|
Karl Marx ✆ Hosoya
|
Jérôme Lamy &
Arnaud Saint-Martin
Les Science
studies ont émergé comme discipline syncrétique centrée sur les savoirs
dans le sillage des mouvements de contestation des années 1960 et 1970. Le
marxisme est alors une référence incontournable des historiens et sociologues
des sciences qui explorent - et dénoncent - les modes de domination et
d’aliénation associés aux pratiques scientifiques. Les
campus bouillonnants des Trente Glorieuses sont l’espace principiel d’une forme
de contestation épistémologique radicale. Les sciences ne sont plus quadrillées
par les questionnements philosophiques classiques mais par un retour sur les
pratiques et la matérialité des formes de connaissance. Peu à peu cependant, un
glissement s’opère au sein desScience studies : le référentiel politique
contestataire s’estompe et la pensée marxiste, si elle est encore parfois
mobilisée, est singulièrement transformée et même trahie. Dans les années 1980
et 1990, une série d’études sur les machines témoignent de cette rupture
progressive avec le socle subversif du marxisme.
« Et
en plus de cela, j’étudie aussi Comte en ce moment, puisque les Anglais et les
Français font tant de bruit autour de ce type. Ce qui les aguiche, c’est son
côté encyclopédique, la synthèse. Mais c’est lamentable comparé à Hegel
[…]. Et cette merde de positivisme est parue en 1832 ! » — Karl
Marx, Lettre à Friedrich Engels, 7 juillet 1866.
1. « Marx, un spectre qui ne hante plus les Science and Technology Studies ? » Le titre de notre intervention, quoique peu original, indique assez
la perspective qui sera la nôtre. Nous nous intéresserons à la rémanence de
« Marx » —et tout ce qu’on peut ranger sous ce nom— dans les STS, un
champ intellectuel désormais bien balisé et institué (nous partons du
présupposé que les STS sont connues de nos lecteurs). C’est un terrain
délimité, déjà sur le plan temporel —disons, en première caractérisation, du
début des années 1970 à aujourd’hui, sans négliger pour autant des coups de
sonde dans les années 1930, qui voient la constitution des disciplines de
l’histoire et de la sociologie des sciences, desquelles les STS sont
partiellement issues. Cela dit, les processus socio-intellectuels que nous
souhaitons analyser résistent à des bornages chronologiques et disciplinaires
clairs. Comment une œuvre composite comme celle de Marx, a fortiori un ensemble de doctrines
figé sous le label du marxisme, inspirent-ils les développements conceptuels,
les pratiques de recherche et les postures épistémologiques en STS ? Comment les chercheurs en STS se
saisissent-ils de Marx, et réciproquement ?
2. Un mot sur la méthode et la perspective de recherche que nous
développerons. Comment envisager les références à Marx et au marxisme ?
Quel matériau utiliser ? Comment l’interpréter une fois constitué, à supposer qu’une telle
opération puisse s’achever ? Déjà, il n’est pas question d’être
exhaustif : non seulement cela dépasserait nos forces et les seuils
critiques de l’enquête, mais c’est surtout contre-productif dans le cadre de
notre approche. Il ne s’agit donc pas, comme on pourrait s’y attendre, de
cartographier un ensemble extensif de prises de position ou de textes où la
référence à Marx affleure d’une façon ou d’une autre, et cela par la force de
méthodes positives —on pense, en particulier, à l’analyse de citations et de
cocitations et, surtout, à la scientométrie la plus froidement comptable. Pas
de cartographie pour une raison simple : les phénomènes que nous voulons
examiner échappent à ces techniques d’objectivation. Car, on ne chasse pas un
fantôme en se projetant sur les seules bases bibliométriques. Il n’est pas sûr
non plus que des entretiens suffisent, quand bien même l’esprit de Marx
rôderait entre deux rétrospections. L’option la plus
viable, peut-être, consiste à isoler un auteur labellisé « marxiste »
et repérer, dans ses textes comme dans les commentaires dont ils sont l’objet,
les indices de la persistance marxiste. Nous l’avons déjà tenté1 en partant de la
trajectoire socio-intellectuelle d’un « pionnier oublié des STS »,
Edgar Zilsel (1891-1944), synthèse incarnée de l’austro-marxisme et du
positivisme logique viennois. Toutefois, on le verra dans le déroulé du plan,
nous avons choisi d’isoler ici des configurations d’usage qui ne sont pas
nécessairement liées, des moments qui ne sont pas toujours reconnus comme
essentiels par les porte-parole des STS, et nous procédons ainsi sans plaquer
sur ces réalités une quelconque chronologie ou un schéma explicatif univoque.
Il s’agit, en d’autres termes, d’esquisser une sociologie politique des
lectures de Marx, à partir d’un ensemble restreint de prises de position. Autre
élément, plus capital peut-être : il n’est pas lieu de confondre des
usages qui seraient « en fraude » avec une définition du marxisme qui
aurait nos faveurs, une conception droite qu’on n’aurait d’autre horizon que
d’endosser. Si nous ne cacherons pas un instant nos préférences, nos
perplexités, parfois notre exaspération, nous suspendrons le jugement sur ce
qui, du point de vue de notre travail d’acteurs engagés des STS —quoique à la
marge— nous apparaît peu fécond, spécieux, voire à la limite de l’imposture.
3. Il nous reste encore à clarifier le titre énigmatique de l’exposé.
Que veut dire au juste « un spectre de Marx » ? Et plus encore,
un spectre de Marx qui ne hanterait plus les STS ? Se serait-il volatilisé
après avoir obsédé, vraiment ? En disant cela, nous ne suggérons pas de
constituer une sorte d’anthologie des références à Marx, une compilation
érudite et gratuite où toutes les voix seraient entendues. Notre projet, à la
différence, est de tester ce que Jacques Derrida a appelé, dans Spectres de Marx (1993), une
« hantologie », qui consiste à pister, à sonder, à interroger et à
dérouter les occurrences et les récurrences des esprits de Marx.
Déconstruire, en somme, ce qui ferait la spectralité de Marx dans les STS. Le
propos de Derrida, certes fort peu sociologique, non indexé à une
bibliographieprécise2, consiste
en une méditation patiente sur les modes actuels d’incarnation/incantation du
personnage conceptuel Marx, la présence-absence d’héritages diversement
internalisés du marxisme, bref sur la hantise du spectre de Marx —inutile, ici,
de souligner la polysémie du mot « hanter ». Les modalités du
« retour » à/de Marx, d’un revenant donc, sont multiples et parfois
contrariées. L’enjeu est de découvrir ces formes de hantise et d’invocation,
qui prennent le tour de la normalisation, de la dénégation, de la
neutralisation, de l’euphémisation ou encore de la conjuration. Les découvrir,
mais évidemment aussi, ce faisant, les situer en référence à des déterminations
sociales, institutionnelles, culturelles, politico-idéologiques. Que
subsiste-t-il de l’esprit du marxisme ? Par quels médiums, quelle fréquence
et de quelles façons les messages para-, pseudo-, crypto-, néo-, post-, rétro-,
anti- ou tout simplement marxistes sont-ils véhiculés et disséminés ? À
quels intérêts correspondent-ils ? Que signifie de se revendiquer du
marxisme en STS à telle ou telle période ? Des fantômes, on en croisera.
Des auteurs qui ne cessent d’imprimer, des oubliés aussi qui réapparaissent à
la faveur de situations critiques ou de tentatives de restauration ad hoc.
