16/1/17

Le dernier Marx et Le Capital

Karl Marx ✆ Anne Simon 
Michael R. Krätke
Marx après 1867. Rien ne va plus ?

1. Selon une représentation populaire dont témoignent maintes biographies, Marx, sur ses vieux jours, ayant perdu toute capacité de travail, était en proie au désespoir. A ses plus proches amis, comme Engels, il disait faire des progrès, avancer dans son grand projet. De temps à autre, il annonçait que le Livre II du Capital serait bientôt prêt. En fait, il leur cachait le véritable état de ses manuscrits inachevés. Il était, il est vrai, presque constamment perturbé par la maladie. Et, en outre, souvent pris par des tâches politiques, celles du Conseil Général de l’Association Internationale des Travailleurs, la Première Internationale. D’un autre côté pourtant, après 1870, il n’avait plus les mêmes tracas financiers qui l’avaient hanté pendant plus de vingt années.

2. Après 1867 il ne publia plus grande chose, et presque rien sur la critique de l’économie politique, sauf un chapitre sur l’histoire de l’économie politique dans l’Anti-Dühring d’Engels et une version populaire du Livre I du Capital, écrite par Johann Most, mais révisée et réécrite par lui, et publié en 1876 [1] Dans la littérature biographique, cette dernière période de sa vie est surtout considérée comme une période d’échecs. Marx, pour diverses raisons, a raté son chef d’œuvre, Le Capital. Il aurait renoncé, accepté la défaite, s’avouant incapable de mener à terme son grand projet de critique de l’économie politique. Cela donnait, malgré tout, au Capital le charme d’un chef d’œuvre inachevé et imparfait. Mais cela laissait aussi assez de marge de manœuvre pour des spéculations hasardeuses, qui furent longtemps à la mode dans la marxologie académique.

3. Grâce aux travaux en cours dans le cadre de la MEGA, on peut désormais se faire une idée plus concrète et plus précise du travail scientifique de Marx pendant la dernière période de sa vie. Dans quelques années, la plupart de ses manuscrits, de ses notes de lectures et des collections de matériaux datant de cette période, seront publiés. Cela modifiera sans doute le jugement que l’on peut porter sur le dernier Marx, et nous donnera une nouvelle base pour mieux juger de son œuvre, et de la critique de l’économie politique en particulier. Pourquoi ? Parce que Marx, comme en attestent les milliers de pages d’écrits qu’il a laissés, n’a pas abandonné son grand projet. Il a continué à travailler avec la même passion, la même voracité que pendant les quinze années précédentes. Il n’a rien publié, et quand il y eut débat sur sa théorie de la valeur entre ses partisans et ses adversaires, il semble s’être retranché dans le mutisme [2] Néanmoins, tous ses écrits inédits témoignent de ses efforts incessants pour mener à bien Le Capital, et surtout pour en fournir une version complète et parfaite. On se rappelle le presque dernier mot du dernier Marx, en décembre 1881, sur Le Capital, laconique mais très révélateur : « il faudrait tout reprendre, complètement », écrit-il à son ami et collaborateur Daniel’son. Il avait, en réalité, exprimé cette même idée, dix ans plus tôt, en 1871 [3] C’était au moment où il commençait à travailler sérieusement à la fois à une traduction française et à une nouvelle version allemande du Livre I : on peut dire qu’il s’engageait dans une nouvelle version de la critique de l’économie politique, la cinquième, encore plus éloignée de celle de ses débuts en 1857/58.

4. La longue route vers le Capital Rappelons-nous qu’il n’est pas facile de lire le Capital. Il s’agit, évidemment, d’un chef d’œuvre inachevé. En outre, le Capital présente un type de théorie et un type d’exposition scientifique rarement rencontré et peu compris jusqu’à nos jours. Ce qui aggrave la difficulté, c’est qu’il n’y a pas seulement un Capital, mais plusieurs. Marx poursuit son projet d’une critique de l’économie politique de 1844 à sa mort. Après quelques brefs brouillons sur le système monétaire qui se trouvent déjà dans ses cahiers de notes de lecture connus sous le nom de Londoner Hefte, il commence à écrire de longs manuscrits dès 1857 – des manuscrits de recherche et des manuscrits de rédaction. A certaines périodes, il écrit sur d’autres sujets – comme en 1860 (la polémique contre Vogt) ou en 1871 (l’Adresse au Conseil Général de l’A. I. T. sur la guerre civile en France) –, mais il ne cessa pas d’écrire jusque 1881-82 [4] Nous avons donc quatre ou cinq versions différentes de la critique de l’économie politique de Marx. La première, connue sous le nom de Grundrisse, est écrite en 1857-58. En 1858-59, il rédige le texte connu et publié sous le titre Zur Kritik der Politischen Ökonomie. Ensuite, dans les années 1861-63, il recommence encore une fois et produit une troisième version, pour l’essentiel un manuscrit de recherche, dont une partie est connue sous le nom des Theorien über den Mehrwert[5] Pendant cette période, Marx modifie son plan original (le plan en six livres datant de 1858) et il en arrive à la structure d’exposition de ce que nous connaissons sous le titre Das Kapital. En 1864-65, Marx écrit une première version des trois livres du Capital, plus ou moins dans l’ordre inverse (à partir du Livre III). Ces manuscrits restent inachevés, sauf le manuscrit du Livre I, que Marx réécrit et rédige selon deux versions différentes en 1865-66. La seconde est la seule qu’il rédige jusqu’au bout, parvenant enfin à une version qui lui semble convenable. Après la publication du Livre I en 1867, Marx poursuit ses travaux dans deux directions. D’une part, il rédige et remanie ce texte à plusieurs reprises, surtout en 1871-72. D’autre part, il continue à travailler sur les thèmes des Livres II et III, sans en modifier le plan, en réécrivant et en ajoutant des brouillons et autres manuscrits aux textes déjà écrits en 1864-65 [6] Tous ces textes, qui seront publiés pour la première fois dans la MEGA2, avec les montagnes de notes de lecture et de matériaux qu’il amassa jusqu’à sa mort, nous donnent une idée de ce qu’aurait été la dernière version du Capital, la cinquième version de sa critique de l’économie politique telle qu’il l’avait envisagée dans la dernière période de sa vie.

