"No hay porvenir sin Marx. Sin la memoria y sin la herencia de Marx: en todo caso de un cierto Marx: de su genio, de al menos uno de sus espíritus. Pues ésta será nuestra hipótesis o más bien nuestra toma de partido: hay más de uno, debe haber más de uno." — Jacques Derrida

"Los hombres hacen su propia historia, pero no la hacen a su libre arbitrio, bajo circunstancias elegidas por ellos mismos, sino bajo aquellas circunstancias con que se encuentran directamente, que existen y les han sido legadas por el pasado. La tradición de todas las generaciones muertas oprime como una pesadilla el cerebro de los vivos. Y cuando éstos aparentan dedicarse precisamente a transformarse y a transformar las cosas, a crear algo nunca visto, en estas épocas de crisis revolucionaria es precisamente cuando conjuran temerosos en su auxilio los espíritus del pasado, toman prestados sus nombres, sus consignas de guerra, su ropaje, para, con este disfraz de vejez venerable y este lenguaje prestado, representar la nueva escena de la historia universal" Karl Marx

3/1/14

Rousseau et le marxisme | Ouverture et thématiques

Luc Vincenti  |  Nous voulons dans cette journée raviver la confrontation des ces deux figures incontournables, Rousseau et Marx, qui se rencontrent dans les mouvements révolutionnaires, mais que l’on étudie séparément. Il s’agit de ne pas abandonner Rousseau au simple statut d’un spectateur du genre humain, et de ne pas laisser Marx hors de la philosophie, en prétendant séparer la philosophie de la politique. Il faut pour cela rappeler que si des révolutionnaires[1]se réfèrent à Rousseau, c’est que son œuvre nous engage dans les voies progressistes : celles de la critique sociale, de la démocratie ou de la lutte contre les inégalités. Au nom de ces éléments Rousseau peut à bon droit être dit précurseur du marxisme, parce qu’il nous engage à comprendre la société à partir du processus qui l’a constituée, et qui rend sa transformation possible.

On peut pourtant souligner, comme le fait Yves Vargas lors de sa conférence de Bologne en mars 2004[2], que l’œuvre de Marx lui-même compte peu de citations de Rousseau, et qu’il s’agit rarement d’en faire l’éloge. Il est vrai que Rousseau ne se présente pas comme matérialiste[3], qu’il croit au politique et à la transcendance du droit. En ce sens il est, d’un point de vue marxiste, au cœur de l’idéologie. Mais
il est aussi au cœur de son époque, et de l’idéologie qui transforme son époque. Lorsque Marx cite Rousseau dans la Question juive, il le cite parce que Rousseau exprime « justement », « richtig » écrit-il, la figure abstraite du citoyen. La pensée de Rousseau exprime cette transformation avec la plus grande clarté possible parce qu’elle se veut radicale. Les deux auteurs en appellent à cette radicalité : le Rousseau du Second Discours qui creuse« jusqu’à la racine »[4]et le Marx de 1843[5] se rencontrent, au-delà des termes, dans l’intention commune, qui est la transformation sociale. Pour Marx la théorie devient radicale lorsqu’elle s’empare des masses, pour Rousseau lorsqu’elle détruit « d’anciennes erreurs et des préjugés invétérés »[6]. Certes, ce qui est immédiatement principe d’action pour Marx, reste pour Rousseau d’abord un principe de jugement, acte de connaissance critique : c’est pour montrer aux hommes qu’ils auraient pu ne pas devenir tels qu’ils sont que Rousseau écrit ses livres[7]. Leurs modalités d’engagements ne sont donc pas identiques.

En ce sens la rencontre de Rousseau et de Marx est à élaborer. On ne peut se borner à superposer des termes communs, sans risquer d’aboutir à de simples homonymies, source de déformations et faux sens. Mais on peut retrouver, derrière les distances apparentes ou les rapprochements trompeurs, une communauté de vue bien réelle. Il faut pour cela, et l’exercice est un peu difficile, être à la fois rousseauiste et marxiste, sans chercher un point de rencontre immédiat et abstrait entre les deux, mais plutôt ce qui peut constituer une dimension commune de leur œuvre, compte tenu de leurs époques respectives. Je vous propose à cette fin trois axes : un axe politique, un axe économique, et, sorte de synthèse, un axe visant le mouvement réel du social.