La matrice marxiste de l’histoire des sciences, des années 1930 en particulier,
après avoir été oblitérée dans les années 1950-1960, resurgit dans les STS à la
fin des années 1960, inspirant la critique radicale des sciences. Ce sont là
autant de « spectres intempestifs qu’il ne faut pas chasser mais trier, critiquer,
garder près de soi et laisser revenir »3. Mais quoi qu’il en soit, les
formes d’arraisonnement de la référence
marxiste justifient l’exercice d’une interprétation nuancée. En effet, les
métamorphoses que les usages contrastés font subir au corpus marxiste doivent être lues entre les lignes. Pas de
suspense, en revanche : cherchant les indices, il nous apparaît clair que
le spectre de Marx continue de hanter les STS.
4. La hantologie n’est pas notre seul fil directeur. Précisons que,
pour nous, ce travail de repérage exploratoire s’insère dans un programme de
recherche plus général, à l’état de friche industrieuse à dire vrai. Depuis
plusieurs années, nous travaillons le problème à n-entrées de l’émergence,
des modes de développement et, le cas échéant, des conditions d’affaissement
des disciplines et des traditions intellectuelles4. Une partie de cet article
traite d’un sujet qui nous tient à cœur, en plein dans cette problématique, à
savoir l’affirmation contrariée de la sociologie historique des sciences,
marxisante et au-delà, depuis en gros les années 1930. Citons, entre autres références, l’histoire
matérialiste de Nikolaï Boukharine5 et
Boris Hessen6, les savants socialistes et communistes
britanniques du « collège visible »7,
Joseph Needham, John Desmond Bernal, James Crowther, plus généralement le
mouvement des « Social
Relations of Science », particulièrement actif dans les années
1940-1950. Nous ne reconstituerons pas dans le détail l’histoire de cette
matrice marxiste des études des sciences, cela nous emmènerait trop loin. Mais
nous verrons qu’elle ne manquera pas de faire retour, notamment dans les
moments où les STS s’interrogent sur leur identité disciplinaire et leurs
orientations épistémologiques. Plus sociologique cette fois, quoique assez
expérimentale également, la sémantique sociohistorique esquissée par Robert K.
Merton constitue pour nous une source d’inspiration, comme nous aurons
l’occasion de le souligner. Le concept de l’« oblitération par
incorporation »8 —soit
l’assimilation d’une idée, d’une méthode, de résultats, etc. dans le canon
d’une discipline, qui a pour corolaire l’oubli de sa source— peut être mobilisé
pour aider à comprendre la logique de certaines pratiques conceptuelles ;
par exemple dans la sociology of
scientific knowledge, le remplacement graduel des concepts marxistes
de « détermination » et de « production » par celui, plus
générique et démarxisé, de « construction ». C’est une hypothèse
massive qu’on n’envisagera que de façon spéculative pour l’instant.
5. Une mise au point réflexive s’impose : c’est d’abord parce que ces
questions nous concernaient comme chercheurs —respectivement historien et
sociologue de formation— que nous avons été amenés peu à peu, de façon
erratique, à les envisager, pour finalement les définir comme terrains
d’enquête. C’est également parce que nous avons découvert les STS, sorte
de no man’s land en France
aujourd’hui encore, que nous avons été confrontés, entre autres thèmes
lancinants, à l’injonction plus ou moins tacite au positionnement
disciplinaire. Nous ne cacherons pas notre ambivalence à l’égard des STS. En
même temps, c’est pour nous un champ intellectuel qui recèle des
questionnements et des voies de recherche passionnantes, par moments fécondes,
mais qui, nous semble-t-il, peinent à mûrir autrement que par l’inflation de
« tournants » et de renversements épistémologiques dont l’originalité
et la pertinence épistémologique sont souvent douteuses. Les simulacres,
« consistant justement à mimer le fantôme »9,
constituent un répertoire d’intervention commun dans ce champ où, au début des
années 1990, s’insinuait un « air de radicalisme »10, que de rares critiques clairvoyants
parvinrent alors à débusquer —avant les violents retours de bâton durant
la « science war ». Surtout au regard du problème sur lequel
nous travaillerons aujourd’hui, l’historiographie des STS, placée sous le signe
de l’inévitable réflexivité et des facilités « métas » qu’autorisent
les discours de déconstruction —qui
sapent plus qu’ils ne fondent—, cette historiographie nous paraît donc viciée
et ronronnante. Si nous nous efforçons d’en revisiter les poncifs et
les topoï les plus éculés (il n’est qu’à lire les innombrables récits
des origines des lab studies), c’est aussi dans le but de trouver de
nouvelles choses à dire, quand tout semble avoir déjà été dit et qu’il ne
s’agirait que de réitérer sans plus-value. En revenir à
la relation compliquée que les STS entretiennent avec le marxisme est, dès
lors, un prétexte pour détricoter l’historiographie indigène des STS, en
d’autres termes proposer une contre-histoire. Nous ne sommes pas sans
reconnaître qu’une contre-histoire est critique par intention, en l’occurrence
ici parce qu’elle refuse l’opium de l’histoire mainstream des STS.
6. Dans une première partie, nous examinerons la matrice radicale des
STS et le feuilleté de références scientifico-politiques qui compose l’horizon
intellectuel de l’après-68. Puis, nous nous attarderons sur les articulations des Technology Studies des années 1980
et du marxisme. Nous reviendrons sur l’oubli de Marx tout au long des années
1990, avant de repérer des résurgences écologistes à distance des STS.
Les
sources radicales des STS, 1970-1985
7. Les STS, de l’autre côté de la Manche surtout, se sont auto-instituées
comme le versant académique d’une critique radicale des sciences (et des formes
de pouvoir qu’elles génèrent) de mise en Occident dans la période post-68. Un
certain nombre d’auteurs, parties prenantes des STS, souvent militants sur les
campus et/ou dans les syndicats scientifiques, en appellent aux marxismes pour
nourrir une contestation politique de la science en tant que pouvoir. Des
textes « canoniques » de la tradition marxiste de l’histoire des
sciences sont exhumés dans la période. Notre idée est simple : dans cette
première partie comme dans les suivantes, l’enjeu est de comprendre, par le
détour des textes, comment la critique d’inspiration marxiste s’est peu à peu
déconnectée de toute charge politique subversive, pour devenir une pratique
discursive de professionnels des études des sciences : bref, comment la
critique des sciences est devenue académique, pour reprendre l’expression de
Brian Martin 11.
Le
marxisme culturel des campus
8. Les années 1960 et 1970 sont celles, sur les campus occidentaux,
d’une contestation plus ou moins radicale des modes de domination sous toutes
leurs formes : questions relatives au genre, critique de l’économie
capitaliste, démocratisation des modalités d’expression, lutte contre
l’autoritarisme nourrissent ainsi la matrice culturelle universitaire. La
science, en tant qu’elle représente un pouvoir de dire le monde et d’agir sur
lui, est la cible de nombreuses dénonciations étayées (notamment, mais pas
seulement) à partir du corpus marxiste.
9. Particulièrement en vue, Hilary et Steven Rose, spécialistes
respectivement d’économie politique et de neurobiologie, ont formé la pointe
d’une lecture radicale des thèses de Marx sur la science des années 1960 aux
années 1970. Ils dénoncent une pratique scientifique aliénée par et pour le
capital et soutiennent que les sciences de la nature « deviennent […] plus
oppressives que libératrices »12.
