29/6/16

Marx, un spectre qui ne hante plus les Science studies? — I

Karl Marx ✆ Hosoya 
Jérôme Lamy & Arnaud Saint-Martin
Les Science studies ont émergé comme discipline syncrétique centrée sur les savoirs dans le sillage des mouvements de contestation des années 1960 et 1970. Le marxisme est alors une référence incontournable des historiens et sociologues des sciences qui explorent - et dénoncent - les modes de domination et d’aliénation associés aux pratiques scientifiques. Les campus bouillonnants des Trente Glorieuses sont l’espace principiel d’une forme de contestation épistémologique radicale. Les sciences ne sont plus quadrillées par les questionnements philosophiques classiques mais par un retour sur les pratiques et la matérialité des formes de connaissance. Peu à peu cependant, un glissement s’opère au sein desScience studies : le référentiel politique contestataire s’estompe et la pensée marxiste, si elle est encore parfois mobilisée, est singulièrement transformée et même trahie. Dans les années 1980 et 1990, une série d’études sur les machines témoignent de cette rupture progressive avec le socle subversif du marxisme.
« Et en plus de cela, j’étudie aussi Comte en ce moment, puisque les Anglais et les Français font tant de bruit autour de ce type. Ce qui les aguiche, c’est son côté encyclopédique, la synthèse. Mais c’est lamentable comparé à Hegel […]. Et cette merde de positivisme est parue en 1832 ! » Karl Marx, Lettre à Friedrich Engels, 7 juillet 1866.
1. « Marx, un spectre qui ne hante plus les Science and Technology Studies ? » Le titre de notre intervention, quoique peu original, indique assez la perspective qui sera la nôtre. Nous nous intéresserons à la rémanence de « Marx » —et tout ce qu’on peut ranger sous ce nom— dans les STS, un champ intellectuel désormais bien balisé et institué (nous partons du présupposé que les STS sont connues de nos lecteurs). C’est un terrain délimité, déjà sur le plan temporel —disons, en première caractérisation, du début des années 1970 à aujourd’hui, sans négliger pour autant des coups de sonde dans les années 1930, qui voient la constitution des disciplines de l’histoire et de la sociologie des sciences, desquelles les STS sont partiellement issues. Cela dit, les processus socio-intellectuels que nous souhaitons analyser résistent à des bornages chronologiques et disciplinaires clairs. Comment une œuvre composite comme celle de Marx, a fortiori un ensemble de doctrines figé sous le label du marxisme, inspirent-ils les développements conceptuels, les pratiques de recherche et les postures épistémologiques en STS ? Comment les chercheurs en STS se saisissent-ils de Marx, et réciproquement ?

2. Un mot sur la méthode et la perspective de recherche que nous développerons. Comment envisager les références à Marx et au marxisme ? Quel matériau utiliser ? Comment l’interpréter une fois constitué, à supposer qu’une telle opération puisse s’achever ? Déjà, il n’est pas question d’être exhaustif : non seulement cela dépasserait nos forces et les seuils critiques de l’enquête, mais c’est surtout contre-productif dans le cadre de notre approche. Il ne s’agit donc pas, comme on pourrait s’y attendre, de cartographier un ensemble extensif de prises de position ou de textes où la référence à Marx affleure d’une façon ou d’une autre, et cela par la force de méthodes positives —on pense, en particulier, à l’analyse de citations et de cocitations et, surtout, à la scientométrie la plus froidement comptable. Pas de cartographie pour une raison simple : les phénomènes que nous voulons examiner échappent à ces techniques d’objectivation. Car, on ne chasse pas un fantôme en se projetant sur les seules bases bibliométriques. Il n’est pas sûr non plus que des entretiens suffisent, quand bien même l’esprit de Marx rôderait entre deux rétrospections. L’option la plus viable, peut-être, consiste à isoler un auteur labellisé « marxiste » et repérer, dans ses textes comme dans les commentaires dont ils sont l’objet, les indices de la persistance marxiste. Nous l’avons déjà tenté1 en partant de la trajectoire socio-intellectuelle d’un « pionnier oublié des STS », Edgar Zilsel (1891-1944), synthèse incarnée de l’austro-marxisme et du positivisme logique viennois. Toutefois, on le verra dans le déroulé du plan, nous avons choisi d’isoler ici des configurations d’usage qui ne sont pas nécessairement liées, des moments qui ne sont pas toujours reconnus comme essentiels par les porte-parole des STS, et nous procédons ainsi sans plaquer sur ces réalités une quelconque chronologie ou un schéma explicatif univoque. Il s’agit, en d’autres termes, d’esquisser une sociologie politique des lectures de Marx, à partir d’un ensemble restreint de prises de position. Autre élément, plus capital peut-être : il n’est pas lieu de confondre des usages qui seraient « en fraude » avec une définition du marxisme qui aurait nos faveurs, une conception droite qu’on n’aurait d’autre horizon que d’endosser. Si nous ne cacherons pas un instant nos préférences, nos perplexités, parfois notre exaspération, nous suspendrons le jugement sur ce qui, du point de vue de notre travail d’acteurs engagés des STS —quoique à la marge— nous apparaît peu fécond, spécieux, voire à la limite de l’imposture.