Politique : la démocratie

Dans l’axe politique je veux viser la démocratie. Double problème, à partir de Rousseau, et à partir de Marx, lui qui revendique la démocratie absolue et récuse, comme insuffisante, la simple émancipation politique. Pour Rousseau tout d’abord : comme vous le savez, Rousseau n’est pas démocrate, au sens d’une démocratie directe ou absolue, où tout un chacun ferait partie de l’administration de l’État, exécutif au sens large, police et justice réunies. Rousseau en ce sens n’est absolument pas démocrate, parce qu’il interdit à la volonté générale d’avoir un objet particulier – tel ou tel cas à régler –, sous peine de voir renaître les oppositions des intérêts particuliers, et dans ces oppositions ce qu’il appelle « l’amour propre ». La volonté, pour être générale, doit l’être dans son objet et dans son essence[8]. Si elle ne l’est plus dans son objet elle ne l’est plus dans son essence : c’est l’intérêt particulier qui parle, l’intérêt qui vise des objets particuliers, et qui est l’intérêt d’une partie seulement du corps politique : tout le peuple ne statue plus sur tout le peuple[9]

Mais précisément, ce refus rousseauiste d’une démocratie directe a sa réciproque : la véritable volonté générale, celle qui vise le bien d’une société donnée et qui dit le juste pour cette société, doit être l’expression de la totalité absolue des membres de cette société. Le tout moins une partie n’est plus le tout[10] : l’expression de la volonté générale doit émaner de cette totalité des membres du corps politique, une totalité dont la volonté générale ne doit pas s’éloigner. Il y a là une double exigence :primo que l’expression de chacun constitue le pouvoir souverain,secundo qu’il n’y ait aucun abandon de ce pouvoir dans une députation parlementaire. Cette double exigence fait de Rousseau le défenseur de la démocratie, non pas directe, mais disons « participative », et d’une démocratie participative absolue, même si elle se limite à l’expression du pouvoir souverain, et aux objets communs, et l’on doit bien en ce sens faire se rejoindre Rousseau et Marx dans l’exigence démocratique[11].

Il y a plus encore. Pour expliquer la possibilité qu’a chacun d’apercevoir l’intérêt commun, Rousseau postule, à côté de l’intérêt égoïste – que souligne son époque, et qu’il appelle « amour-propre » –, la persistance d’un intérêt non égoïste, parce qu’indifférent à autrui, qu’il appelle « amour de soi ». Cet amour de soi que Rousseau attache à l’individu naturel est le fondement de la « rectitude naturelle »[12] de la volonté générale : il donne un contenu réel à l’intérêt commun, et en fait même le fond le plus réel des intérêts de chacun[13]. L’amour de soi enracine la volonté générale et l’intérêt commun dans l’intérêt réel de chacun. On peut alors véritablement parler, dans la communauté politique rousseauiste, d’une solidarité des intérêts, exactement analogue[14]à la communauté d’intérêt d’une classe.

Cette réalité qu’a pour chacun l’intérêt commun constitue l’intérêt général et transforme la vie démocratique et la définition de la démocratie. Rousseau ne veut pas faire de la volonté générale une fiction illusoire, tout comme Marx voulait congédier l’imaginaire volonté du peuple au profit de la volonté collective, ou « volonté réelle de la coopérative »[15]. Du coup la démocratie change de sens. Elle n’est plus règne de la majorité, c’est-à-dire soumission à une volonté qui peut être celle des uns et non des autres. Chacun possède en soi un fonds commun d’intérêts identique avec celui des autres – l’amour de soi –, et il faut sur cette base reconnaître la volonté générale qui est la sienne. Il y a de l’objectivité en politique, non pas à la suite de calculs rationnels, mais parce que chacun doit bien savoir s’il trouve ou non son compte dans tel ou tel système. En conséquence aussi, cette démocratie-là ne cherche pas d’abord à constituer des contre pouvoir, mais à saisir l’intérêt véritablement commun. Et si, dans cette démocratie-là, il arrive qu’un avis contraire au mien l’emporte, je n’ai pas perdu, je me suis trompé sur ce qu’était l’intérêt commun[16]. On le voit, il ne s’agit pas ici de minorité perdante soumise à une majorité toute puissante, comme dans les démocraties représentatives ou régimes parlementaires[17], il s’agit de saisir ce qui me rapporte au pouvoir souverain lorsque je participe à la vie publique.

Tout cela a été très bien vu par le marxiste autrichien Max Adler, qui, dans son texte Démocratie et conseils ouvriers, où il souligne justement toutes les insuffisances des démocraties bourgeoises et de leur dérives parlementaristes, attribue à Rousseau d’avoir découvert « le principe vital de la démocratie » : « le véritable principe vital de la démocratie a été génialement formulé par Rousseau […] Ce n’est pas la volonté de la majorité, mais la volonté de la communauté, la volonté générale. Le vote n’est pour Rousseau que le moyen de faire apparaître la volonté générale. Les minoritaires doivent s’incliner non parce qu’ils ont moins nombreux […] mais parce que le vote a démontré qu’ils sont en contradiction avec la volonté générale »[18]. De cette première confrontation entre Rousseau et Marx il ressort que la démocratie n’est pas une culture d’opposition, mais une culture de participation[20], d’exercice effectif du pouvoir.