La seule solution pour qu’advienne une réconciliation entre l’humanité et la
nature (condition pour que l’histoire humaine retrouve sa place dans l’histoire
de la nature) est l’avènement du communisme13. Cette visée politique ultime
motive donc un réquisitoire particulièrement sévère contre la science devenue,
depuis la fin du second conflit mondial, productrice de savoirs à destination
de la production et du contrôle social14. La pratique savante
« enrôlée » par le capital participe à ses fins
(i.e. l’accumulation primitive) et se transforme en pure marchandise. Le discours marxiste sur les sciences,
congruent aux débats critiques qui agitent les campus occidentaux des années
1960-1970, s’appuie également sur une recherche et une analyse des expériences
communistes en cours en Union soviétique et en Chine. Erik P. Hoffmann,
professeur de sciences politiques à l’université d’État de New York (Albany)
dresse ainsi, en 1979, pour la revue Social Studies of Science, un bilan
des recherches soviétiques sur les sciences et leurs implications sociales. Il
discute notamment du concept de « Révolution Scientifico-Technique (Scientific-Technological Revolution [STR])
défini comme la transformation fondamentale des forces scientifico-techniques
et humaines de la société. Dans la lignée de Marx, l’objectif est de penser la
transformation de la science comme force productrice et d’intégrer les procès
scientifiques dans la production. Hoffmann signale néanmoins que les études
menées sur ces thèmes sont essentiellement théoriques et que peu de données
empiriques viennent les soutenir. Il n’en reste pas moins une visée politique
concrète pour lesleaders soviétiques, qui est d’analyser et de performer
les médiations entre pratiques du progrès social et pratiques
techno-scientifiques15. Le ton
« soviet » de l’article ne laisse pas d’intriguer (surtout en 1979),
mais témoigne surtout des attentes critiques qui circulent au sein des
universités occidentales. Le maoïsme, dont on sait en France à quel point il a
subjugué l’intelligentsia gauchiste post-68, sert également de point d’appui
pour questionner des modèles alternatifs de développement scientifique. Susan
B. Rifkin, membre de la Science Policy Research Unit de l’université du
Sussex, rend compte en octobre 1972 d’un workshop organisé dans son laboratoire sur le thème
« Science et technologie dans le développement chinois ». Les participants
ont questionné non seulement la science chinoise, en tant qu’entité englobante
à partir de laquelle s’ordonnent les problématiques éducatives, technologiques
et commerciales, mais également la pluralité des points de vue (i.e. la
politique scientifique chinoise vue par les Chinois eux-mêmes vs. la politique
scientifique chinoise appréciée par les Occidentaux). Rifkin souligne à la
fois l’arrière-plan tiers-mondiste des réflexions ébauchées lors du workshop et la primauté des
idéologies marxistes maoïstes pour penser la notion de développement16. Cependant, si les
questionnements de Marx irriguent largement le nouvel agenda critique sur les
sciences, ils ne constituent pas —loin s’en faut— l’unique matrice pour penser
et contester les formes de domination scientifique. La réflexion luddite fait
également son retour à travers la discussion d’auteurs comme Jacques Ellul.
Stephen Cotgrove, sociologue à l’université de Bath, produit ainsi une série de
« thèses » sur la technique et ses implications sociales. Sa
réflexion s’élabore en premier lieu à partir du concept très marxien
d’aliénation : contestant l’idée que le travail puisse être la seule
source de réalisation de soi, il envisage les activités non productives comme
espace possible de satisfaction et d’épanouissement. La « société des
artistes » qu’il suggère oblige à penser les machines et la technologie,
le consumérisme et le fétichisme marchand comme des problématiques ontologiques17. Cotgrove poursuit sa
réflexion sur la technique et la rationalité dans un texte de Social
Studies of Science (paru en 1975), qui articule les propositions de Weber
à celles d’Ellul. Au premier, il emprunte la définition de la rationalisation
comme principe de systématisation et de routinisation des activités
humaines ; aux sources du second, il puise une critique radicale de la
société technologique comme menace permanente sur les valeurs humaines (liberté,
choix, jugement). C’est moins la rationalité qui est en cause que son
instrumentalisation systématique. Précisément, l’incorporation des techniques à
l’économie politique revient à livrer aux formes instrumentées de la raison le
devenir humain. La
question n’est plus celle d’une finalité commune mais celle des moyens
(techniques) à mettre en œuvre. La technostructure et
la technocratie qui la dirige privent les politiciens et le peuple des
instruments légitimes de gouvernement18. La critique luddite de
Cotgrove se positionne à distance du marxisme (sur lequel pèsent des soupçons
de prométhéisme aveugle), mais participe d’une culture contestataire plus
générale.
10. Dans un paysage universitaire radicalisé, les positions politiques
plus incertaines font l’objet de remises en question sévères. Ainsi, Sal
Restivo discute longuement, dans la lettre de la Social Studies of Science Society de l’hiver 1984, les
positions en lien avec la thèse dite de la « finalisation de la
science », du groupe allemand des « Sciences alternatives »
—l’école de Starnberg, au sein de laquelle se trouvent notamment Gernot Böhme
et Wolfgang Krohn19.
L’objectif de ce cluster informel est de questionner la science (dans
une acception non positiviste) en lien avec la crise écologique, mais surtout
de théoriser, à des fins pratiques, la transition de la science fondamentale en
contexte d’application (éventuelle), laquelle rencontrerait des intérêts
« externes » (social, économique, politique) et s’exposerait
possiblement à une planification. La démarche proposée est une sorte de
conciliation intégratrice d’une écologie politique consciente des enjeux d’une
construction sociale de l’environnement. Adossés à la notion kuhnienne de
paradigme, les « finalistes » n’ont, selon Sal Restivo, rien à dire
sur le relativisme ni sur les structures instituées. Leur cool radicalism (fort peu
sociologique au demeurant) ne serait donc d’aucun secours pour penser les
transformations de la société capitaliste contemporaine et ses conséquences
écologiques20.
11. Dans la gamme des positions critiques qui s’étirent sur les campus,
l’anarchisme n’est certainement pas en reste. On connaît suffisamment les
thèses de Paul Feyerabend (qui soutient que « tout est bon » pour
comprendre l’activité scientifique) pour qu’il ne soit pas utile d’y revenir21. Theodore Roszak, historien et
sociologue à l’université d’État de Californie, s’est rendu célèbre en
popularisant la notion de « contre-culture ». Il a également proposé
une série de méditations crépusculaires sur l’incapacité de la science à
produire autre chose que des systèmes de manipulation de l’information sur la
nature22.
12. Cessons provisoirement l’inventaire. Nous avons décrit ici des
pratiques discursives qui interrogent les modalités de domination induites par
les pratiques scientifiques. Des expériences pratiques comme les boutiques de
sciences nées aux Pays-Bas ont donné corps à cette matrice critique en mettant
en contact les chercheurs et le grand public, dans un cadre non marchand, pour
que s’élaborent des perspectives politiques nouvelles sur les recherches
scientifiques et technologiques23.
On pourrait mentionner également les développements bouillonnants de la
« critique radicale » de la science en France, entre Vincennes et
Jussieu, mouvement dont certains acteurs clés sont très écoutés (Jean-Marc
Lévy-Leblond, en figure de proue24)
—nous renvoyons à la thèse récente de Renaud Debailly25 et aux travaux de Michel
Dubois26, qui mettent en
évidence les liens entre la « critique radicale » et l’émergence des
STS.
Un
fantôme de Marx chez Robert K. Merton ?