3. Il nous reste encore à clarifier le titre énigmatique de l’exposé. Que veut dire au juste « un spectre de Marx » ? Et plus encore, un spectre de Marx qui ne hanterait plus les STS ? Se serait-il volatilisé après avoir obsédé, vraiment ? En disant cela, nous ne suggérons pas de constituer une sorte d’anthologie des références à Marx, une compilation érudite et gratuite où toutes les voix seraient entendues. Notre projet, à la différence, est de tester ce que Jacques Derrida a appelé, dans Spectres de Marx (1993), une « hantologie », qui consiste à pister, à sonder, à interroger et à dérouter les occurrences et les récurrences des esprits de Marx. Déconstruire, en somme, ce qui ferait la spectralité de Marx dans les STS. Le propos de Derrida, certes fort peu sociologique, non indexé à une bibliographieprécise2, consiste en une méditation patiente sur les modes actuels d’incarnation/incantation du personnage conceptuel Marx, la présence-absence d’héritages diversement internalisés du marxisme, bref sur la hantise du spectre de Marx —inutile, ici, de souligner la polysémie du mot « hanter ». Les modalités du « retour » à/de Marx, d’un revenant donc, sont multiples et parfois contrariées. L’enjeu est de découvrir ces formes de hantise et d’invocation, qui prennent le tour de la normalisation, de la dénégation, de la neutralisation, de l’euphémisation ou encore de la conjuration. Les découvrir, mais évidemment aussi, ce faisant, les situer en référence à des déterminations sociales, institutionnelles, culturelles, politico-idéologiques. Que subsiste-t-il de l’esprit du marxisme ? Par quels médiums, quelle fréquence et de quelles façons les messages para-, pseudo-, crypto-, néo-, post-, rétro-, anti- ou tout simplement marxistes sont-ils véhiculés et disséminés ? À quels intérêts correspondent-ils ? Que signifie de se revendiquer du marxisme en STS à telle ou telle période ? Des fantômes, on en croisera. Des auteurs qui ne cessent d’imprimer, des oubliés aussi qui réapparaissent à la faveur de situations critiques ou de tentatives de restauration ad hoc. La matrice marxiste de l’histoire des sciences, des années 1930 en particulier, après avoir été oblitérée dans les années 1950-1960, resurgit dans les STS à la fin des années 1960, inspirant la critique radicale des sciences. Ce sont là autant de « spectres intempestifs qu’il ne faut pas chasser mais trier, critiquer, garder près de soi et laisser revenir »3. Mais quoi qu’il en soit, les formes d’arraisonnement de la référence marxiste justifient l’exercice d’une interprétation nuancée. En effet, les métamorphoses que les usages contrastés font subir au corpus marxiste doivent être lues entre les lignes. Pas de suspense, en revanche : cherchant les indices, il nous apparaît clair que le spectre de Marx continue de hanter les STS.