Économique : La propriété

Faisons un pas de plus vers le marxisme en nous éloignant du premier axe, encore seulement politique. Dans le deuxième axe, économique, je voudrais souligner le traitement rousseauiste de la propriété. Il ne s’agit pas de la propriété telle qu’elle est utilisée par l’école du droit naturel pour fonder le droit politique. Rousseau parle bien de cela dans son article sur l’Économie politique, mais c’est une banalité à son époque. Ce qui n’est pas banal, en revanche, c’est d’avoir thématisé la propriété comme telle, dans son émergence non naturelle, faisant en quelque sorte l’histoire sociale de la propriété, en voulant dire par-là que l’histoire de la société est aussi celle de la propriété, parce que la propriété s’enracine dans la division du travail, et conduit à l’inégalité civile. On est là très proche du début de l’Idéologie allemande, où les individus entrent en relation pour produire leurs moyens d’existence, construisent leur société et leur histoire à partir des modalités de cette production. Chez Rousseau également « tout se rapporte dans son principe aux moyens de pourvoir à la subsistance »[21]. Tout, c’est-à-dire la structure de la société et son histoire : l’accumulation de la propriété va catalyser la concentration de la richesse et du pouvoir.

Lorsqu’on recense le terme de « propriété » dans l’œuvre on se rend compte que son usage se concentre dans la deuxième partie duDiscours sur l’inégalité, peu dans la première partie, et quasiment pas dans le Contrat social, mis à part dans deux ou trois chapitres du premier livre. Et dans le mouvement de la deuxième partie duDiscours sur l’inégalité, l’usage le plus dense se situe entre l’apparition de la propriété à la dernière étape de l’état de nature, avec la métallurgie et l’agriculture, jusqu’à la naissance de la société civile, lorsque l’inégalité politique vient stabiliser, et donc renforcer, l’inégalité sociale : lorsque les riches deviennent puissants. La propriété naît dans et pour l’échange, lui-même commandé par une certaine manière de produire ses moyens de subsistance (métallurgie et agriculture). Métallurgie et agriculture vont ensemble et cet ensemble commande les échanges : c’est parce que l’on produit du fer, que les agriculteurs doivent produire plus de blé, pour nourrir les forgerons. Et c’est pour produire plus de blé, que les paysans utilisent le fer, produit par les forgerons. L’accumulation, le surplus de production, naît avec l’échange, en vue de l’échange et dans le lien qui structure la société.

Nous nous approchons du concept de « mode de production » : il ne s’agit pas encore ici d’exploitation, mais la dimension sociale, au sens de ce qui structure l’ensemble de la société, est contenue dans l’histoire rousseauiste du concept de propriété. Avec l’accumulation se développe ce que Rousseau appelle l’inégalité de combinaison[22], combinaison de l’inégalité naturelle et de l’échange, qui produit les riches et les pauvres. Naît ainsi une hiérarchie proprement économique du social, qui ne se résume pas à la domination politique, mais qui la conditionne, puisque le riche sera l’instigateur de la société civile. Comment ne pas penser, même si nous sommes là bien avant la production de masse, que l’histoire rousseauiste de la propriété se présente comme un mode de production de la vie matérielle qui conditionne le processus de vie sociale et politique[23], selon les termes de la Préface de 1859 ? Il n’y a pas là exploitation capitaliste, plus-value (ou survaleur) et salariat, mais l’histoire de la propriété est bien chez Rousseau ce qui permet de comprendre la structure hiérarchique de la société et l’accroissement de la domination. C’est en cela que Rousseau est ici encore précurseur du marxisme.

