôle fondamental. Mais — voici le saut incommensurable — elle est toujours sociale. Il dénaturalise donc l’être humain, et le saisit comme toujours formé par le groupe auquel il appartient et marqué par son époque. Dès lors, il déplace la base de la réflexion de la préservation individuelle de la vie (un contre tous) vers la préservation de la vie sociale. La vie sociale incorpore la vie individuelle, mais elle transforme, en même temps, sa signification. Les individus cesseraient-ils d’avoir une “valeur propre”, pour Marx ? Il est évident que non, mais la question elle-même rehausse le fait — décidément historique — que l’individuation, la construction de la notion d’individu et de sa valeur, dépendent de la collectivité dans laquelle ils s’insèrent et de circonstances qui, maintes fois, subordonnent la vie individuelle et impliquent des formes variées de coercition et d’assentiment.
          
La perception de la dimension sociale des invididus ne suffit pourtant pas à rendre compte de la différence significative entre les deux moments historiques, entre deux formes de vie sociale. D’ailleurs, comme nous l’avons observé ci-dessus, cette conception formait les fondements de la question sociale au XIXème siècle. L’interrogation cruciale était : quels sont les éléments constitutifs de la question sociale ? Que signfie, exactement, la préservation de la vie sociale ?
          
Les économistes qui suivaient le versant inauguré par la pensée libérale utiliseraient l’économie (l’élan individuel pour la survie et pour le profit) comme la clé explicative de toute existence humaine. D’ailleurs cette proposition demeure, jusqu’à nos jours, inchangée. La pensée libérale se fonde exactement sur l’élan exclusif pour le profit comme explication de tous les actes de la vie humaine. La marchandisation des rapports sociaux se trouve ainsi légitimée et en sort même anoblie, considérée comme adéquate à la “nature” humaine.
          
Pour Marx, cette conception représente une réduction inadmissible de la compléxité aussi bien de la vie humaine que de la vie sociale. Cependant, elle pointait vers un élément important : la condition de préservation de la vie (sociale et individuelle) passe, effectivement, par la garantie de leur reproduction. Certes, la vie des hommes n’oscille pas seulement autour de leurs conditions de survie. D’autres aspects font partie des préoccupations, inquiétudes, plaisirs et bonheur humains. Néanmoins, les formes sociales de la survie (qui, quand on y pense historiquement, se traduit dans des conditions données par les sociétés dans lesquelles les individus et groupes sociaux se trouvent) permettent l’ampliation de désirs (bonheur ou biens matériels) ou, à l’inverse, limitent et rendent la vie plus mesquine. Il n’y a pas de production culturelle ou “élévation” spirituelle là où la vie elle-même n’est pas assurée.
          
La production de la vie, d’après Marx, n’est pas “naturelle” : fruit d’impositions et de constructions sociales, elle se transforme. La vie, du moment où elle échappe au dilemme qui oppose la pensée libérale à la pensée providentielle, est toujours pensée comme socialement construite. Des sentiments les plus profonds aux objets de consommation les plus banals, ils se transforment tous selon l’organisation de la société. Si nous trouvons de points communs avec les hommes et femmes d’autres époques, ceci n’est vrai qu’en mettant de côté les immenses différences qui nous séparent.
          
On parvient de la sorte à l’un des points les plus délicats et les plus sujets à caution du marxisme. Le rapport entre la politique (la lutte de classes) et la soi-disant économie. Dans le Manifeste, le procès de production de la vie sociale détermine les conditions dans lesquelles les individus et les classes conduisent leur existence. L’économie, ici, ne se laisse pas réduire aux actes administratifs, aux choix d’investissement, aux types de produits ou à la dynamique du marché. Elle ne se limite pas non plus à la sphère unique et directe des rapports à l’usine ou de ceux entre le propriétaire et l’ouvrier. Elle constitue un rapport social, dans la mesure où elle organise et centralise toute la vie sociale.
          