4. La hantologie n’est pas notre seul fil directeur. Précisons que, pour nous, ce travail de repérage exploratoire s’insère dans un programme de recherche plus général, à l’état de friche industrieuse à dire vrai. Depuis plusieurs années, nous travaillons le problème à n-entrées de l’émergence, des modes de développement et, le cas échéant, des conditions d’affaissement des disciplines et des traditions intellectuelles4. Une partie de cet article traite d’un sujet qui nous tient à cœur, en plein dans cette problématique, à savoir l’affirmation contrariée de la sociologie historique des sciences, marxisante et au-delà, depuis en gros les années 1930. Citons, entre autres références, l’histoire matérialiste de Nikolaï Boukharine5 et Boris Hessen6, les savants socialistes et communistes britanniques du « collège visible »7, Joseph Needham, John Desmond Bernal, James Crowther, plus généralement le mouvement des « Social Relations of Science », particulièrement actif dans les années 1940-1950. Nous ne reconstituerons pas dans le détail l’histoire de cette matrice marxiste des études des sciences, cela nous emmènerait trop loin. Mais nous verrons qu’elle ne manquera pas de faire retour, notamment dans les moments où les STS s’interrogent sur leur identité disciplinaire et leurs orientations épistémologiques. Plus sociologique cette fois, quoique assez expérimentale également, la sémantique sociohistorique esquissée par Robert K. Merton constitue pour nous une source d’inspiration, comme nous aurons l’occasion de le souligner. Le concept de l’« oblitération par incorporation »8 —soit l’assimilation d’une idée, d’une méthode, de résultats, etc. dans le canon d’une discipline, qui a pour corolaire l’oubli de sa source— peut être mobilisé pour aider à comprendre la logique de certaines pratiques conceptuelles ; par exemple dans la sociology of scientific knowledge, le remplacement graduel des concepts marxistes de « détermination » et de « production » par celui, plus générique et démarxisé, de « construction ». C’est une hypothèse massive qu’on n’envisagera que de façon spéculative pour l’instant.

5. Une mise au point réflexive s’impose : c’est d’abord parce que ces questions nous concernaient comme chercheurs —respectivement historien et sociologue de formation— que nous avons été amenés peu à peu, de façon erratique, à les envisager, pour finalement les définir comme terrains d’enquête. C’est également parce que nous avons découvert les STS, sorte de no man’s land en France aujourd’hui encore, que nous avons été confrontés, entre autres thèmes lancinants, à l’injonction plus ou moins tacite au positionnement disciplinaire. Nous ne cacherons pas notre ambivalence à l’égard des STS. En même temps, c’est pour nous un champ intellectuel qui recèle des questionnements et des voies de recherche passionnantes, par moments fécondes, mais qui, nous semble-t-il, peinent à mûrir autrement que par l’inflation de « tournants » et de renversements épistémologiques dont l’originalité et la pertinence épistémologique sont souvent douteuses. Les simulacres, « consistant justement à mimer le fantôme »9, constituent un répertoire d’intervention commun dans ce champ où, au début des années 1990, s’insinuait un « air de radicalisme »10, que de rares critiques clairvoyants parvinrent alors à débusquer —avant les violents retours de bâton durant la « science war ». Surtout au regard du problème sur lequel nous travaillerons aujourd’hui, l’historiographie des STS, placée sous le signe de l’inévitable réflexivité et des facilités « métas » qu’autorisent les discours de déconstruction —qui sapent plus qu’ils ne fondent—, cette historiographie nous paraît donc viciée et ronronnante. Si nous nous efforçons d’en revisiter les poncifs et les topoï les plus éculés (il n’est qu’à lire les innombrables récits des origines des lab studies), c’est aussi dans le but de trouver de nouvelles choses à dire, quand tout semble avoir déjà été dit et qu’il ne s’agirait que de réitérer sans plus-value. En revenir à la relation compliquée que les STS entretiennent avec le marxisme est, dès lors, un prétexte pour détricoter l’historiographie indigène des STS, en d’autres termes proposer une contre-histoire. Nous ne sommes pas sans reconnaître qu’une contre-histoire est critique par intention, en l’occurrence ici parce qu’elle refuse l’opium de l’histoire mainstream des STS.