Social : la Dialectique

Troisième et dernier axe, au-delà des visées progressistes en politique, et de la prise en compte des infrastructures, la visée d’une dynamique propre du social, que je voudrais présenter comme objet commun à la philosophie de Rousseau et au marxisme. La spécificité de la théorie marxiste n’est pas de comprendre la société à partir de sa base économique, mais de lier cette compréhension à une théorie du changement social. Si la compréhension économique est importante, c’est parce qu’elle structure l’ensemble de la société et à ce titre en constitue l’histoire. Une des leçons générale de la théorie marxiste est que l’on ne peut bien comprendre que ce dont on comprend le changement, voire que l’on ne peut bien comprendre que ce que l’on essaie de transformer. A ce titre, on peut rapprocher Rousseau et le marxisme autour de la théorie du changement social en général. Bien évidemment, nous retrouvons alors l’éloge d’Engels qui dans l’Anti-Dühring attribue à Rousseau la méthode de Marx. Éloge peut être trop appuyé[24], selon G. Della Volpe. On peut aussi noter, comme le fait Y. Vargas dans sa conférence de Bologne, que si Rousseau est en première ligne dans l’Anti-Dühring, c’est parce qu’il s’agit pour Engels de répondre à Dühring, qui se réclame de Rousseau. Mais cela n’enlève rien à la justesse des arguments d’Engels. Les arguments d’Engels visent chez Rousseau une modalité de raisonnement dialectique qui se rencontre dans plusieurs aspects de l’œuvre. Engels[25] parle de deux lois de la dialectique – qu’il y ait des processus antagonistes recelant contradiction, et qu’un extrême se transforme en son contraire – deux lois qui contiennent comme leur noyau une troisième loi : le principe général, dit-il, de la négation de la négation. Pour la première loi – le fait que des processus antagonistes recèlent une contradiction – Engels se réfère chez Rousseau au progrès de la civilisation, perfectionnant certains individus, mais provoquant la décrépitude de l’espèce. Cette thématique parcourt l’œuvre[26]. On peut y ajouter une thématique non moins large qui a inspiré le livre de Starobinski, Le remède dans le mal[27], thématique dans laquelle j’avais voulu voir chez Rousseau une théorie de la pratique transformatrice[28]. Il s’agit là aussi du renversement d’un processus qui devient capable de produire le contraire, à partir d’un excès, quantitatif, des conséquences de son principe. C’est très clair dans la lettre A Voltaire du 7 septembre 1755, où Rousseau se défend d’être un écrivain gagnant des prix, tout en condamnant les lettres : « il vient un temps où le mal est tel que les causes même qui l’ont fait naître sont nécessaires pour l’empêcher d’augmenter »[29]. Même thème en politique : la société humaine va mal, associons encore plus étroitement les individus. Contre la dégénérescence des sociétés politiques, Rousseau fait appel au même principe pour garder espoir dans les institutions et défendre ses projets : « efforçons-nous de tirer du mal même le remède qui doit le guérir. Par de nouvelles associations, corrigeons, s’il se peut, le défaut de l’association générale »[30]. On peut aller jusqu’à se demander si l’évolution de l’œuvre de Rousseau elle-même n’est pas l’illustration de ce processus antagoniste : on peut très bien comprendre que leContrat social a pour fonction de corriger ce que le Discours sur l’inégalité se borne à dénoncer : la résurgence de l’intérêt particulier, en l’occurrence et inévitablement celui du gouvernement, du corps particulier assurant l’exécutif, et qui cause de la mort des sociétés politiques. La suppression, dans le Contrat, du second pacte du Discours, pacte de soumission, est bien ce qui tente de conjurer la mort du corps politique, en subordonnant l’exécutif au législatif.

Engels passe ensuite, du processus contradictoire, aux termes de ce processus, termes qui, lorsque la contradiction interne au processus se développe, apparaissent comme contraires, p.ex. le chef politique et le despote. Engels se réfère à la dégénérescence du politique décrite dans la deuxième partie du Discours sur l’inégalité. Il s’agit en fait de la même observation, portant l’une sur le processus, l’autre sur les termes. Mais ce dédoublement a un sens. Le dédoublement, en termes et processus, de l’illustration du principe général de la négation de la négation, permet de mieux comprendre le principe général lui-même. Il ne s’agit pas seulement, dans la négation de la négation, de transformer un terme en son contraire[31], mais il faut prendre en compte le fait que cette transformation a lieu par, et après, le déroulement d’un processus donné. S’il ne s’agissait que de la transformation d’un terme en son contraire, le processus aurait tout aussi bien pu être supprimé, ne pas avoir eu lieu, et l’on reviendrait purement et simplement au point de départ. Or ce n’est pas cela qu’Engels appelle négation de la négation : il ne veut pas voir dans Rousseau un simple retour au point de départ, retour que Rousseau lui-même récuse à propos de l’état de nature[32], mais il s’agit d’un retour qui est résultat. Ainsi le dépassement d’un despotisme qui a fait suite à l’égalité naturelle, ne nous reconduit pas à cette égalité naturelle, mais à l’égalité politique, qui est, écrit Engels : « égalité supérieure du contrat social »[33]. L’égalité est « supérieure », parce qu’elle intègre certains éléments du despotisme, p.ex. la hiérarchie, mais en supprimant d’autres éléments, ici la domination. Le contraire du despotisme est alors devenu la liberté politique, comme indépendance envers la volonté d’autrui, mais dépendance envers les lois, en supposant que l’on ait pu ériger la loi au-dessus de l’homme, dans l’institution d’une démocratie participative absolue.