À vrai dire, le terme même d’économie correspond mal à ce que Marx appelle la production de la vie sociale (production, circulation, distribution, consommation). En effet, quoique l’économie se rapporte directement aux biens et richesses produits, son importance dérive de deux conditions : d’une part, l’identification de la structure de la reproduction sociale (survie) et, d’autre part, l’organisation des individus que cette dernière implique.
          
Le concept marxien englobe ce que beaucoup d’économistes comprennent par “économie” (l’univers strict de la consommation et de la production, i. e., la gestion de  ressources rares) mais la dépasse. On ne peut pas centrer son étude seulement sur les modes de gestion ou sur les modalités de plus grande productivité et accumulation. La question centrale pour Marx et Engels c’est l’identification de la façon dont une société donnée assure son existence (individus et institutions). Pour ce faire, elle doit produire non seulement des biens et des richesses, mais aussi tous les appareils qui la reproduisent en tant que telle. Elle doit nourrir et les individus et ses institutions [16], assurant de la sorte la “reproduction sociale” dans le sens propre de l’expression.
          
La production, pensée en tant qu’organisation sociale, exige l’explication des automatismes qui l’instaurent et la ritualisent, les tensions sur lesquelles elle s’érige, les possibilités (individuelles et de groupe) qu’elle ouvre, les limites et contraintes qu’elle instaure et enfin les formes qui la font ressembler à un produit de la nature humaine. La culture fait ainsi partie intégrante de cette “production de la vie sociale”, car cette naturalisation y a précisément lieu et c’est par elle que les classes, les groupes et les individus se perçoivent comme partie intégrante de l’existence sociale, comme s’il s’agissait de leur seconde peau, une “nature” particulière. Mais c’est aussi par elle qu’ils trouvent les ressources pour contester la naturalité de cet ordre et leur position sociale.
          
La conjonction entre la dénaturalisation des rapports sociaux et la perception des tensions, conflits et luttes de classe qui traversent l’histoire offre la base pour le développement ultérieur de la pensée historique. Dans le Manifeste, en dépit de la brièveté du texte, on remarque la place centrale de cette articulation. Il n’y a pas une “société de nature”, quoiqu’il y ait un rapport entre la société et la nature. Au contraire, nous y trouvons le fruit de transformations historiques et un processus construit socialement qui défait les liens antérieurs et reconstitue une forme nouvelle et plus puissante de produire (des biens, des hommes et des institutions). Marx et Engels montrent comment le capitalisme, impulsé par une force impersonnelle (la division du travail, la grande industrie), est conduit par une classe sociale bien précise — la bourgeoisie, à son tour traversée par des contradictions. Le rapport social complexe qui assure la reproduction capitaliste a lieu à tous les niveaux, de la dimension internationale au quotidien. Le Manifeste met l’accent sur l’organisation des États en faveur de la production capitaliste et la soumission des nations au capital, le recul des libertés durement conquises, l’inter-connexion croissante entre les diverses régions, le rapport entre la campagne et la ville, la concentration et la centralisation — de populations, de moyens de production et de la propriété — la croissance de la capacité productive et la destruction parallèle des produits, équipements et personnes, la culture en tant que simple dressage pour le travail industriel, etc.
          
La dynamique particulière du capitalisme implique une transformation permanente. Il “ne peut exister qu’en provoquant une révolution dans la production” et conduit aussi tout ce qui est solide “à s’évaporer comme de la fumée”.
          
Ce que Marx définira comme “économie” va donc très au-delà de l’”homme-marché”, suggéré par quelques libéraux. Si l’on comprend l’économie comme l’agencement existant entre les hommes dans une société donnée, une série de dimensions, jusqu’alors occultes ou dissimulées prennent du relief. D’abord, le fait que chaque société n’est, jamais, un groupe isolé, une culture fermée et imperméable. Elle établit des contacts, apprend et acquiert des connaissances, se différencie et construit des similitudes, se mélange et élabore des articulations particulières entre des groupes distincts.
          