6. Dans une première partie, nous examinerons la matrice radicale des STS et le feuilleté de références scientifico-politiques qui compose l’horizon intellectuel de l’après-68. Puis, nous nous attarderons sur les articulations des Technology Studies des années 1980 et du marxisme. Nous reviendrons sur l’oubli de Marx tout au long des années 1990, avant de repérer des résurgences écologistes à distance des STS.
Les sources radicales des STS, 1970-1985
7. Les STS, de l’autre côté de la Manche surtout, se sont auto-instituées comme le versant académique d’une critique radicale des sciences (et des formes de pouvoir qu’elles génèrent) de mise en Occident dans la période post-68. Un certain nombre d’auteurs, parties prenantes des STS, souvent militants sur les campus et/ou dans les syndicats scientifiques, en appellent aux marxismes pour nourrir une contestation politique de la science en tant que pouvoir. Des textes « canoniques » de la tradition marxiste de l’histoire des sciences sont exhumés dans la période. Notre idée est simple : dans cette première partie comme dans les suivantes, l’enjeu est de comprendre, par le détour des textes, comment la critique d’inspiration marxiste s’est peu à peu déconnectée de toute charge politique subversive, pour devenir une pratique discursive de professionnels des études des sciences : bref, comment la critique des sciences est devenue académique, pour reprendre l’expression de Brian Martin 11.
Le marxisme culturel des campus
8. Les années 1960 et 1970 sont celles, sur les campus occidentaux, d’une contestation plus ou moins radicale des modes de domination sous toutes leurs formes : questions relatives au genre, critique de l’économie capitaliste, démocratisation des modalités d’expression, lutte contre l’autoritarisme nourrissent ainsi la matrice culturelle universitaire. La science, en tant qu’elle représente un pouvoir de dire le monde et d’agir sur lui, est la cible de nombreuses dénonciations étayées (notamment, mais pas seulement) à partir du corpus marxiste.

9. Particulièrement en vue, Hilary et Steven Rose, spécialistes respectivement d’économie politique et de neurobiologie, ont formé la pointe d’une lecture radicale des thèses de Marx sur la science des années 1960 aux années 1970. Ils dénoncent une pratique scientifique aliénée par et pour le capital et soutiennent que les sciences de la nature « deviennent […] plus oppressives que libératrices »12. La seule solution pour qu’advienne une réconciliation entre l’humanité et la nature (condition pour que l’histoire humaine retrouve sa place dans l’histoire de la nature) est l’avènement du communisme13. Cette visée politique ultime motive donc un réquisitoire particulièrement sévère contre la science devenue, depuis la fin du second conflit mondial, productrice de savoirs à destination de la production et du contrôle social14. La pratique savante « enrôlée » par le capital participe à ses fins (i.e. l’accumulation primitive) et se transforme en pure marchandise. Le discours marxiste sur les sciences, congruent aux débats critiques qui agitent les campus occidentaux des années 1960-1970, s’appuie également sur une recherche et une analyse des expériences communistes en cours en Union soviétique et en Chine. Erik P. Hoffmann, professeur de sciences politiques à l’université d’État de New York (Albany) dresse ainsi, en 1979, pour la revue Social Studies of Science, un bilan des recherches soviétiques sur les sciences et leurs implications sociales. Il discute notamment du concept de « Révolution Scientifico-Technique (Scientific-Technological Revolution [STR]) défini comme la transformation fondamentale des forces scientifico-techniques et humaines de la société. Dans la lignée de Marx, l’objectif est de penser la transformation de la science comme force productrice et d’intégrer les procès scientifiques dans la production. Hoffmann signale néanmoins que les études menées sur ces thèmes sont essentiellement théoriques et que peu de données empiriques viennent les soutenir. Il n’en reste pas moins une visée politique concrète pour lesleaders soviétiques, qui est d’analyser et de performer les médiations entre pratiques du progrès social et pratiques techno-scientifiques15. Le ton « soviet » de l’article ne laisse pas d’intriguer (surtout en 1979), mais témoigne surtout des attentes critiques qui circulent au sein des universités occidentales. Le