Un autre exemple de cette négation de la négation est la très célèbre et très étonnante « aliénation totale »[34]. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de voir Rousseau reprendre la notion que toute son œuvre a combattu – l’aliénation –, pour en inverser totalement le sens, et en faire le principe de son institution politique. Althusser en a fait l’objet du deuxième décalage qu’il étudie dans son célèbre article : je n’y reviens pas car l’interprétation d’Althusser sera abordée par Andrew Levine et Bruno Bernardi. Mais il faut souligner, qu’à propos de l’aliénation totale, le renversement dans son contraire est parfait : lorsque tous donnent tout à tous, cela veut dire que personne n’a plus rien à donner à quelqu’un en particulier. Et si vous n’avez rien donné à personne, vous ne vous êtes séparé d’aucun de vos biens. Au contraire, en transformant le rapport à vos biens par le moyen du pacte social, vous ne les possédez plus de façon précaire, comme l’individu naturel, mais de façon stable et sûre, comme le citoyen, dont la force publique garantie la possession. L’aliénation totale ne veut donc pas du tout dire que personne n’a plus rien, puisque les biens de chacun sont restés à sa disposition, et qu’il ne les a donnés à personne : « on gagne l’équivalent de tout ce qu’on perd et plus de force pour conserver ce qu’on a »[35]. L’aliénation totale est une illustration parfaite de la négation de la négation, puisqu’on a bien ici, dans la propriété garantie par l’État, une possession nouvelle, mais « supérieure »[36], à celle dont tentait de jouir l’individu naturel, parce qu’on a supprimé l’usage individuel des forces qui provoquait l’état de guerre, pour constituer la force publique par le rassemblement des même forces individuelles.

Énoncé sous cette forme, le dépassement politique du despotisme garde tout ce que le despotisme pouvait avoir de politique, et que l’on trouvait chez Hobbes : le pouvoir souverain rassemble la volonté et les forces des particuliers. Si l’on n’accorde pas toute sa place au premier axe, démocratique, Rousseau est encore très proche de Hobbes[37]. Mais si l’on accorde toute sa place à la démocratie, on confie au politique la résolution des inégalités, problème avant tout économique – c’était le deuxième axe, et avec lui la question de l’articulation des deux premiers axes, politique et économique, question qui éloigne Rousseau de Marx. Reste à savoir si Rousseau pense réellement l’histoire du politique, ou le politique dans l’histoire, capable de dépasser les inégalités, en provoquant l’accès à une forme d’égalité, ou de rapports sociaux, supérieure. Le retour au point de départ, terme de la dégénérescence des sociétés politiques, dont nous parle Rousseau dans le Discours sur l’inégalité, n’est pas un retour à l’égalité naturelle, mais un retour à l’état de guerre, lui-même origine des sociétés politiques. Il n’est donc pas sûr que le Contrat social ait réussi à conjurer la dégénérescence du politique. Après tout le Contrat social proclame lui aussi la mort des corps politiques[38]. N’est-ce pas pour Rousseau reconnaître aussi que le politique est une solution insuffisante ? N’est-ce pas reconnaître, que par l’inévitable retour à l’état de guerre dont il est issu, le politique ne peut jamais totalement dissimuler son infrastructure conflictuelle ? Mais alors c’est aussi à nous de reconnaître que ces interrogations sur le fond conflictuel et l’insuffisance du politique sont d’une grande modernité, et que le regard de Rousseau, enveloppant les dimensions matérielles constitutives du social, participe de l’histoire du marxisme.