5. Entre ces différentes versions, il n’y a pas de rupture nette. Même le fameux changement de plan de 1863 ne se produit pas d’un seul bond, mais à pas comptés [7] Les remarques autocritiques les plus radicales se trouvent dans le manuscrit de 1857-58. Dans ce manuscrit, en essayant de présenter le système des catégories économiques d’une manière « dialectique », Marx se heurte aux limites propres à la méthode dialectique et il parvient à un mode d’exposition systématique qui lui semble adéquate aux réquisits d'une science sociale, historique et politique comme l’économie politique. Il reprend et pousse plus avant sa critique de Hegel et du maniérisme hégélien, s’éloignant de plus en plus d’une dialectique sans retenue. Il finit par en arriver à une dialectique très réduite et très mesurée, ce qu’il ne considère pas comme un glissement vers une popularisation ni une vulgarisation de sa théorie. Il était très critique envers ses manuscrits, surtout envers le manuscrit de 1857-58, que certains marxistes considèrent aujourd’hui comme la version la plus achevée de son œuvre. Il était lui-même d’un autre avis. Le manuscrit de 1857-58 marque un pas en avant, parce que son auteur a beaucoup appris, surtout sur la méthode d’exposition adéquate à une théorie générale et systématique. La leçon la plus importante qu’il a retenue est qu’il faut prendre conscience des limites inévitables de la méthode dialectique, et éviter même l’apparence d’une construction a priori. A partir de là, Marx cherche et corrige, essaie et recommence : les manuscrits de 1857-58, les manuscrits de 1861-63 et même les manuscrits de 1864-65 sont encore des manuscrits de recherche plutôt que des manuscrits de rédaction. Après 1867, ce travail n’est pas fini. Bien au contraire. Marx, à la fin des années soixante-dix (et jusqu’en 1882), continue à lire et à relire Le Capital, – et à lui trouver des défauts.

6. On peut se demander, comme déjà Raymond Aron l’a fait dans les années soixante, pourquoi Marx n’a pas achevé Le Capital dans les presque quinze années qui lui restaient après la publication du Livre I en 1867 [8]? Il y eut, bien sûr, les maladies, et des maladies graves, il y eut la fatigue, les drames familiaux. A certaines périodes pourtant, il était parfaitement capable de lire, de travailler, de réunir et d’examiner des masses de matériaux, même quand il se considérait comme incapable d’écrire, – en tout cas selon les exigences qui lui semblaient être celles de son opus magnum. Voilà ce qui reste cependant à considérer de plus près.