maoïsme, dont on sait en France à quel point il a subjugué l’intelligentsia gauchiste post-68, sert également de point d’appui pour questionner des modèles alternatifs de développement scientifique. Susan B. Rifkin, membre de la Science Policy Research Unit de l’université du Sussex, rend compte en octobre 1972 d’un workshop organisé dans son laboratoire sur le thème « Science et technologie dans le développement chinois ». Les participants ont questionné non seulement la science chinoise, en tant qu’entité englobante à partir de laquelle s’ordonnent les problématiques éducatives, technologiques et commerciales, mais également la pluralité des points de vue (i.e. la politique scientifique chinoise vue par les Chinois eux-mêmes vs. la politique scientifique chinoise appréciée par les Occidentaux). Rifkin souligne à la fois l’arrière-plan tiers-mondiste des réflexions ébauchées lors du workshop et la primauté des idéologies marxistes maoïstes pour penser la notion de développement16. Cependant, si les questionnements de Marx irriguent largement le nouvel agenda critique sur les sciences, ils ne constituent pas —loin s’en faut— l’unique matrice pour penser et contester les formes de domination scientifique. La réflexion luddite fait également son retour à travers la discussion d’auteurs comme Jacques Ellul. Stephen Cotgrove, sociologue à l’université de Bath, produit ainsi une série de « thèses » sur la technique et ses implications sociales. Sa réflexion s’élabore en premier lieu à partir du concept très marxien d’aliénation : contestant l’idée que le travail puisse être la seule source de réalisation de soi, il envisage les activités non productives comme espace possible de satisfaction et d’épanouissement. La « société des artistes » qu’il suggère oblige à penser les machines et la technologie, le consumérisme et le fétichisme marchand comme des problématiques ontologiques17. Cotgrove poursuit sa réflexion sur la technique et la rationalité dans un texte de Social Studies of Science (paru en 1975), qui articule les propositions de Weber à celles d’Ellul. Au premier, il emprunte la définition de la rationalisation comme principe de systématisation et de routinisation des activités humaines ; aux sources du second, il puise une critique radicale de la société technologique comme menace permanente sur les valeurs humaines (liberté, choix, jugement). C’est moins la rationalité qui est en cause que son instrumentalisation systématique. Précisément, l’incorporation des techniques à l’économie politique revient à livrer aux formes instrumentées de la raison le devenir humain. La question n’est plus celle d’une finalité commune mais celle des moyens (techniques) à mettre en œuvre. La technostructure et la technocratie qui la dirige privent les politiciens et le peuple des instruments légitimes de gouvernement18. La critique luddite de Cotgrove se positionne à distance du marxisme (sur lequel pèsent des soupçons de prométhéisme aveugle), mais participe d’une culture contestataire plus générale.

10. Dans un paysage universitaire radicalisé, les positions politiques plus incertaines font l’objet de remises en question sévères. Ainsi, Sal Restivo discute longuement, dans la lettre de la Social Studies of Science Society de l’hiver 1984, les positions en lien avec la thèse dite de la « finalisation de la science », du groupe allemand des « Sciences alternatives » —l’école de Starnberg, au sein de laquelle se trouvent notamment Gernot Böhme et Wolfgang Krohn19. L’objectif de ce cluster informel est de questionner la science (dans une acception non positiviste) en lien avec la crise écologique, mais surtout de théoriser, à des fins pratiques, la transition de la science fondamentale en contexte d’application (éventuelle), laquelle rencontrerait des intérêts « externes » (social, économique, politique) et s’exposerait possiblement à une planification. La démarche proposée est une sorte de conciliation intégratrice d’une écologie politique consciente des enjeux d’une construction sociale de l’environnement. Adossés à la notion kuhnienne de paradigme, les « finalistes » n’ont, selon Sal Restivo, rien à dire sur le relativisme ni sur les structures instituées. Leur cool radicalism (fort peu sociologique au demeurant) ne serait donc d’aucun secours pour penser les transformations de la société capitaliste contemporaine et ses conséquences écologiques20.