13. Prenons un cas édifiant du genre de procès qui nous intéresse. Soit
Robert K Merton, « père » de la sociologie des sciences. Pour
les STS, c’est, tour à tour, un repoussoir à dépasser, un levier
épistémologique pour s’autopercevoir comme paradigme alternatif, le nom propre
d’une tradition intellectuelle désormais respectable, quoique ou parce que
« classique ». Tout le monde n’a pas lu la thèse de Merton sur
l’essor de la science en Angleterre au xviie siècle27. Peu de monde, en vérité. À la
lire de près, on perçoit combien la référence
marxiste est structurante. Si l’on ne retient au mieux que le prolongement
de la thèse wébérienne sur l’adéquation entre l’éthique puritaine et la culture
de la science –—rois chapitres sur les onze que compte le mémoire—, il est tout
autant influencé par les historiens marxistes, notamment Hessen, dont la
« méthode » matérialiste est réajustée à ses fins. Son travail peut
être lu dans une certaine mesure comme un amendement constructif à la thèse de
Hessen. Lui aussi met au jour une relation entre les intérêts spécifiques de la
bourgeoisie commerçante et le choix de problèmes technologiques prioritaires,
en même temps qu’il met à distance l’explication matérialiste « vulgaire »,
postulant un rapport de causalité univoque entre l’une et l’autre de ces
entités pour lui substituer un schéma plus complexe, dans lequel intervient une
multiplicité de facteurs dont il convient de mesurer le poids relatif. Réédité
en 1970, révisé constamment au gré des controverses qu’il ne manque pas
d’animer, le schéma explicatif de Science,
Technology and Society —« STS », n’est-il pas ?— est
marxo-compatible. Parmi les lignes de force du programme en devenir de Merton,
le postulat de différenciation cognitive et institutionnelle
de la science aura des conséquences immenses sur l’orientation
épistémologique de la sociologie des sciences. Dans Science, Technology and Society, Merton remonte à l’origine du
processus au terme duquel d’une part l’institution scientifique est
relativement autonome et prééminente au sein de la société et d’autre part, se
justifie le rôle social de l’homme de science. Ce faisant, il prend acte d’une
partition entre les facteurs « intrinsèques » (cognitifs) et les
facteurs non scientifiques (sociaux, économiques, religieux, etc.). Pour des
générations de sociologues et d’historiens, c’est un point de départ et de
conclusion de l’analyse. Merton laisse à d’autres spécialistes jugés plus
qualifiés – les philosophes des sciences et les épistémologues – la tâche de
rendre raison des progrès dans l’élaboration des « contenus ». Ainsi
apparaît dans les années 1930, avec Hessen et de façon plus franche encore avec
la « Merton thesis », l’opposition cardinale entre
l’« internalisme » et l’« externalisme »28.
14. Il faut noter aussi le lien explicitement fait
par Merton avec le mouvement anglais des « Social Relations of Science ». Des indices des
sympathies marxistes du jeune sociologue s’accumulent : il n’est qu’à
considérer la notion de « communism »,
pivot normatif de l’ethos de la science formulé initialement en 1938 puis
en 1942 dans deux articles fondateurs, « Science and the Social
Order »29 et « A Note on Science
and Democracy »30.
Le communisme (communism en un
sens « non technique et étendu », avertit Merton) précise que les
connaissances constituent un patrimoine d’usage partagé (et à partager), un
bien public accessible à tous, à l’exemple du système cosmologique éponyme de
Copernic. Le scientifique contribue à l’accroissement de cet héritage de commons, en échange de quoi il est
reconnu et estimé par ses pairs. Un élève de Merton, Bernard Barber, choisira
de rectifier le tir en 1952 : la notion, supposée plus neutre, de
« communalisme », donne des gages libéraux au temps du maccarthysme31. Cependant, à la fin
des années 1930, qui voient l’accession au pouvoir des totalitarismes en Europe
—une hantise pour Merton, fils d’immigrés juifs ukrainiens, socialistes et
anarchistes—, le« communism » n’est
pas un vain mot sous la plume du sociologue historien de Harvard. L’idée est
empruntée à John D. Bernal qui, dans The Social Function of Science,
paru en 193932, envisage la
place de la science dans la société dans des termes marxistes : elle est
communiste ou elle n’est pas. Les deux articles, que les manuels ont désindexés
de ce contexte idéologique, constituent une réponse « libérale », non
marxiste, au débat sur la vocation sociale-démocratique et la
« gouvernance » de la science, débat animant à l’époque la gauche intellectuelle
en Angleterre et aux États-Unis. On pourrait continuer encore l’herméneutique
de la présence subtile de Marx chez Merton. Cela dépasse d’ailleurs ses seules
contributions à la sociologie des sciences. Dans l’ouvrage qu’il lui a
consacré, Charles Crothers réserve un chapitre entier, « Merton and the ghost of Marx », à
cette question épineuse33.
De nombreux exégètes également, parmi lesquels Arthur Stinchcombe ou Alvin
Gouldner, et Merton lui-même un peu plus tard dans différents entretiens, ont
souligné la parenté entre la pensée marxiste et l’analyse fonctionnelle
structurale, déployée dans les études de cas de sociologie des sciences. Autre élément : pour ce qui concerne la sociologie de la
connaissance et la sociologie de la science, a fortiori la sociologie de la connaissance scientifique,
Merton a souligné à de nombreuses reprises —par exemple, dans son Episodic Memoir de 197734— que Marx est un fondateur à
ne pas négliger. Tout comme le marxisme compliqué et presque clandestin de
Merton.
Marx,
référence séminale… jusqu’à l’oubli ?
15. Une lecture attentive des principaux textes STS de la fin des
années 1970 et du début des années 1980 laisse deviner une persistance des
critiques marxistes post-68. La référence semble à ce point incontournable que
même Bruno Latour (qu’on ne soupçonnera pas d’être un marxiste échevelé) et
Steven Woolgar citent dans Laboratory
Life, ouvrage emblématique et générique des STS, le texte de Marx sur
Feuerbach,Conception matérialiste contre
conception idéaliste, pour insister sur le caractère pratique des modalités
d’objectivation35. La
traduction française de 1988 évince, purement et simplement, la citation de
Marx – la période du « jeune Latour » de San Diego semble révolue36. Les deux auteurs évoquent
également Le Capital. Ils
indiquent clairement que la notion de « cycle de crédibilité »,
qu’ils ébauchent pour justifier la circulation des écrits au sein et en dehors
d’un laboratoire, trouve une justification dans le passage, chez Marx, de la
valeur d’usage à la valeur d’échange37.
La version française de l’ouvrage, parue en 1988, comporte toujours cette
remarque sur la similitude des deux formes de conversions sociales, mais la
référence au Capital a disparu. Signe des temps, le marxisme ne fait plus
recette à l’apogée des STS et il n’est plus besoin d’y faire référence…
Peut-être même le spectre de Marx est-il devenu encombrant quand la radicalité
s’est transformée en une simple posture dans un mouvement en passe de
devenir maintream.
16. D’autres chercheurs éprouvent néanmoins le
besoin de revenir aux sources radicales des science studies. C’est le cas
de Simon Schaffer, qui publie en 1984 un article intitulé « Newton at the crossroads » dans la revue Radical Philosophy38. Le clin d’œil appuyé au congrès d’histoire
des sciences tenu à Londres en 1931 (dont le texte avait été rassemblé sous le
titre « Science at the crossroads »39)
indique assez l’ambition de l’historien anglais : s’inscrire dans une
lignée historiographique marxiste en même temps que d’en justifier
l’importance. Le texte de Schaffer est une longue
description des arguments de Boris Hessen. L’historien soviétique avait (dans
son texte fameux « Les racines sociales et économiques des Principia de Newton »40) tenté de proposer une
interprétation marxiste des Principia de
Newton, qui reflèteraient les structures sociales de l’Angleterre
du xviiiesiècle. Schaffer dégage deux points d’appuis dans le texte de
Hessen pour densifier le socle heuristique des STS, alors en plein essor. D’une
part, il s’agit de reconnaître l’inanité de la notion de génie scientifique (de
Newton), qui participe à la décontextualisation des pratiques savantes et à
leur désindexation des conditions sociales, économiques, politiques et
culturelles de leur mise en œuvre41.