7. Après la publication du Livre I en septembre 1867, Marx se remet presque immédiatement au travail. Pendant l’année 1868, il confirme dans des lettres à Engels et à d’autres amis les grandes lignes et la structure de son plan pour les Livres II et III. Il veut reprendre le collier et réviser les manuscrits qu’il a écrits quatre ou trois années auparavant. Dès qu’il se remet à ce qu’il regardait comme un travail de rédaction, un travail de plusieurs mois, peut-être un an, il aperçoit de nombreux problèmes dans ses manuscrits inachevés. Que fait-il ? Il recommence ses études. Il s’installe à nouveau, pour longtemps, au British Museum, où il produit une vaste recueil d’extraits, de notes de lectures, de statistiques et encore d’extraits de rapports officiels (avec ses propres commentaires), soit plus de 700 pages an total. De plus, pendant six mois, et cette fois-ci avec l’aide de sa fille Jenny, il se construit une vaste collection d’articles découpés dans des journaux. Tous ces travaux portent sur un sujet qu’il pensait bien posséder – la monnaie, ses différentes formes, les marchés financiers et leurs crises – et surtout les crises financières récentes, c’est-à-dire les phénomènes manifestés par la crise de 1866. Tout comme il l’avait déjà fait dans les années cinquante, avec ses études sur la crise de 1857/58 comme apogée, Marx, en 1868-69, produit encore toute une série de ses fameux cahiers sur la monnaie et les questions monétaires. Le plus remarquable est que dix ans plus tard, en 1878, Marx renouvelle cet exploit. En quelques mois, il remplit encore une série de cahiers sur la théorie et l’histoire des relations monétaires dans les pays capitalistes les plus importants de l’époque, y compris les Etats-Unis et la Russie [9] Et il continue. Entre décembre 1878 et mars 1879, il fait des extraits d’une vaste collection des publications récentes sur les crises monétaires, actualisant et mettant à jour son matériel [10] Cela dit, on peut déjà signaler une des matières principales de ses études depuis 1868 : la monnaie, le crédit, le système des banques et les phénomènes des marchés financiers, les crises monétaires surtout. Marx est fasciné par la découverte d’or en Californie et il analyse les conséquences de ce phénomène en 1850. Dès 1868, il observe et étudie un nouveau phénomène : le passage du système monétaire international au fameux étalon d’or. Ce phénomène s’avère parfaitement compatible avec la teneur de sa théorie de la monnaie, comme il l’indiquait déjà au chapitre trois du Livre I du Capital [11] La transformation de la monnaie dans le capitalisme moderne, le passage du système monétaire de la monnaie marchandise à son remplacement par le crédit et la monnaie de crédit sous toutes ses formes, et bien sûr à l’échelle nationale comme à l’échelle mondiale, c’est là un procès historique qui se déroule à ce moment même. L’Angleterre est alors le pays le plus avancé en ce qui concerne la transformation du système monétaire en un système de crédit dominé par les banques privées et de plus en plus internationales – comme elle est le pays le plus avancé de la grande industrie et du grand commerce international. Marx étudie notamment la formation du régime de l’étalon or, dont il a découvert le secret : en effet, c’est un étalon sterling, la première monnaie nationale, qui est en train d’acquérir le rôle de la monnaie mondiale. Il voit clairement qu’à l’échelle mondiale toutes sortes de titres anglais assument des fonctions monétaires. Le marché financier de Londres, donc la dette publique anglaise sous toutes ses formes, deviennent l’axe, le point central du système financier international.

8. La rente foncière est l’autre sujet principal des études de Marx. Depuis le début des années soixante-dix, il s’est lancé dans des études sur l’agriculture et l’agronomie. Pendant plus de douze ans, il a exploré et étudié les développements de l’agriculture moderne, de plus en plus capitaliste, même industrielle, en Russie et aux Etats-Unis. Il élargit donc la portée de ses recherches dans le domaine agricole. Commençant par l’étude des développements de l’agriculture en Russie depuis les réformes des années soixante (la libération des serfs russes), il en vient progressivement à une série de travaux comparatifs sur les changements dans l’agriculture des pays capitalistes les plus importants. Il étudie en outre l’agriculture des pays colonisés comme l’Irlande ou les Indes, et il commence ainsi à se tourner vers les pays situés en dehors et aux marges de l’économie monde du capitalisme industriel. Il aborde sans hésitation l’étude de l’agronomie, même de l’agrochimie contemporaine, et il reprend ses études sur les révolutions et les innovations technologiques récentes. C’est dans ce cadre qu’il commence à s’intéresser sérieusement aux développements de l’agriculture américaine, dont il avait déjà une connaissance assez étendue depuis la Guerre Civile. Pour Marx, les Etats-Unis et surtout les Etats du Midwest sont un exemple fascinant : il y voit émerger l’agriculture industrielle, une forme d’agriculture capitaliste encore plus avancée que celle de l’Angleterre. C’était encore une révolution agricole qui était en train de s’achever dans le monde capitaliste et qui allait modifier la structure du marché mondial. Tout ceci en vif contraste avec la stagnation, voire le déclin, de l’agriculture en Russie. A partir de 1872, Marx se met à étudier sérieusement le nouveau développement d’un capitalisme industriel et agricole en Russie. Dès ce moment, il est convaincu qu’il y a plusieurs voies du développement du capitalisme dans le monde, et que le modèle classique de la « révolution industrielle », celui de l’Angleterre, n’est valable que pour les pays de l’Europe d’Ouest [12] Evidemment, quand un chercheur comme Marx arrive à une telle conclusion, on comprend que sa conception de la théorie générale du capitalisme moderne soit appelée à quelques transformations.
Marx en route vers la version finale du Capital ?

9. Est-il facile ou non de suivre, de lecture en relecture, ces milliers de pages, ces extraits, ces notes de lectures, ces brouillons, ces collections de matériaux divers, laissés par le dernier Marx ? Existe-t-il une cohérence, un lien entre toutes ses études poursuivies pendant ses dernières années et son grand travail inachevé, la critique de l’économie politique ? Une telle lecture serait assurément fort ennuyeuse si tous ces écrits n’étaient que des esquisses d’œuvres manquées. Ou s’ils n’étaient que les restes d’une gourmandise intellectuelle qui l’avait fait dévorer d’innombrables livres. Au total, ces extraits et manuscrits sont presque aussi volumineux que l’ensemble des cahiers d’études que Marx avait produits auparavant. On y trouve, entre autres, la plus vaste collection de données statistiques que Marx ait jamais compilées, sur la Russie, les Etats-Unis et d’autres pays capitalistes.