[1]. De la Révolution française (cf., entre autres, les études de Roger Barny) à Fidel Castro, sur ce dernier cf. Jean-Jacques Rousseau, Textes politiques, par Tanguy L'Aminot L'age d'homme, 2007, p. 45.
[2]. Yves Vargas, « Marx et Engels lecteurs de Rousseau », lors du colloque Jean-Jacques Rousseau et l’essor des sciences sociales au XIXe siècle, 11-13 mars 2004, publié par le Musée de Montmorency.
[3]. Qu’Yves Vargas, auteur des Promenades matérialistes, me pardonne, et que d’autres collègues, menant des recherches sur les fondements matérialistes de la métaphysique rousseauiste, veuillent bien en faire autant. Je ne nie pas qu’il y ait d’étroits rapports entre Rousseau et les matérialistes de son temps, au premier chef Diderot, mais bien sûr aussi le sensualisme de Condillac. Il demeure que la profession de foi d’Émile IV n’est pas celle d’un matérialiste, et que ses arguments contre le matérialisme sont alors explicites, cf. Émile IV, O.C. IV Paris, Gallimard, 1969, coll. Pléiade pp. 583-587, on pourrait en dire autant à l’aide des Notes sur De l’esprit d’Helvétius.
[4]. J.J. Rou7sseau, Discours sur l’inégalité, O.C. III Paris, Gallimard, 1964, coll. Pléiade p. 160. Le rapport à Marx autour de cette radicalité a déjà été évoqué par Althusser, Politique et Histoire, Paris, Seuil, 2006 p. 111.
[5]. K. Marx, « Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel », Annales franco-allemandes, février 1844 ; trad. fr. in Critique du droit politique hégélien, A. Baraquin, Paris, éd. Sociales, 1975, p. 205 « La théorie est capable de s’emparer des masses dès qu’elle démontre ad hominem, et elle démontre ad hominem dès qu’elle devient radicale. Être radical, c’est prendre les choses à la racine. Or la racine, pour l’homme, c’est l’homme lui-même. La preuve évidente du radicalisme de la théorie allemande, donc de son énergie pratique, est qu’elle a pour point de départ l’abolition résolue et positive de la religion ».
[6]. Discours sur l’inégalité, p. 160.
[7]. Cf. A Christophe de Beaumont, p. 937.
[8]. Contrat social II 4, O.C. III Paris, Gallimard, 1964, coll. Pléiade p.  373.
[9]. Cf. l’une des deux définitions de la volonté générale, dans le Contrat social II 6, O.C. III p.  379. L’autre définition se trouvant in Contrat social II 4 p. 373.
[10]. Contrat social II 6 p. 379.
[11]. « En ce sens », et en prenant en compte les limitations propres à chaque auteur, limitation du politique comme tel pour Marx, limitation de la démocratie chez Rousseau. Compte tenu de ces restrictions on peut comprendre que Lucio Colletti ait pu écrire : « la théorie « politique » marxiste dépend pour l’essentiel de Rousseau », in Ideologia e Societa, Editori Laterza¸ Bari, 1969. trad. fr. par A. Bious, De Rousseau à Lenine, Gordon & Breach, 1972. (publications gramma, coll. l’Esprit des lois), p. 257.
[12]. Contrat social II 4, p.  373.
[13]. Dans la mesure où ce fond réel des intérêts de chacun se rattache au fond le plus réel de la nature individuelle, l’amour de soi, la question politique et sociale de la démocratie s’enracine dans le statut de cette réalité individuelle. C’est à l’aune de cette identité individuelle que sera jugée l’inégalité sociale, et les formes d’inégalités seront plus ou moins admissibles selon que l’on considérera ou non les individus comme plus ou moins identiques. Cf. les débats que suscitent encore les interprétations de G. Della Volpe, p.ex. in A. Burgio, Rousseau la politica e la storia,Tra Montesquieu e Robespierre, Milan, Guerini e associate, 1996, chapitre trois.
[14]. Je rappelle que l’analogie se définit comme identité de rapport entre des choses dissemblables.
[15]. Marx, Notes critiques à Étatisme et anarchie de Bakounine, in Socialisme autoritaire ou libertaire, anthologie éd. par G. Ribeill, Paris, U.G.E, 1975 (coll. 10/18) : « Avec la volonté collective, disparaît la volonté du peuple, pour faire place à la volonté réelle de la coopérative », Tome II p. 379.
[16]. Contrat social IV 2, p. 441.
[17]. Cf. également sur ce point, Andrew Levine, The General Will, Rousseau, Marx, Communism, Cambridge University Press, 1993, ch. 4, notamment p. 80.
[18]. Max Adler, Démocratie et conseils ouvriers (Rätesystem) Vienne, 1919, trad. fr. Y. Bourdet, Paris, Maspero, 1967, p. 55.
[20]. Cf. Burgio, Alberto Rousseau la politica e la storia, Tra Montesquieu e Robespierre, Milan, Guerini e associate, 1996, ch. 3 p. 110.
[21]. J.J. Rousseau, Essai sur l’origine des langues, O.C. V Paris, Gallimard, 1995, coll. Pléiade p.  400.
[22]. La combinaison de l’inégalité naturelle (qui est, en elle-même, « presque nulle »,Second Discours, p. 193) et de l’échange, est une combinaison selon laquelle celui qui, par un procédé ou un autre, produit plus qu’un autre, obtient plus que cet autre, ou de cet autre, dans l’échange. L’inégalité se déploie ainsi dans l’échange, lorsque, à travail égal, mais à procédé différent et donc quantité de produit différente, on peut obtenir plus parce qu’on a plus de produit à échanger, ou demander moins parce que le besoin ne se fait plus sentir. Cette naissance de l’inégalité dans l’échange n’est pas une nouveauté : cf. Pufendorf, Les devoirs de l’homme et du citoyen tels qu’ils sont prescrits par la loi naturelle, trad. J. Barbeyrac, 6e édition, Londres, 1741, Livre un, chapitre sept, § 4.