Ensuite, les formes de domination peuvent, simultanément, assurer une croissance de la capacité de produire et l’appauvrissement relatif de la population, par le développement de formes contraignantes (avec des modalités variées de coercition) de travail et l’approfondissement de la distance — voir l’abime —entre les classes sociales. Cette différenciation ne dépend en rien de la nature : les classes sociales ne sont pas le fruit de capacités individuelles, mais le résultat de luttes, de victoires, de défaites et, par-dessus tout, du maintien de formes non-économiques de coercition et de sujétion. Cependant, l’existence même de cette différenciation provoque les tensions qui traversent ces sociétés : les luttes de classes.
          
La totalité marxiste se traduit dans la recherche de cette synthèse qui, fruit de l’histoire, conduit la vie sociale. Comme les sociétés, cette logique n’est pas immutable, mais se transforme selon les conflits qui façonnent les nouveaux rapports ou, à l’inverse, adaptent, renforcent et maintiennent de formes ajournées de domination.
          
Dans ce sens, le concept de mode de production cherche à rendre compte des lignes les plus générales qui s’entrecroisent — la production économique (avec l’accent sur la distribution des classes, groupes et individus, aussi bien dans la production que dans la distribution des biens), les formes politiques et culturelles, l’organisation de la famille, la distribution dans le territoire, etc. Ainsi, le concept ne se limite pas à décrire la situation d’un pays donné ou d’un groupe spécifique. Il illustre la forme générale, historique, de l’agencement entre la production de biens matériels et les classes sociales dans des conditions données.
          
A la différence de ce que l’on a parfois pensé, la dimension de la totalité ne suffit pas à tout expliquer. Elle constitue, en fait, un défi permanent, car elle exige la perception, à chaque moment, à chaque endroit et dans chaque processus, de la façon dont cet agencement a lieu, quel est son noeud central, comment se forment les tensions internes et externes à la société et quelles sont les plus sensibles, de façon à  trouver des issues aux conflits de classe. Le Manifeste, avec l’oeuvre de Marx et Engels, fournit la plus puissante indication — et il n’y a aucun historien du XXème siècle qui puisse  prendre des distances sans encourir des risques — pour comprendre la vie sociale et ses transformations. Il n’y a, strictement parlant, aucune autre explication capable de dépasser la fertilité de la formulation marxiste. La rigueur de ses exigences est grande, si l’on maintient un rapport entre la recherche, l’identification de nouveaux horizons de problèmes (qui se manifestent toujours dans l’actualité, mais se reportent à leur existence en des temps reculés) et les formes variées de réponse, formulées par les diverses sociétés.
          
L’horizon ouvert par la proposition de synthèse marxiste se fait aussi dénonciation : la découpe arbitraire de segments de la vie sociale par l’abandon des liens qui l’articulent, tend à naturaliser les rapports sociaux et à justifier le maintien du statu quo. Quand les formes sociales exprimant la domination et l’exploitation ne sont pas expliquées, elles sont présentées ipso facto comme nécessaires et consolident ainsi la segmentation sociale dont la racine se trouve dans la capacité de reproduction de la vie sociale.
          