10. A mon avis et d’après l’expérience que j’en ai, il n’est pas ennuyeux de suivre Marx dans ses études pendant les dernières années de sa vie. Il y a en effet une cohérence, et l’on y repère des liens manifestes avec le travail qu’il déploie pour rédiger et remanier ses manuscrits prévus pour les Livres II et III. La plupart de ceux-ci, une dizaine au total, ont été écrits au cours de ces années. Les plus longs l’ont été entre décembre 1868 et juillet 1870 (une deuxième version complète), puis en 1877-78 et 1880-81, ce qui nous donne une troisième version assez complète. Marx, en effet, cherche de nouvelles solutions à des problèmes assez connus, il s’emploie à se corriger lui-même, à réécrire, et non seulement à relire, Le Capital. La chronologie peut aider. Il y a, dans la plupart des cas, un lien temporel entre les études de Marx et ses efforts pour rédiger ou compléter, voire souvent réécrire, ses manuscrits pour les Livres II et III. Ces liens sont assez évidents. Marx, comme il apparaît dans les cahiers de ses dernières années, vus dans le contexte propre du grand projet de la critique de l’économie politique, n’a pas changé de caractère. Il n’est pas devenu un chercheur-gentleman cherchant n’importe quoi pour son plaisir. Il sait parfaitement ce qu’il fait et ce qu’il cherche. Quand il recommence ses études mathématiques dans les années 1880-82 par exemple, il ne s’écarte pas vraiment de son sujet. Il n’est pas satisfait de ses tentatives d’analyse des relations entre les changements du taux de la plus-value et du taux de profit, et il veut en trouver les « lois de mouvement » [13] Par conséquent, il se met à la recherche des meilleures méthodes d’analyse et d’exposition – et il découvre le calcul différentiel, et il commence à le pratiquer en même temps que d’autres économistes inventent l’analyse marginale !

11. A plusieurs reprises, il se remet à l’étude de la monnaie, des changements récents dans le système monétaire anglais et international – et, en même temps, il recommence à rédiger ou à réécrire les textes pour le Livre II (en 1868-69 et en 1877-78). Bien sûr, ses recherches vont plus loin que les sujets qui pourront être abordés dans le cadre d’une théorie générale et faire l’objet d’un exposé systématique au niveau de l’analyse de la circulation du capital industriel ! Une bonne raison pour ce parallélisme entre études et travaux de rédaction tient au fait que, dans sa conception, la circulation du capital a une double importance pour la théorie de la monnaie : elle explique la circulation et aussi l’immobilisation de la monnaie dans les économies capitalistes, et elle sert de base aux formes élémentaires du crédit, lequel est un pilier du capitalisme moderne. On trouve donc dans le dernier long manuscrit de la main de Marx pour le Livre II – par comparaison avec le premier manuscrit pour ce livre datant de 1864-65 – les bases d’une théorie du crédit beaucoup plus claire et élaborée. Sans doute Marx savait-il ce que beaucoup de marxistes ne savent pas encore – que le Livre II serait une étape cruciale pour l’exposition systématique et génétique de sa théorie de la monnaie moderne.

12. Il commence, en 1867-68, par entreprendre de remanier son manuscrit du Livre III, qui datait de 1864-65. Au total, il écrit en peu de temps 11 manuscrits concernant les catégories de profit, de taux de profit, de profit moyen, de coût, de prix de production et de prix de marché. En outre, dans les plus longs manuscrits, il essaie par trois fois de déterminer les « lois » diverses du taux de profit, dans tous les sens et selon toutes les variations possibles des facteurs importants. A plusieurs reprises, dans les mêmes manuscrits, il essaie de trouver des formules adéquates exprimant les « lois » de la rente différentielle, ou de son développement à long terme. Des « lois » nouvelles, marxiennes, bien entendu, différentes des idées ricardiennes. Le résultat de ce travail : une nouvelle structure d’argumentation pour la Section I du Livre III, où Marx va dès lors commencer avec un nouveau « fait concret » du capitalisme quotidien, les phénomènes du coût et du profit tels que chacun des capitalistes les voit [14] En même temps, il commence à étudier les techniques de la comptabilité commerciale – jusqu’aux détails des techniques bancaires, études qu’il reprend plusieurs fois pendant les années suivantes.

13. Peu après, dès 1870, il se met à retravailler le texte du Livre I – en plusieurs fois, pour la deuxième édition allemande de 1872, et surtout pour la traduction française qui devient une véritable édition française, publié en fascicules en 1872-75. Marx estimait beaucoup cette édition dont il avait rédigé et réécrit lui-même un grand nombre de passages, et il lui accordait une valeur scientifique propre. Pour lui et selon ses propres instructions, la version française devait être la base de toutes les futures éditions du Livre I du Capital [15] On peut donc supposer que, depuis 1873, Marx songeait à une nouvelle version du Capital, version dont il avait déjà produit quelques éléments. Mais le tournant décisif pour le succès de toute son œuvre serait, dès lors, la publication du tome II (avec les Livres II et III) du Capital.