[23]. Cf. Critique de l’économie politique, Préface : « dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles. L’ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s’élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociales déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général », trad. Maurice Husson et Gilbert Badia, Paris, éd. sociales, 1957, p. 4. Dans cette citation, la distance qui demeure entre Rousseau et Marx se dessine autour de la volonté individuelle.
[24]. Cf. l’appréciation de G. Della Volpe : Europe, Nov-Dec 1961, p. 182 ; Rousseau et Marx, pt. IV Éclaircissements, Rome, Editori Rinuti, 1956 & 1962 ; trad. fr. R. Paris, Paris, Grasset, 1974, p. 143 ; & “ La critique marxiste de Rousseau ”, Paris, Archives de philosophie du droit, 12, 1967.
[25]. Anti-Dühring, 1877, première partie ch. XIII, trad. fr. E . Bottigelli, Paris, Éditions sociales, 1977, pp. 168-169. C’est l’occurrence essentielle dans l’ouvrage.
[26]. Elle est déjà celle du Discours sur les sciences et les arts, elle se révèle dans la controverse, notamment dans la lettre A Grimm : « C’est un des grands inconvénients de la culture des lettres que, pour quelques hommes qu’elles éclairent, elles corrompent à pure perte toute une nation » (Lettre A Grimm, O.C. III p. 60). Le texte le plus explicite se trouve dans la lettre A Philopolis (A Philopolis, O.C. III p. 232)à la suite du Discours sur l’inégalité, et la même thématique sera reprise dans la lettre A Christophe de Beaumont (O.C. IV p. 967).
[27]. J. Starobinski, Le remède dans le mal, Critique et légitimation de l’artifice à l’âge des Lumières., Paris, Gallimard, 1989.
[28]. Cf. Luc Vincenti, Jean-Jacques Rousseau, l’individu et la république, Paris, Kimé, 2001, deuxième partie, début.
[29]. A Voltaire, 10 septembre 1755, O.C. III p. 227. Plus vivement, à propos duDiscours sur les sciences et les arts, la Réponse au Roi de Pologne : « Si quelqu’un venait pour me tuer et que j’eusse le bonheur de me servir de son arme, me serait-il défendu, avant que de la jeter, de m’en servir pour le chasser de chez moi ? ».
[30]. Manuscrit de Genève, chap. II, p. 288.
[31]. Il ne s’agit pas de « ce passe-temps enfantin de poser et biffer alternativementa » Anti-Dühring, p. 170.
[32]. Cf. la première Lettre à Voltaire, « ce retour serait un miracle, si grand à la fois et si nuisible, qu’il n’appartiendrait qu’à Dieu de le faire et au diable de le vouloir » O.C. III p. 226.
[33]. Anti-Dühring, p. 169.
[34]. Ce que j’ai déjà indiqué dans mon petit Du contrat social, J.J. Rousseau, Paris, Ellipses, 2000, p. 55.
[35]. Ibid. I 6 p. 361. Cf. également I 9, p. 367 : « loin qu’en acceptant les biens des particuliers la communauté les en dépouille [cette aliénation] ne fait que leur en assurer la légitime possession, changer l’usurpation en un véritable droit, et la jouissance en propriété […] [les possesseurs] ont, pour ainsi dire, acquis tout ce qu’ils ont donné ». De même également, Contrat social II 4 : « ils n’ont fait qu’un échange avantageux d’une manière d’être incertaine et précaire contre une autre meilleure et plus sûre », p. 375. Sur ce thème de l’aliénation totale, cf. Luc Vincenti,Jean-Jacques Rousseau, l’individu et la république, Paris, Kimé, 2001, p. 128.
[36]. Elle est effectivement supérieure, non pas seulement en qualité mais en quantité, d’ailleurs avec évidemment une autre loi de la dialectique. La transformation qualitative, du fait au droit, est permise par l’augmentation quantitative de la force qui assure la possession. Dans le chapitre neuf du livre un du Contrat, « Du domaine réel », le point de vue des autres États manifeste que le droit propre de chacun des États est avant tout cette union nationale des forces : « comme les forces de la cité sont incomparablement plus grandes que celles d’un particulier, la possession publique est aussi dans les faits plus forte et plus irrévocable, sans être plus légitime, du moins pour les étrangers ». L’expression de « possession publique » exprime la propriété du point de vue étranger, d’un simple point de vue des forces, et donc sans reconnaissance du droit restant interne à chacun des États.
[37]. Ce qui n’est ni une nouveauté, R. Derathé a déjà exploré bien avant cette voie (J.J. Rousseau et la science politique de son temps, Paris, P.U.F. 1950, 2e éd. Paris, Vrin, 1970, Ch. IV 4 p. 227 et V 2 p. 291), ni une découverte, Rousseau lui-même déclarant que si l’on ne peut mettre la loi au-dessus de l’homme, il préfère « le hobbisme le plus parfait », A Mirabeau, 26 juillet 1767.
[38]. « Le corps politique, aussi bien que le corps de l’homme, commence à mourir dès sa naissance et porte en lui-même les causes de sa destruction » Contrat social, III 11, O.C. III p. 424.

