29/6/16

Marx, un spectre qui ne hante plus les Science studies? — II

Karl Marx ✆ Hosoya 
Jérôme Lamy & Arnaud Saint-Martin
Abandonné dans les années 1990, le corpus marxiste n’est plus une référence pour les Science studies, devenues discipline dominante. Une série de théories (de l’acteur-réseau à la Triple hélice, en passant par la Nouvelle production des savoirs) envisage les articulations entre sciences et politique sur le mode d’un alignement très général aux formes contemporaines de la marchandisation des connaissances. La fluidité des relations le dispute à la disparition souhaitée de l’État. Cependant, au début des années 2000, c’est un autre Marx qui resurgit : ses travaux sur l’interaction métabolique entre la nature et les activités humaines sont reconfigurés aux formes d’une sociologie résolument écologiste. Le retour du refoulé semble ne plus avoir de limites, puisque les textes des historiens marxistes d’avant le second conflit mondial, comme Edgar Zilsel, sont republiés, et que la généalogie des Science Studies n’exclut plus, dans son histoire officielle en cours de constitution, cette matrice marxiste.

Marx, un spectre qui ne hante plus les Science studies? — I

Karl Marx ✆ Hosoya 
Jérôme Lamy & Arnaud Saint-Martin
Les Science studies ont émergé comme discipline syncrétique centrée sur les savoirs dans le sillage des mouvements de contestation des années 1960 et 1970. Le marxisme est alors une référence incontournable des historiens et sociologues des sciences qui explorent - et dénoncent - les modes de domination et d’aliénation associés aux pratiques scientifiques. Les campus bouillonnants des Trente Glorieuses sont l’espace principiel d’une forme de contestation épistémologique radicale. Les sciences ne sont plus quadrillées par les questionnements philosophiques classiques mais par un retour sur les pratiques et la matérialité des formes de connaissance. Peu à peu cependant, un glissement s’opère au sein desScience studies : le référentiel politique contestataire s’estompe et la pensée marxiste, si elle est encore parfois mobilisée, est singulièrement transformée et même trahie. Dans les années 1980 et 1990, une série d’études sur les machines témoignent de cette rupture progressive avec le socle subversif du marxisme.
« Et en plus de cela, j’étudie aussi Comte en ce moment, puisque les Anglais et les Français font tant de bruit autour de ce type. Ce qui les aguiche, c’est son côté encyclopédique, la synthèse. Mais c’est lamentable comparé à Hegel […]. Et cette merde de positivisme est parue en 1832 ! » Karl Marx, Lettre à Friedrich Engels, 7 juillet 1866.