14. Par la suite, il rédige plusieurs manuscrits pour le Livre II. Ce sont au total huit manuscrits, dont les plus long et les plus élaborés, comme le manuscrit VIII, écrit par Marx en 1880-81, serviront à Engels de texte de base pour son édition du Livre II après la mort de Marx. Il y présente ses propres tableaux économiques – non pas pour la première fois, mais sous une forme plus élégante –, en utilisant les formules algébriques bien connues. Il n’achève pas, et ses tableaux économiques resteront inachevés. Mais cette analyse du procès total de la circulation et de la reproduction, y compris l’accumulation du capital social, est en général considéré, surtout parmi les économistes, comme l’une de ses plus belles performances. Ne l’oublions pas, c’est le « vieux » Marx, qui réussit cet exploit, en 1880-81. Et il existe, une fois de plus, un lien temporel avec d’autres travaux et études. Trois ans avant, en 1877, il a écrit un chapitre sur l’histoire de l’économie politique, pour aider Engels dans sa polémique contre Dühring. Dans ce cadre, il reprend l’étude des tableaux économiques de Quesnay dans leurs différentes versions. Et son chapitre pour l’Anti-Dühring donne en effet une explication détaillée des tableaux physiocratiques. On peut supposer que c’est là le moment où il abandonne sa première version d’un tableau économique – celle qui se trouve dans le manuscrit de 1861-63 – et commence à réfléchir sérieusement à la forme adéquate d’exposition pour sa propre analyse de la circulation et reproduction du capital social total.

15. Pour le Livre III, Marx écrit plusieurs manuscrits entre 1871 et 1882. Ces textes ont été publiés pour la première fois en 2003, dans le tome II/14 de la MEGA. Ce sont des brouillons sur les sujets des premiers chapitres de ce livre – les catégories de profit, de taux de profit et de coût de production –, qui ressemblent fort à des exercices mathématiques. Marx, comme on le voit dans ces brouillons, recherche encore les relations logiques – en forme de « loi générale » – entre le taux de la plus-value et le taux de profit. Il existe des liens entre ces manuscrits et les études d’économie politique qu’il continue en même temps. Bien sûr, il analyse diverses combinaisons (des co-variations des facteurs déterminants du taux de profit) logiquement possibles ou imaginables. Mais il veut aussi trouver des combinaisons qui auraient eu un certain sens économique – et il se met à la recherche de ces combinaisons dans l’histoire et les développements contemporains du capitalisme industriel et agricole dans plusieurs parties du monde. Il semble qu’il ait envisagé tout un chapitre final pour la première section du Livre III – semblable à celui qui présentait les « lois » du taux de la plus-value, le chapitre XVII du Livre I. Auteur d’un projet scientifique assez ambitieux, il se met en même temps à la recherche des faits et des données historiques et statistiques portant sur le développement des taux d’intérêt et le développement des taux des rentes foncières.
Problèmes et découvertes

16. Les manuscrits du Capital que Marx a laissés posent des problèmes qui n’ont pas été traités d’une manière satisfaisante. Y compris concernant l’exposition d’une théorie systématique et générale, mais historisée en même temps [16] Néanmoins, les études et les notes de lecture de sa dernière période nous donnent des indications : il semble que Marx ait été parfaitement conscient de ces problèmes, et même qu’il se soit mis sérieusement à la recherche de solutions plus solides que celles trouvées jusque-là.

17. Prenons un exemple. En 1864-65 Marx se vantait auprès de ses amis, surtout d’Engels, d’avoir trouvé une solution scientifiquement solide au vieux problème de la rente foncière absolue, une énigme que les économistes classiques n’avaient jamais su résoudre. Sa solution est la suivante : l’agriculture en général, tous les agriculteurs d’une économie capitaliste, emploient plus de capital variable et plus de maind’œuvre par rapport au capital constant que la moyenne de l’ensemble de l’économie. C’est pourquoi ils produisent plus de plus-value par rapport au capital employé que la moyenne du capital social total. En outre, en bloquant la concurrence, donc l’accès à l’agriculture pour d’autres producteurs / agriculteurs potentiels, les propriétaires et les agriculteurs capitalistes dans ce secteur parviennent à garder au moins une partie de cette plus-value élevée. C’est pourquoi tous les propriétaires et une grande partie des agriculteurs reçoivent non seulement des rentes différentielles, mais aussi une rente foncière absolue.