◆ El que busca, encuentra...

Todo lo sólido se desvanece en el aire; todo lo sagrado es profano, y los hombres, al fin, se ven forzados a considerar serenamente sus condiciones de existencia y sus relaciones recíprocasKarl Marx

Not@s sobre Marx, marxismo, socialismo y la Revolución 2.0

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Mario Robles Roberto Escorcia Romo: Algunas reflexiones sobre la vigencia e importancia del Tomo I de El Capital — Memoria
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José Sarrión Andaluz & Salvador López Arnal: Primera edición de El Capital de Karl Marx, la obra de una vida — Rebelión
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Marcello Musto: La durezza del 'Capitale' — Il Manifesto
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— Notas sobre debates, entrevistas y eventos
Fabrizio Mejía Madrid: Conmemoran aniversario de la muerte de Lenin en Rusia — Proceso
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Jorge L. Acanda: "Hace falta una lectura de Marx que hunda raíces en las fuentes originarias del pensamiento de Marx" — La Linea de Fuego

— Notas sobre Lenin y la Revolución de Octubre
Guillermo Almeyra: Qué fue la Revolución Rusa — La Jornada
Jorge Figueroa: Dos revoluciones que cambiaron el mundo y el arte — La Gaceta
Gilberto López y Rivas: La revolución socialista de 1917 y la cuestión nacional y colonial — La Jornada
Aldo Agosti: Repensar la Revolución Rusa — Memoria
Toni Negri: Lenin: Dalla teoria alla pratica — Euronomade
Entretien avec Tariq Ali: L’héritage de Vladimir Lénine — Contretemps
Andrea Catone: La Rivoluzione d’Ottobre e il Movimento Socialista Mondiale in una prospettiva storica — Marx XXI
Michael Löwy: De la Revolución de Octubre al Ecocomunismo del Siglo XXI — Herramienta
Serge Halimi: Il secolo di Lenin — Rifondazione Comunista
Víctor Arrogante: La Gran Revolución de octubre — El Plural
Luis Bilbao: El mundo a un siglo de la Revolución de Octubre — Rebelión
Samir Amin: La Revolución de Octubre cien años después — El Viejo Topo
Luis Fernando Valdés-López: Revolución rusa, 100 años después — Portaluz
Ester Kandel: El centenario de la Revolución de octubre — Kaos en la Red
Daniel Gaido: Come fare la rivoluzione senza prendere il potere...a luglio — PalermoGrad
Eugenio del Río: Repensando la experiencia soviética — Ctxt
Pablo Stancanelli: Presentación el Atlas de la Revolución rusa - Pan, paz, tierra... libertad — Le Monde Diplomatique
Gabriel Quirici: La Revolución Rusa desafió a la izquierda, al marxismo y al capitalismo [Audio] — Del Sol

— Notas sobre la película “El joven Karl Marx”, del cineasta haitiano Raoul Peck
Eduardo Mackenzie:"Le jeune Karl Marx ", le film le plus récent du réalisateur Raoul Peck vient de sortir en France — Dreuz
Minou Petrovski: Pourquoi Raoul Peck, cinéaste haïtien, s’intéresse-t-il à la jeunesse de Karl Marx en 2017? — HuffPost
Antônio Lima Jûnior: [Resenha] O jovem Karl Marx – Raoul Peck (2017) — Fundaçâo Dinarco Reis
La película "El joven Karl Marx" llegará a los cines en el 2017 — Amistad Hispano-Soviética
Boris Lefebvre: "Le jeune Karl Marx": de la rencontre avec Engels au Manifeste — Révolution Pernamente

— Notas sobre el maestro István Mészáros, recientemente fallecido
Matteo Bifone: Oltre Il Capitale. Verso una teoria della transizione, a cura di R. Mapelli — Materialismo Storico
Gabriel Vargas Lozano, Hillel Ticktin: István Mészáros: pensar la alienación y la crisis del capitalismo — SinPermiso
Carmen Bohórquez: István Mészáros, ahora y siempre — Red 58
István Mészáros: Reflexiones sobre la Nueva Internacional — Rebelión
Ricardo Antunes: Sobre "Más allá del capital", de István Mészáros — Herramienta
Francisco Farina: Hasta la Victoria: István Mészáros — Marcha
István Mészáros in memoriam : Capitalism and Ecological Destruction — Climate & Capitalism.us