Si quelques réponses du Manifeste appartiennent au passé, les questions qu’il contient et les problèmes qu’il indique demeurent actuels. La base solide pour la pensée critique, l’audace de l’explication, la recherche de la totalité, la dialectique temporelle et la relation proposée entre la connaissance et les questions sociales de son temps demeurent des éléments essentiels pour une réflexion historique conséquente.
Notes
[*] Virgínia Fontes, Universidade Federal Fluminense. Niteroi, Rio de Janeiro, Brésil
[1]  - Dans Polanyi, K. The great transformation, il y a une intéressante description de la généralisation du libéralisme en Europe au XIXème siècle.
[2]  - La Sainte Alliance incarnait le système de réaction et de répression des grandes monarchies absolutistes de l’Europe, après 1815.
[3]  - D’autres penseurs énonceraient des systèmes cherchant à intégrer toutes ces interrogations, comme Hegel, ou encore essaieraient d’intervenir dans la société de façon à augmenter ou réduire la participation de certains segments, de promouvoir le “progrès” ou le “bonheur”. Bentham, Jefferson, Paine et Mill, par exemple, établiront les bases de la pensée démocratique libérale. Voir Macpherson, C. B. Principes et limites de la démocratie libérale. Paris/Montréal; La Découverte, Boreal Express, 1985.
[4]  - En langue française, le terme “socialisme” naît autour de 1830 et devient peu à peu courant à partir de l840.
[5]  - Foucault, M. Surveiller et punir. Paris, Gallimard, 1975.
[6]  - Voir Fontes, V. “Capitalismo, exclusões e inclusão forçada.” Tempo. Relume Dumará/UFF,  vol. 2, n. 3, jul. 1997.
[7]  - À ce sujet, voir Castel, R. Les métamorphoses de la question sociale. Paris, Fayard, 1995, pp. 217-67.
[8]  - Marx avait indiqué des questions concernant l’éthique protestante qui, par ailleurs, a été l’objet des recherches précises aussi bien de la part de Max Weber que de E. P. Thompson.
[9]  - Ce genre de procédure est encore de nos jours très en usage. L’incapacité de formuler une vraie analyse et, surtout, d’intégrer ses éléments dans une évaluation synthétisante tend à exacerber des ressources d’érudition, où la référence constante à des exemples ponctuels remplace l’explication du processus historique.
[10]  - Le recours à la dimension morale, usuelle au XIXème siècle, tend aussi, de nos jours, à remplacer l’argumentation explicative, dans une fin de siècle quelque peu mélancolique. La difficulté d’accepter le défi de notre temps et de construire une explication historique conséquente, capable de comprendre une pensée alternative conduit à un retour à des pratiques propres au XIXème siècle, alors largement critiquées par Marx lui-même.
[11]  - L’on peut, certes, en faire une double lecture. Dans la première, appauvrissante, la classe ouvrière serait le zénith de l’histoire et porterait en soi le destin de l’humanité, indépendemment de son action politique. Dans la seconde, plus riche et originale, le fait que la classe ouvrière occupe le point nodal de la production capitaliste indique une possibilitéradicalement nouvelle, la fin des classes sociales. Mais cette possibilité dépend de la capacité de construction sociale et politique de cette classe, de même que de l’évaluation des transformations que sa propre action introduit dans cette dynamique.
[12]  - Cet aspect fut souligné, à plusieurs reprises, por E.P Thompson. Voir, par exemple, Tradición, revuelta y consciencia de clase. Barcelona, Crítica, 1979.
[13]  - Ce genre d’apologie du capitalisme sous-tend des travaux comme celui de Fukuyama.
[14]  - Koyré, A. – Études d’Histoire de la pensée scientifique, ed. Gallimard, 1973, Paris, p. 51.
[15]  - Les luttes de classe en France (1850), Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte (1852) e La guerre civile en France (1871).
[16]  - Marx et Engels permettent, ainsi, de rendre compte comment, historiquement, maintes sociétés sacrifient leurs individus. Les sacrifices peuvent être purement rituels, peuvent conduire à la peine de mort pour des raisons variées, peuvent encore conduire à l’esclavage ou à une extrême pénurie pour certains groupes sociaux.
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◆ El que busca, encuentra...

Todo lo sólido se desvanece en el aire; todo lo sagrado es profano, y los hombres, al fin, se ven forzados a considerar serenamente sus condiciones de existencia y sus relaciones recíprocasKarl Marx

Not@s sobre Marx, marxismo, socialismo y la Revolución 2.0

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Gabriel Vargas Lozano, Hillel Ticktin: István Mészáros: pensar la alienación y la crisis del capitalismo — SinPermiso
Carmen Bohórquez: István Mészáros, ahora y siempre — Red 58
István Mészáros: Reflexiones sobre la Nueva Internacional — Rebelión
Ricardo Antunes: Sobre "Más allá del capital", de István Mészáros — Herramienta
Francisco Farina: Hasta la Victoria: István Mészáros — Marcha
István Mészáros in memoriam : Capitalism and Ecological Destruction — Climate & Capitalism.us