18. Marx était satisfait de cette solution. Mais à partir du moment où il commence à étudier le développement de l’agriculture aux Etats-Unis (à partir de 1872), il s’aperçoit que sa solution n’était pas aussi solide qu’il l’avait cru. Il constate en effet sur le cas des Etats-Unis, à partir d’une étude détaillée, l’existence d’une agriculture en plein changement : une agriculture encore primitive, de subsistance, se transforme sous ses yeux en une agriculture industrialisée, mécanisée, organisée selon le modèle propre de l’usine. Il observe ainsi l’émergence d’une agriculture capitaliste, où la composition organique du capital employé croît rapidement et ne cesse de croître. Il lui est donc facile d’imaginer une agriculture capitaliste parfaitement développée, dans laquelle la composition organique du capital serait aussi élevée ou même plus élevée que le moyenne du capital social total. Dans ce cas, la base pour la rente foncière absolue en termes de production de plus-value aurait disparu.

19. Dans ce contexte, Marx observe et analyse une agriculture dans laquelle la concurrence ne s’arrête jamais. Simplement parce que la transformation des terres en marchandise, la commercialisation de la propriété foncière y est beaucoup plus avancée que partout en Europe. Que fait alors notre auteur ? Il voit clairement que sa solution au problème de la rente foncière absolue n’était pas valable comme solution générale. C’était une analyse et une solution bonnes pour une certaine période, mais elle ne vaut pas partout dans le monde capitaliste ni pour toute l’époque du capitalisme moderne. C’était une vérité historique, transitoire, et vite dépassée par le développement du capitalisme agricole. Marx a déjà compris qu’il n’y avait pas de base scientifique pour les thèses ricardiennes sur le progrès et la régression de l’agriculture. Il se met donc à étudier, pendant de longues années, l’agronomie moderne et même les bases de l’agrochimie. Le développement de la technologie agricole est le moment décisif et subversif qui va renverser tous les facteurs et tous les faits « naturels » et immuables dans l’agriculture. La découverte de la nouvelle technologie de transmission de l’électricité à longue distance ajoute un élément nouveau : une partie de la rente dite « de situation » disparaîtra par conséquent au fur et à mesure qu’elle aura été partout introduite. À condition que la concurrence entre capitalistes et propriétaires soit libre – et la marchandisation des terres soit complète. En 1881, après des années d’études, Marx a désormais en mains tous les ingrédients pour une nouvelle approche de l’analyse de l’agriculture tournée vers l’agro-industrie à grande échelle dans le capitalisme moderne.

20. S’agissant de la nouvelle solution qui aurait été celle de Marx après sa découverte de l’agriculture capitaliste et industrialisée aux Etats-Unis, je ne vois qu’une seule orientation possible : elle aurait été beaucoup plus historisée que celle que nous connaissons du manuscrit de 1864-65. Je pense donc également que les études de Marx sur l’agriculture en Russie lui auraient servi pour la rédaction du texte du Livre III. Dans la version finale du Capital, comme on peut l’imaginer, les Etats-Unis auraient probablement occupé la place du pays capitaliste modèle pour l’agriculture au XIXe siècle, pendant que la Russie aurait servi de contre-exemple [17] Le cas d’une agriculture liée aux marchés, et même au marché mondial, mais sans les formes industrielles et sans les formes de propriété foncière spécifiques convenables pour le capitalisme moderne. Tout ceci concorderait avec l’approche générale de Marx : il y a des conditions préalables à chacun des rapports économiques du capitalisme proprement dit, conditions qui ne sont pas nées du capitalisme, mais qui le précèdent – comme l’argent et la marchandise, comme le commerce (et même le commerce international), comme l’existence d’une classe de travailleurs et, son pendant logique et historique, l’institution de la propriété foncière déjà dans sa forme moderne, dépouillée de toutes sortes de droits d’usage communs (commons). Toutes ces conditions seront transformées dans le cadre du capitalisme moderne, la monnaie comme la marchandise, le travailleur comme la propriété foncière. Par conséquent, la théorie générale du capitalisme de Marx est une théorie historisante en deux directions : vers la préhistoire du capitalisme (qui fait partie de son histoire contemporaine à l’échelle mondiale) et vers l’histoire propre du capitalisme, les différentes voies de développement du capitalisme et ses grandes tendances historiques, que les fameuses « lois tendancielles » devraient éclairer.
Les années 1868-1882, encore une étape dans l’itinéraire intellectuel de Marx

21. Quand notre auteur décède, en mars 1883, il n’a pas achevé le travail consistant à faire et refaire Le Capital. Il nous a tout de même laissé une pile d’études et de manuscrits d’une hauteur remarquable. En ce qui concerne le Livre I, il a laissé une liste de modifications, commencée en 1877 – surtout en vue transférer des passages de l’édition française de 1872-75 dans la troisième édition allemande, déjà en préparation et parue effectivement en 1883 [18]. En outre, il avait l’intention de remanier le Livre I beaucoup plus profondément, comme il l’avait signalé à Daniel’son en 1881 [19]. Ce qui voulait dire, dans le contexte et vu l’état de ses travaux, le reprendre après la publication des Livres II et III. Et, bien sûr, à la lumière de tout ce qu’il voulait y mettre dans leurs versions finales, prêts pour la publication. En ce qui concerne le Livre II, il a laissé un paquet de manuscrits (dix au total, dont 9 datent de la période 1868-1881), dont deux versions plus ou moins complètes du texte intégral (d’autres ne concernant que quelques passages ou chapitres). Plus une grande quantité de cahiers de notes et extraits qu’il avait commencés à retravailler dès 1877-78. En ce qui concerne le Livre III, il n’y a qu’une dizaine de manuscrits, écrits entre 1868 et 1881, dont la plupart ne sont que des brouillons assez courts et dont le plus long fait 132 pages – tous traitant de la relation entre le taux de la plus-value et le taux de profit. Ce sont donc des manuscrits de recherche, et non de rédaction, pour la première partie du Livre III. La grande majorité de ses autres écrits datant de cette période sont des extraits, des notes de lecture, des découpages, des collections de matériaux statistiques. Ils présentent néanmoins des rapports assez clairs avec plusieurs sections du Livre III, surtout avec la fameuse Section V, qui traite de l’intérêt, du crédit, du capital bancaire et de la monnaie de crédit, et la Section VI, consacrée à la rente foncière.