D’autre part Hessen, d’une manière certes un peu rugueuse, a posé les bases
d’une histoire sociale des sciences qui prenne au sérieux les rapports
politiques toujours en jeu dans les façons de connaître42, qu’une histoire des sciences
comtienne continuait de dénier. Surtout, selon Schaffer, Hessen ébauche le
thème de la « construction sociale des sciences »43. Ainsi le concept marxiste de
ladétermination sociale de la connaissance annonce-t-il, en substance,
laconstruction sociale des sciences, qui constitue l’alpha et l’oméga des
STS.
17. Dans cette veine, l’ouvrage le plus référencé en histoire et
sociologie des sciences, Léviathan
et la pompe à air, paru en 1985, ne fait néanmoins pas référence à Marx44. Pourtant, dans la préface de
la récente réédition, les deux auteurs, Steven Shapin et Simon Schaffer,
reconnaissent que la vulgate marxiste constituait bien la « lingua franca » des historiens
britanniques, induisant non pas une orientation politique, mais les mêmes
sensibilités méthodologiques et conceptuelles45. Léviathan et la pompe à air, parce qu’il se propose de dégager
les implicites politiques d’une démarche scientifique, s’inscrit dans les
grandes lignes d’une perspective matérialiste de l’histoire des sciences (même
si la plasticité du texte a autorisé des réceptions contradictoires et
incommensurables, on songe ici aux propos laudateurs de Bourdieu sur le texte
dans Science de la science et réflexivité, et aux interprétations que
Latour introduit sur le « Grand Partage » à partir
de Léviathan…). Pour autant, l’allusion marxiste et la labellisation
latente ne trompent pas les marxistes revendiqués. Christopher Hill, dans sa
recension de l’ouvrage pour Social Studies of Science, lui reproche
finalement de ne pas aller assez loin dans l’exploration des intrications
politiques de la science en dénonçant les forces de domination concomitantes
dans la science et le capitalisme46.
18. Pourtant, le marxisme semble à ce point incontournable dans les STS
naissantes que Sal Restivo, dans le bilan qu’il dresse de la sociologie des
sciences, n’hésite pas à identifier des Marxist Studies of Science (dans lesquelles il place ses
propres recherches) au côté des paradigmes mertonien et kuhnien, ainsi que
des laboratory studies47.
En 1987 encore, la revue Science in
Context, dans son tout premier numéro, republie un texte de l’historien
marxiste des sciences, Franz Borkenau, marque évidente de sympathie critique48. Ainsi, c’est un spectre
consistant qui circule dans le référentiel STS de la fin des années 1970 au
début des années 1980. La
puissance subversive d’une philosophie politique posant
la praxis comme première dans l’appréhension et la transformation du
monde s’articule, sans trop de problème, aux discours anti-institutionnels dont les STS sont porteuses à leur
début. Prendre la pratique comme point de départ des
investigations est le meilleur moyen de saisir, en actes, les jeux de pouvoir à
l’œuvre dans l’ordre des savoirs. Alors qu’elles sont encore un courant émergeant et qu’elles
s’épanouissent dans le climat contestataire post-68, la référence à Marx sert
leurs intérêts épistémiques (objectifs). À partir du milieu des années 1980 et
jusqu’à la fin des années 1990, un glissement s’opère qui fait des STS non plus
une discipline revendiquant sa singularité critique, mais un courant (se
voulant) dominant (à défaut d’être hégémonique). La
spectralité marxiste, parce qu’elle s’offre en rémanence génésique, embarrasse
une historiographie engagée dans un processus d’autolégitimation.
Marx
et les machines
19. Du milieu des années 1980 à l’aube des années 1990, Marx suscite
encore un intérêt dans le champ des STS. Cette fois, c’est le rapport à la technique et
aux machines qui est particulièrement questionné. La science ne sert plus que
d’arrière-fond matriciel à une série d’interrogations sur le déterminisme technologique couramment
prêté au marxisme. Trois textes articulent, en des termes différents, cette
problématique des Technology Studies :
Donald MacKenzie reprend le thème marxiste de la détermination sociale des
technologies (social shaping of
technology49),
dans un article deTechnology and Culture,
paru en 1984 ; Bruce Bimber détaille, en mai 1990, dans Social
Studies of Science50,
les différentes facettes du déterminisme
technologique ; enfin Paul S. Andler organise, dans un article
de Technology and Culture d’octobre
199051, une problématique iconoclaste au
sujet de Marx, des machines et de la notion de compétence. Si ces textes sont
d’abord des exégèses fines des écrits marxistes, ils témoignent tout à la fois
de la continuité des questionnements technologiques puisés aux sources du
marxisme et des glissements interprétatifs et politiques qui s’opèrent alors
dans le champ des STS. Les Technology
Studies sont alors la pointe avancée d’un renversement idéologique qui
délaisse la dimension critique des études sociales sur les savoirs pour lui
substituer une neutralité, qu’on pourrait trouver feinte ou fausse, dans le
« suivi » des acteurs, des objets et de leurs trajectoires
respectives.
20. Donald MacKenzie, déjà l’auteur de travaux sociohistoriques
d’inspiration marxiste sur la construction des statistiques en Grande-Bretagne,
se positionne dans le débat ancien du déterminisme
technologique chez Marx en avançant l’idée que nombre de marxistes et de
non-marxistes sont loin d’être catégoriques sur le lien évident qui relierait
le premier au second52. Le
nœud interprétatif, selon MacKenzie, se situe d’abord dans la notion de
« force de production » perçue comme strictement équivalente à la
technologie et indépendante des relations de production53. Lukács avait déjà, en 1966,
postulé la technique comme un élément parmi d’autres des forces productives. La
force de travail, parce qu’elle suppose une capacité des acteurs à influer sur
le cours de leur propre vie, réduit la part machinique dans ce qui pourrait
être un déterminisme marxiste artefactuel. MacKenzie rappelle donc, en
filigrane, qu’une perspective hétérodoxe sur la place des techniques dans
le corpus laissé par Marx
ouvre la possibilité d’une redéfinition du syntagme déterminisme technologique, même si l’exercice s’apparente d’abord
à une interprétation minutieuse54.
MacKenzie s’appuie sur l’articulation que propose Marx dans Le Capital entre le procès de
travail et le procès de valorisation. Cette dernière s’impose comme « la
forme sociale du procès de production spécifique du capitalisme »55. Le processus de valorisation
n’est donc pas universel et doit être lu comme une caractéristique saillante de
la société capitaliste.