11. Dans la gamme des positions critiques qui s’étirent sur les campus, l’anarchisme n’est certainement pas en reste. On connaît suffisamment les thèses de Paul Feyerabend (qui soutient que « tout est bon » pour comprendre l’activité scientifique) pour qu’il ne soit pas utile d’y revenir21. Theodore Roszak, historien et sociologue à l’université d’État de Californie, s’est rendu célèbre en popularisant la notion de « contre-culture ». Il a également proposé une série de méditations crépusculaires sur l’incapacité de la science à produire autre chose que des systèmes de manipulation de l’information sur la nature22.

12. Cessons provisoirement l’inventaire. Nous avons décrit ici des pratiques discursives qui interrogent les modalités de domination induites par les pratiques scientifiques. Des expériences pratiques comme les boutiques de sciences nées aux Pays-Bas ont donné corps à cette matrice critique en mettant en contact les chercheurs et le grand public, dans un cadre non marchand, pour que s’élaborent des perspectives politiques nouvelles sur les recherches scientifiques et technologiques23. On pourrait mentionner également les développements bouillonnants de la « critique radicale » de la science en France, entre Vincennes et Jussieu, mouvement dont certains acteurs clés sont très écoutés (Jean-Marc Lévy-Leblond, en figure de proue24) —nous renvoyons à la thèse récente de Renaud Debailly25 et aux travaux de Michel Dubois26, qui mettent en évidence les liens entre la « critique radicale » et l’émergence des STS.
Un fantôme de Marx chez Robert K. Merton ?
13. Prenons un cas édifiant du genre de procès qui nous intéresse. Soit Robert K Merton, « père » de la sociologie des sciences. Pour les STS, c’est, tour à tour, un repoussoir à dépasser, un levier épistémologique pour s’autopercevoir comme paradigme alternatif, le nom propre d’une tradition intellectuelle désormais respectable, quoique ou parce que « classique ». Tout le monde n’a pas lu la thèse de Merton sur l’essor de la science en Angleterre au xviie siècle27. Peu de monde, en vérité. À la lire de près, on perçoit combien la référence marxiste est structurante. Si l’on ne retient au mieux que le prolongement de la thèse wébérienne sur l’adéquation entre l’éthique puritaine et la culture de la science –—rois chapitres sur les onze que compte le mémoire—, il est tout autant influencé par les historiens marxistes, notamment Hessen, dont la « méthode » matérialiste est réajustée à ses fins. Son travail peut être lu dans une certaine mesure comme un amendement constructif à la thèse de Hessen. Lui aussi met au jour une relation entre les intérêts spécifiques de la bourgeoisie commerçante et le choix de problèmes technologiques prioritaires, en même temps qu’il met à distance l’explication matérialiste « vulgaire », postulant un rapport de causalité univoque entre l’une et l’autre de ces entités pour lui substituer un schéma plus complexe, dans lequel intervient une multiplicité de facteurs dont il convient de mesurer le poids relatif. Réédité en 1970, révisé constamment au gré des controverses qu’il ne manque pas d’animer, le schéma explicatif de Science, Technology and Society —« STS », n’est-il pas ?— est marxo-compatible. Parmi les lignes de force du programme en devenir de Merton, le postulat de différenciation cognitive et institutionnelle de la science aura des conséquences immenses sur l’orientation épistémologique de la sociologie des sciences. Dans Science, Technology and Society, Merton remonte à l’origine du processus au terme duquel d’une part l’institution scientifique est relativement autonome et prééminente au sein de la société et d’autre part, se justifie le rôle social de l’homme de science. Ce faisant, il prend acte d’une partition entre les facteurs « intrinsèques » (cognitifs) et les facteurs non scientifiques (sociaux, économiques, religieux, etc.). Pour des générations de sociologues et d’historiens, c’est un point de départ et de conclusion de l’analyse. Merton laisse à d’autres spécialistes jugés plus qualifiés – les philosophes des sciences et les épistémologues – la tâche de rendre raison des progrès dans l’élaboration des « contenus ». Ainsi apparaît dans les années 1930, avec Hessen et de façon plus franche encore avec la « Merton thesis », l’opposition cardinale entre l’« internalisme » et l’« externalisme »28.