Michael Krätke
22. On peut reprendre ici le jeu de Raymond Aron : si j’étais marxiste, que ferais-je de tout cela ? Ou mieux, si j’étais Marx en 1883, et si j’étais encore en bonne santé, avec tous mes papiers sous la main, toutes les études faites, que ferais-je du Capital ? C’est là pure spéculation, mais il y a dans les manuscrits laissés par Marx suffisamment de repères pour se faire une idée de la direction qu’il aurait donnée à ses travaux s’il avait eu la chance de vivre encore quelques années en bonne santé. Le Capital, refait et achevé par Marx, serait devenu un livre encore plus riche que celui que nous connaissons. Il aurait comporté beaucoup moins de « lois générales » et beaucoup plus de réserves en ce qui concerne leur validité. Il y aurait beaucoup plus de causalités bien spécifiques, soit selon des « milieux nationaux » (ou le type dominant du capitalisme), soit selon des « milieux historiques » différents dont surgissaient des formes différentes de capitalisme industriel, agricole et commercial. Il y aurait beaucoup plus d’explications en termes de développement du capitalisme envisagé selon les différents types de durée et aussi en termes de « modifications » nécessaires, soit des tendances générales, soit des formes élémentaires. Le Capital serait donc devenu un livre beaucoup plus historisé, mais non purement historique ni encore moins historiciste. Un livre comportant des parties d’histoire raisonnée du capitalisme moderne, exposant encore plus ses changements structurels – en ce qui concerne le régime monétaire, les formes de la rente foncière, les formes de propriété et de gestion du capital, etc.

23. Certes, Marx n’aurait pas renoncé à sa méthode « génétique » de « développement » des catégories. Mais, au cours du travail poursuivi sur ses quinze dernières années, il n’a pas manqué de percevoir de plus en plus clairement les « limites de la méthode dialectique ». En 1882, il avait à sa disposition un vaste ensemble de connaissances empiriques et théoriques. On peut supposer qu’il aurait mis à profit ses connaissances et capacités analytiques pour conférer aux catégories de sa théorie générale une dimension plus « historique ». Son argumentation se serait modifiée et serait devenue plus complexe et plus compliquée qu’auparavant. Mais Le Capital n’a jamais été un livre facile à lire.
Notes