21. À ce point précis, l’histoire des machines chez Marx vient
densifier ses propositions sur l’articulation entre la technique et l’activité
humaine. Le capitalisme émerge non parce qu’une technologie nouvelle contraint
les structures sociales au remaniement, mais parce que les relations sociales
se transforment : les artisans sont obligés de devenir employés,
abandonnant très concrètement les moyens de contrôle de leur activité56. Cette « subordination formelle du travail
au capital » est en fait un transfert incomplet et peu effectif du
processus de valorisation. Les résistances sont nombreuses et contraignent le
capitalisme à négocier la voie d’une co-opération simple (i.e. faire
s’accorder dans un même plan capitalistes et travailleurs). MacKenzie remarque
que la co-opération, comme catégorie d’analyse chez Marx, est l’outil
heuristique permettant de décrire, ensuite, la division du travail dans les
manufactures et la dépossession intellectuelle des moyens de production. Cette
« préhistoire des machines », qui donne à voir le grand partage
capitaliste entre différents types de pratiques (i.e. de moyens d’agir sur
le monde) laisse peu de place aux formes de résistances (MacKenzie signale
seulement la compétence comme ressource disponible pour contrer la division du
travail). L’« entrée des machines » renforce le processus de
domination inchoatif à l’ère précédente. Marx définit la machine comme le
mécanisme qui, « après avoir été mis en mouvement, accomplit avec ses
outils les mêmes opérations que le travailleur réalisait auparavant avec des
outils similaires »57. Parce qu’elle n’offre aucune prisesociale de contestation, la
machine érode la capacité de résistance des travailleurs. Dans le rapport de
force que le capital entretient avec les ouvriers, la technique est un puissant
levier d’aliénation qui déréalise la relation au travail et médiatise la
plus-value. MacKenzie note alors que « la lutte des classes propre au
capitalisme peut prendre la forme d’une lutte entre le travailleur et la
machine »58. C’est à ce
point précis du développement capitaliste que la connexion peut s’établir entre
« le conflit de classe et l’innovation technique », en particulier en
Angleterre59. De ce point de
vue, le luddisme n’est pas une réaction irrationnelle, mais une tentative pour
les travailleurs de renverser le rapport de force et de briser, au sens propre
comme au sens figuré, la machinerie
capitaliste les dépossédant des points d’appuis effectifs sur le
travail60.
22. Après avoir brossé à grands traits cette théorie historique de la
technologie, MacKenzie envisage les compléments à lui apporter. Son analyse se
focalise sur les notions de compétence et de contrôle, qu’il envisage dans le
rapport à la valorisation comme un moyen : la technologie, parce qu’elle
ménage dans le « procès de travail des nouvelles qualifications, offre des
possibilités de reprendre l’avantage sur le capital en maîtrisant tout ou
partie de certaines phases du processus de valorisation »61. MacKenzie pointe enfin un
dernier point aveugle duCapital : « Il n’y a rien dans la
théorie de Marx qui suggère que le capital cherchera un maximum de contrôle sur
le procès de travail comme un but en lui-même, ou que les capitalistes
préfèreront nécessairement les formes directes de contrôle plutôt que les formes
indirectes »62. Il existe
donc des expériences « machinistes » qui confèrent un certain degré
de légitimité et d’assurance rendant inopérante la force capitaliste. La
division du travail, à l’intérieur du groupe des travailleurs (notamment entre
hommes et femmes), repositionne la technologie en zone clé pour l’activation
des formes de domination63. La
technologie est clairement, pour MacKenzie, un enjeu de pouvoir travaillé par
les questions du genre : les formes d’aliénation ne sont pas simplement
verticales entre le capital et les travailleurs, elles opèrent également
horizontalement entre les travailleurs, dans les inégalités masculin/féminin que
secrète la société dans son ensemble. En conclusion de son analyse, MacKenzie
pose la question du lien entre « la politique du design et
l’histoire de la technologie »64.
Inclus dans le processus de valorisation, le « design » cristallise
et matérialise des rapports sociaux. Les conditions contingentes de son choix
révèlent un état donné des relations de classe. MacKenzie reconnaît qu’il est
toutefois difficile de se centrer sur la contingence car elle appelle
inéluctablement des réponses de type « nécessité technique »65.
23. La réflexion engagée par MacKenzie sur la place des machines dans
l’histoire technologique que Marx a élaborée tente de relier entre eux des
thèmes en passe de devenir classiques (en 1984) des STS : le rapport du
social à l’artefactuel, les relations de genre, la place du contingent dans les
processus sociotechniques. L’article n’est pas qu’une glose pointilleuse sur
les écrits de Marx, il s’agit de faire dialoguer l’auteur
du Capital avec lesTechnology
Studies et de prendre au sérieux le corpus marxiste. On notera cependant que l’analyse de
MacKenzie est, en grande partie, centrée sur une définition très générale des
technologies (sans qu’il soit précisé exactement ce qu’elles ne recouvrent pas)
et que les grandes options théoriques des STS ne sont pas convoquées (strong programme, Acting-Network-Theory [ANT]…).
Ainsi Marx semble-t-il
appelé à dialoguer à la marge avec le courant constructiviste.
24. Six ans après MacKenzie, Bruce Bimber, alors
doctorant au MIT (et actuellement professeur de sciences politiques à
l’université de Californie à Santa Barbara), publie dans Social Studies of
Science un court texte sur Marx et les trois facettes du déterminisme technologique. Reprenant là
où MacKenzie l’avait laissée la réflexion sur la place du contingent dans
l’ordre artefactuel des pratiques, Bimber entreprend de situer Marx dans les
trois formes de déterminisme
technologique qu’il distingue. La première, qu’il
baptise « Norm-Based Accounts » (NBA)
s’origine dans la conception habermassienne de l’éthique. Il s’agit de repérer
les moyens de contrôle sur les normes des pratiques du progrès technique66. L’approche morale suppose un
déterminisme politique qui valide une certaine manière d’agir sur le monde. Le
deuxième déterminisme technologique
que Bimber nomme« Logical Sequence
Account » (LSA) a d’abord été développé théoriquement par
G.A. Cohen. Les machines sont ici des acteurs à part entière de
l’histoire, et la technologie vient cadrer le monde social. Les transformations
culturelles sont des conséquences des processus artefactuels qui surgissent
naturellement67. Les
technologies sont ici totalement indépendantes des conditions sociales dans
lesquelles elles émergent. La troisième approche du déterminisme technologique, « Unintended Consequences Account » (UCA), envisage les
conséquences des productions technologiques dans leur imprévisibilité la plus
absolue. Si
l’anticipation n’est pas possible, alors la technologie est
« partiellement autonome »68et
ne dépend pas de l’action humaine. Ces trois positions sont indifféremment
appelées « déterminisme
technologique », alors qu’elles recouvrent des positions
philosophiques et politiques fort différentes. Pour positionner Marx dans cette
constellation conceptuelle très éclatée, Bimber reprend à nouveaux frais la
question des forces productives et remarque que les processus économiques
contingentent fortement d’autres secteurs de la société. Le « procès de travail » amalgame, chez Marx, trois facteurs :
l’activité en elle-même, le sujet au travail et les instruments de travail. Une
certaine vulgate marxiste n’envisage le déterminisme
technologique que comme un formatage global du social par la technique et
ses contraintes. Bimber conteste cette approche69 et soutient, au
contraire, que la technologie est un facteur social activé à un moment donné de l’histoire humaine mais
qu’il ne constitue pas une cause première du processus de travail. Les sciences
et la technologie sont des conditions pour l’émergence d’une accumulation
potentielle du capital, mais elles n’en restent pas moins contingentes70. Le changement technologique
n’est pas princeps dans la
phase féodale de l’histoire et il n’est déterminant dans la phase capitaliste
que parce qu’il est disponible pour la classe possédante (i.e. la
bourgeoisie). Dès lors, Bimber soutient que la place de la technologie dans
l’œuvre de Marx n’est pas celle d’un déterminisme qui correspondrait aux
approches qu’il a précédemment définies (NBA, LSA, USA)71. On mesure ici le travail
de desserrement des
exégèses auquel s’astreint Bimber pour faire coïncider les perspectives
marxistes avec les propositions principielles du STS (i.e. la place plus
grande accordée aux acteurs dans l’ordre des pratiques) : l’histoire
technologique construite à partir de cette lecture de Marx se construit à partir d’un lissage (voire
d’une disparition) des structures sociales (i.e. la lutte des classes est
corrélative à la montée en puissance de la bourgeoisie qui s’appuie sur une
technologie disponible et dont elle seule semble avoir l’usage). D’une certaine
manière, les concepts marxistes sont tendus à l’extrême pour produire des effets d’adéquationentre Marx et les
grandes lignes de STS. On remarquera au passage que la charge politique
potentielle du marxisme est totalement absente du texte de Bimber qui se
concentre sur le canon marxien et s’en tient à une lecture endogène de Marx.