[1] Dans ces deux cas, le nom du co-auteur, Marx, n’était pas mentionné. Cf. les textes dans MEGA I/27, pp. 411-425 et les textes de Marx préparatoires à ce chapitre, pp. 131-216 ; MEGA II/8, pp. 733-787.
[2] Dans sa correspondance privée, il fait quelques remarques qui peuvent expliquer sa réserve envers ces débats. Voir par exemple sa lettre à Engels du 4 décembre 1882, où il se réfère à une discussion sur sa théorie de la valeur dans le journal italien Plebe : Tout le monde racontait des bêtises ! (MEW 35, p. 123).
[3] Cf. les deux lettres de Marx à Daniel’son du 13 juin 1871 et du 13 décembre 1881 (MEW 33, p. 321 et MEW 35, p. 246).
[4] Les notes de lecture sur Adolph Wagner datent du printemps de 1881, son dernier manuscrit pour le Livre II date de l’été 1881.
[5] Une partie de ce manuscrit de recherche, les digressions de Marx sur l’histoire de l’économie politique, avec assez souvent de longues critiques détaillées des écrits des grands économistes classiques, surtout de Adam Smith et de Ricardo, ont été publié par Kautsky en trois tomes (1905-1910) sous le titre Theorien über den Mehrwert [Théories sur la plus-value, paru en trois tomes aux Editions sociales, 1974-1976, Ndlr]. Il fallut attendre jusqu’en 1983 pour voir publié, dans la nouvelle MEGA (voir MEGA II/3 en six tomes), l’ensemble du manuscrit dans sa forme originelle.
[6] En ce qui concerne la structure du livre, les plus grands changements concernent le Livre I. Quant aux ajouts, les plus importants se trouvent dans la Section III du Livre II et dans la Section I du Livre III.
[7] En effet, Marx n’a jamais complètement renoncé au plan des 6 livres. Bien sûr, il modifie la structure de l’ouvrage, abandonnant la dichotomie hégélienne du capital en général versus les capitaux individuels comme principe d’organisation de l’œuvre. Par conséquent, il réarrange la structure d’exposition du Capital. Entre 1863 et 1882, il prend conscience de la portée et des limites de sa théorie générale du capitalisme. Quant aux questions étudiées au Livre III, comme le crédit, le commerce, la rente foncière, il ne leur a pas trouvé de solution définitive et satisfaisante. Il a sans doute décidé d’élargir sa présentation du livre sur le capital, auquel le plan original laissait une place réduite. Par exemple, la catégorie du marché mondial est manifestement déjà présente dans le Livre I – tout comme le passage sur la monnaie mondiale (ou universelle) – au chapitre 3 ; voir aussi un chapitre entier sur les « Différences dans les taux des salaires nationaux », chapitre 22 du Livre I.
[8] Cf. Raymond Aron, Le Marxisme de Marx, Paris 2002, p. 390.
[9] Ces notes de lecture et extraits de 1868-69 et de 1878-79 se trouvent dans le IISG, Amsterdam, dans le Marx-Engels-Nachlass (MEN) sous les sigles B 102, B 101, B 105, B 106, P1, P2, P3 et B 140, B 141, B 147, B 151, B 154. Le premier grand cahier de Marx sur la monnaie et le crédit (Geldwesen, Kredit, Krisen), va de novembre 1854 jusqu’à janvier 1857. Cf. IISG, MEN, sigle B 79.
[10] Ces cahiers se trouvent dans le IISG, Amsterdam, MEN, sigle B 132, B 141, B 132b, B 134, B 144, B 135, B 137, B 138. Tous ces cahiers seront publiés dans la section IV de la MEGA.
[11] Vers la fin de ce chapitre, la monnaie de crédit dans sa forme la plus élémentaire apparaît et les futurs développements du système monétaire sont déjà annoncés. Pour tous ceux qui savent encore lire, il est bien clair dès le début que la théorie de la monnaie de Marx n’est pas une théorie métalliste ou réduite à la forme de la monnaie marchandise, mais une théorie du système monétaire moderne, comme il surgit avec le capitalisme moderne, tournant autour du système bancaire et des marchés financiers.
[12] Ce que Marx admet expressis verbis. Dès 1872, il se défend contre l’interprétation de sa critique de la légende de l’accumulation primitive, chère aux économistes classiques, qui en fait une formule générale résultant d’une philosophie de l’histoire. Malheureusement, il ne protesta pas en public, mais dans quelques lettres privées qui devaient rester inconnues longtemps après sa mort.
[13] Comme il le dit lui-même dans son manuscrit de 1875 : les lois du taux de profit sont des « lois de mouvement », de la variation de ce taux en relation avec la variation d’une série de facteurs déterminants (cf. MEGA II/14, pp. 128-29).
[14] Ces onze manuscrits de 1867-68 seront bientôt publiés dans le tome II/4.3 de la MEGA.
[15] La version française est riche en modifications, ajouts, extensions du texte allemand original dont la plupart portent sur les questions traitées aux livres suivants du Capital, mais déjà attendues par ses amis et partisans. Par exemple, Marx y annonçait pour la première fois qu’il expliquerait les relations quantitatives entre taux de plus-value et taux de profit et les relations entre prix et valeurs. En effet, en rédigeant et réécrivant cette version du Livre I en français, Marx songe aux problèmes des Livre II (et III).
[16] Surtout les parties ou passages d’histoire raisonnée qui se trouvent presque partout dans Le Capital, y compris dans les premiers chapitres du Livre I. Certains, et assez souvent des économistes, les prennent pour des « illustrations » que l’on pourrait négliger facilement. C’est une grave erreur. Pour Marx, ce sont des éléments constitutifs et indispensables de son exposition ; des éléments qui indiquent en même temps les limites de la méthode dialectique et les ouvertures vers la théorie politique, et même vers la théorie de l’Etat. Cf. sur les liens entre l’histoire, l’histoire raisonnée et la théorie générale du capitalisme chez Marx, Michael R. Krätke, Kapitalismus als Weltsystem. Allgemeine Gesetze und die Vielfalt der Kapitalismen, Beiträge zur Marx-Engels-Forschung, NF 2004.
[17] Dans les notes qu’il ajoute pour la deuxième édition du Livre I en 1872, Marx annonçe qu’il traitera de la révolution agricole en Irlande, imposée par la puissance de l’Empire Britannique en même temps que des changements dans le capitalisme agricole anglais (voir MEGA II/6, pp. 643,695). La révolution agricole industrielle aux Etats-Unis et la révolution industrielle en Russie, elle aussi dirigée et poussée en avant par l’Etat, s’inscriraient fort bien dans ce contexte de l’histoire contemporaine du capitalisme.
[18] Voir MEGA II/8, pp. 5-36.
[19] Voir la lettre de Marx à Daniel’son de 13 décembre 1881 (MEW 35, p. 246)
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