25. Paul S. Adler, professeur de management à l’université de
Californie du Sud, signe en 1990 un article intitulé « Marx, Machines, and
Skill » dans la revue Technology
and Culture, emblématique des STS. La notion centrale du texte est celle de
compétence/qualification (skill), et la problématique vise à saisir, dans
le corpus marxiste, les
éléments de son articulation à la technologie et à l’usage des machines. Adler
prend clairement le parti d’un Marx apolitique en optant pour une lecture
« évolutionniste » de l’auteur duCapital72. La déqualification introduite
par les machines n’est donc que passagère, la tendance générale dans le
capitalisme moderne restant l’accroissement global des compétences pour les
travailleurs. Il s’agit, par cette interprétation libre, de ne pas laisser Marx
aux néomarxistes73 et,
disons-le, de démarxiser Marx. Adler reproche à Marx d’employer parfois un ton
polémique qui « obscurcit » la portée théorique de ses positions
évolutionnistes74. Surtout, il
envisage l’évolution historique dans la perspective d’une absence de
révolution : « Est-ce que Marx croyait que sans un changement de mode
de production le travail deviendrait progressivement déqualifié ? »75.
Si l’éducation des travailleurs est bien une concession du capitalisme, elle
reste insuffisante pour Marx et ne fournit pas les ressources nécessaires à une
émancipation des ouvriers. L’expérience industrielle doit permettre la
constitution d’une culture pour l’action politique et, dans une sorte de
renversement (dont on ne sait s’il est réellement provocateur), Adler soutient
que la logique historique d’une société socialiste est la déqualification
générale des travailleurs ainsi maintenus dans un état d’anomie politique76. Dans cette perspective, le déterminisme technologique de Marx est
essentiellement un déterminisme économique (dans les relations de production)
et/ou politique77.
Adler fait donc de la technologie une variable dans l’ordre social, capable de
reconfigurer les atteintes en termes d’organisation du travail et de
qualification. Cependant, il reste à régler la question
de la division du travail, qui désagrège les compétences et érode la capacité
de structuration politique des travailleurs. La puissance émancipatrice de
l’éducation vient, pour Adler, contrebalancer le délitement des qualifications
et enraye la perte de capacité des ouvriers. L’exégèse des textes de Marx prend
ici appui sur une distinction entre les processus de court terme (dans lesquels
les déqualifications sont possibles) et les processus de long terme (qui
laissent ouvertes, dans la voie du capitalisme, les opportunités
d’accroissement des connaissances pour les travailleurs). Cette lecture
capitalistico-compatible de Marx doit intégrer la question des technologies
aliénantes. Adler résout cette contradiction en distinguant le niveau macro,
qui se traduit par une ascension continue des productions et une recombinaison
permanente des industries, et le niveau micro, qui laisse entrevoir une
socialisation par la coopération78.
La spécialisation des agents vient faire coïncider la reconduction permanente
de l’innovation industrielle et le besoin d’expertise requalifiant. Le
travailleur dispose alors d’un moyen de contrôle sur ses propres activités et
accroît ainsi son potentiel de compétence79.
26. On ne peut plus parler de torsions faites
au corpus marxien. La
rupture est ici clairement consommée entre le projet politico-théorique de Marx
et cette lecture qui désubstantialise la charge subversive de ses écrits. Le
déterminisme technique, parce qu’il offre une voie d’articulation commode aux
questions traditionnelles des STS (i.e. la configuration sciences/société,
la place des techniques dans la pratique savante et quotidienne) permet
d’éclairer les glissements à l’œuvre dans les années 1980. Plutôt que de rejeter le marxisme et la critique capitaliste qu’il
porte en lui, certains auteurs comme Adler tentent de sauver le label
« Marx » (preuve historique de la radicalité STS princeps) au prix d’une herméneutique
contorsionniste faisant dire à Marx le contraire de ce qu’il dit. En supposant
que la force polémique de Marx dénature son propos, toutes les interprétations
(même et surtout les plus contradictoires) sont dès lors possibles. Entre
MacKenzie et Adler, ce n’est pas seulement un renversement de problématique
dont il est question. C’est plus profondément une rupture politique des STS
avec les ambitions critiques de leurs débuts.
Notes
1 Jérôme Lamy, Arnaud Saint-Martin,
« Edgar Zilsel, le chaînon manquant des STS ? », Colloque
international Les productions de l’objectivité. L’histoire
sociale des sciences au prisme du marxisme, Collège international de
philosophie, université Paris I, 12-13 mai 2012.
2 À l’exception d’ouvrages à valence symptômale, La Fin de l’histoire (Paris, Flammarion, 2009) de Francis Fukuyama par exemple.
3 Jacques Derrida, Spectres de Marx, Paris, Galilée, 1993, p. 144.
4 Jérôme Lamy, Arnaud
Saint-Martin, « Un dilemme pratique : sociologie et histoire au
prisme des STS », Carnet de bord de sciences
humaines, n° 14, 2007,
p. 52-64. Jérôme Lamy, Arnaud Saint-Martin, « La frontière comme
enjeu. LesAnnales et la sociologie », Revue de synthèse, vol. 131, n° 1, mars 2010, p. 97-127.
5 Nikolaï Boukharine, La théorie du matérialisme historique :
manuel populaire de sociologie marxiste,
Paris, Anthropos, 1969.
6 Boris Hessen, Les racines sociales et économiques des Principia de Newton,
Paris, Vuibert, 2006.
7 Gary Werskey, The Visible College. The
Collective Biography of British Scientific Socialists of the 1930s, New York, Holt, Rinehart and Winston, 1978.
8 Robert K. Merton, Social Theory and Social Structure, New York, The Free Press, 1968.
9 Jacques Derrida, op. cit., p. 181.
10 Yves Gingras, « Un air de
radicalisme. Sur quelques tendances récentes en sociologie de la science et de
la technologie », Actes de la recherche en sciences
sociales, n° 108, 1995,
p. 3-18.
11 Brian Martin, « The critique of science becomes
academic », Science, Technology & Human
Values, vol. 18, n° 2,
1993, p. 247-259.
12 Hilary Rose, Steven Rose, « L’héritage
problématique : Marx, Engels et les sciences de la nature », in
Hilary Rose, Steven Rose, Jalna Hanmer, Hans-Magnus Enzensberger, Robert
Franck, Jean-Marc Lévy-Leblond, Liliane, Stéhelin, L’idéologie de/dans les sciences, Paris, Le Seuil, 1977, p. 29.
13 Ibidem, p. 35.
14 Hilary Rose, Steven Rose, « L’enrôlement de la
science », in Hilary Rose, Steven Rose, Jalna Hanmer, Hans-Magnus
Enzensberger, Robert Franck, Jean-Marc Lévy-Leblond, Liliane, Stéhelin, L’idéologie de/dans les sciences, Paris, Le Seuil, 1977, p. 38. Plus globalement sur les propositions
d’Hilary et Steven Rose, voirScience and Society, Harmondsworth, Penguin Books.
15 Erik P. Hoffmann, « Contemporary Soviet Theories of
Scientific, Technological and Social Change », Social Studies of Science, vol. 9, n° 1, 1979, p. 101-113
16 Susan B. Rifkin, « On “contradictions” among
academics », Science Studies, vol. 2, n° 4, 1972, p. 395-399
17 Stehgen Cotgrove, « Alienation and automation », The British Journal of Sociology, vol. 23, n° 4, 1972, p. 437-451
18 Stephen Cotgrove, « Technology, Rationality and
Domination », Social Studies of Science, vol. 5, n° 1, 1975, p. 55-78.
19 Voir : Gernot Böhme, Wolfgang Van Den Daele, Wolfgang
Krohn, « Finalization in Science », Social Science Information, vol. 15, 1976, p. 307-330 ; Ron Johnston, « Finalization :
A New Start for Science Policy », Social Science Information, vol. 15, 1976, p. 331-336.
20 Sal Restivo, « Finalization : Cool Radicalism Versus the Republic of Science »,4S Review, vol. 2, n° 4, 1984, p. 14-20.
21 Paul Feyerabend, Contre la méthode. Essai d’une théorie
anarchiste de la connaissance, Paris, Le
Seuil, 1988 ; Paul Feyerabend, Adieu la raison, Paris, Le Seuil, 1988.
22 Theodore Roszak, « The Monster and the Titan :
Science, Knowledge and Gnosis », Daedalus, vol. 103, n° 3, 1974, p. 17-32.
23 David Edgerton, « Science and Politics », Economic and Political Weekly, vol. 16, n° 51, 1981, p. 2079-2081
24 Alain Jaubert, Jean-Marc
Lévy-Leblond, (Auto)critique de la science, Paris, Le Seuil, 1973.
25 Renaud Debailly, La critique radicale de la science en France.
Origines et incidences de la politisation de la science en France depuis mai
1968, Thèse de doctorat en
sociologie, université Paris IV, 2010.
26 Michel Dubois, La nouvelle sociologie des
sciences, Paris, Presses
universitaires de France, 2001.
27 Robert K. Merton, « Science, Technology and
Society in Seventeenth
Century England », Osiris, vol. 4, 1938, p. 360-632.
28 Steven Shapin, « Discipline and Bounding : The
History and Sociology of Science As Seen Through the Externalism-Internalism
Debate », History of Science, vol. XXX, 1992, p. 333-369
29 Robert K. Merton, « Science and the Social
Order », Philosophy of Science, vol. 5, n° 3, 1938, p. 321-337.
30 Robert K. Merton, « Note on Science and
democracy », Journal of Legal and Political
Sociology, vol. 1, n° 1-2,
1932, p. 115-126.
31 Bernard Barber, Science and the Social Order, Glencoe, Free Press, 1952.
32 John D. Bernal, The Social Function of Science, Londres, Routledge and Kegan Paul Ltd, 1939.
33 Charles Crothers, Robert K. Merton, Chichester, Ellis Horwood Limited 1987, p. 142-148.
34 Robert K. Merton, The Sociology of Science. An
Episodic Memoir, Carbondale,
Southern Illinois University Press, 1977.
35 Bruno Latour, Steve Woolgar, Laboratory Life. The Social Construction of
Scientific Facts, Bervely Hills, Sage Publications, 1979, p. 179.
36 Bruno Latour, Steve Woolgar, La vie de laboratoire. La production des faits scientifiques, Paris, La Découverte, 1988.
37 Bruno Latour, Steve Woolgar, Laboratory Life. The Social Construction of
Scientific Facts, Bervely Hills, Sage Publications, 1979, p. 231.
38 Simon Schaffer, « Newton at the crossroads », Radical Philosophy, vol. 37, 1984, p. 23-28. Citons en outre Michael Mulkay, qui
revient très longuement sur la portée heuristique du papier de Hessen dans son
ouvrage Science and the Sociology of
Knowledge (Londres, Georges Allen & Unwin) paru en 1979. Il en tire la conclusion générale que
« Marx can be interpreted in a strong sense, that is, as implying that the
content of established scientific knowledge should be treated to a considerable
extent as the outcome of specifiable social processes » (M. Mulkay,Science and the Sociology of
Knowledge, Londres, Georges Allen &
Unwin 1979, p. 8).
39 Science at the Cross Roads.
Papers presented to the International Congress of the History of Science and
Technology Held in London, from June 29th to July 3rd, 1931 by the
Delegates of the USSR, Londres,
Kniga, 1931.
40 Boris Hessen, op. cit.
41 Simon Schaffer, art. cit., p. 27.
42 Ibidem, p. 28.
43 Ibidem, p. 27.
44 Steven Shapin, Simon Schaffer, Leviathan and the Air-Pump. Hobbes, Boyle and
the Experimental Life, Princeton,
Princeton University Press, 1985.
45 Steven Shapin, Simon Schaffer, Leviathan and the Air-Pump. Hobbes, Boyle,
and the Experimental Life, Cambridge
(Mass.), Princeton University Press, 2011, p. xxiv.
46 Christopher Hill, « ‘A New Kind of Clergy’ :
Ideology and the Experimental Method », Social Studies of Science, vol. 16, 1986, p. 728, Steven Shapin, Simon
Schaffer, op. cit., p. xxvii.
47 Sal Restivo, « Some Perspectives in Contemporary
Sociology of Science »,Science, Technology & Human Values, vol. 6, n° 35, 1981, p. 24.
48 Franz Borkeneau, « The Sociology of the Mechanistic
World-Picture », Science in Context, vol.1 (1), 1987, p. 109-127; Valeria
E. Russo, « Hernyk Grossmann and Franz Borkeneau. A
Bio-Bibliography », Science in Context, vol. 1(1), 1987 p. 181-191.
49 Donald MacKenzie, « Marx and the Machine », Technology and Culture, vol. 25, n° 3, 1984, p. 473.
50 Bruce Bimber, « Karl Marx and the Three Faces of
Technological Determinism », Social Studies of Science, vol. 20 (2), mai 1990, p. 333-351.
51 Paul S. Adler, « Marx, Machines, and Skill », Technology and Culture, vol. 31 (4), 1990, p. 780-812.
52 D. MacKenzie, art. cit., p. 474.
53 Ibidem, p. 474.
54 D. MacKenzie, art. cit., p. 478-480.
55 Ibidem,
p. 481.
56 Ibidem,
p. 482.
57 Cité par D. MacKenzie, ibid.,
p. 486. La traduction canonique française est légèrement différente :
« La machine, point de départ de la révolution industrielle, remplace donc
le travailleur qui manie un outil par un mécanisme qui opère à la fois avec
plusieurs outils semblables, et reçoit son impulsion d’une force unique, quelle
qu’en soit la forme » (Karl Marx, Le Capital, Livre I, Paris, Gallimard, 1968, p. 467).
58 Ibidem,
p. 488.
59 Ibidem,
p. 489.
60 Ibidem,
p. 490-491.
61 Ibidem,
p. 493-494.
62 Ibidem,
p. 494.
63 Ibidem,
p. 497.
64 Ibidem, p. 498.
65 Ibidem, p. 502.
66 Bruce Bimber, « Karl Marx and the Three Faces of
Technological Determinism », Social Studies of Science, vol. 20 (2), mai 1990, p. 336.
67 Ibidem,
p. 338.
68 Ibidem,
p. 339.
69 Ibidem,
p. 344.
70 Ibidem, p. 346-347.
71 Ibidem, p. 348.
72 Paul S. Adler, « Marx, Machines, and Skill », Technology and Culture, vol. 31 (4), 1990, p. 782.
73 Ibidem,
p. 783.
74 Ibidem,
p. 783.
75 Ibidem,
p. 783.
76 Ibidem,
p. 788.
77 Ibidem,
p. 789.
78 Ibidem,
p. 798.
79 Ibidem,
p. 800.