14. Il faut noter aussi le lien explicitement fait par Merton avec le mouvement anglais des « Social Relations of Science ». Des indices des sympathies marxistes du jeune sociologue s’accumulent : il n’est qu’à considérer la notion de « communism », pivot normatif de l’ethos de la science formulé initialement en 1938 puis en 1942 dans deux articles fondateurs, « Science and the Social Order »29 et « A Note on Science and Democracy »30. Le communisme (communism en un sens « non technique et étendu », avertit Merton) précise que les connaissances constituent un patrimoine d’usage partagé (et à partager), un bien public accessible à tous, à l’exemple du système cosmologique éponyme de Copernic. Le scientifique contribue à l’accroissement de cet héritage de commons, en échange de quoi il est reconnu et estimé par ses pairs. Un élève de Merton, Bernard Barber, choisira de rectifier le tir en 1952 : la notion, supposée plus neutre, de « communalisme », donne des gages libéraux au temps du maccarthysme31. Cependant, à la fin des années 1930, qui voient l’accession au pouvoir des totalitarismes en Europe —une hantise pour Merton, fils d’immigrés juifs ukrainiens, socialistes et anarchistes—, le« communism » n’est pas un vain mot sous la plume du sociologue historien de Harvard. L’idée est empruntée à John D. Bernal qui, dans The Social Function of Science, paru en 193932, envisage la place de la science dans la société dans des termes marxistes : elle est communiste ou elle n’est pas. Les deux articles, que les manuels ont désindexés de ce contexte idéologique, constituent une réponse « libérale », non marxiste, au débat sur la vocation sociale-démocratique et la « gouvernance » de la science, débat animant à l’époque la gauche intellectuelle en Angleterre et aux États-Unis. On pourrait continuer encore l’herméneutique de la présence subtile de Marx chez Merton. Cela dépasse d’ailleurs ses seules contributions à la sociologie des sciences. Dans l’ouvrage qu’il lui a consacré, Charles Crothers réserve un chapitre entier, « Merton and the ghost of Marx », à cette question épineuse33. De nombreux exégètes également, parmi lesquels Arthur Stinchcombe ou Alvin Gouldner, et Merton lui-même un peu plus tard dans différents entretiens, ont souligné la parenté entre la pensée marxiste et l’analyse fonctionnelle structurale, déployée dans les études de cas de sociologie des sciences. Autre élément : pour ce qui concerne la sociologie de la connaissance et la sociologie de la science, a fortiori la sociologie de la connaissance scientifique, Merton a souligné à de nombreuses reprises —par exemple, dans son Episodic Memoir de 197734— que Marx est un fondateur à ne pas négliger. Tout comme le marxisme compliqué et presque clandestin de Merton.
Marx, référence séminale… jusqu’à l’oubli ?
15. Une lecture attentive des principaux textes STS de la fin des années 1970 et du début des années 1980 laisse deviner une persistance des critiques marxistes post-68. La référence semble à ce point incontournable que même Bruno Latour (qu’on ne soupçonnera pas d’être un marxiste échevelé) et Steven Woolgar citent dans Laboratory Life, ouvrage emblématique et générique des STS, le texte de Marx sur Feuerbach,Conception matérialiste contre conception idéaliste, pour insister sur le caractère pratique des modalités d’objectivation35. La traduction française de 1988 évince, purement et simplement, la citation de Marx – la période du « jeune Latour » de San Diego semble révolue36. Les deux auteurs évoquent également Le Capital. Ils indiquent clairement que la notion de « cycle de crédibilité », qu’ils ébauchent pour justifier la circulation des écrits au sein et en dehors d’un laboratoire, trouve une justification dans le passage, chez Marx, de la valeur d’usage à la valeur d’échange37. La version française de l’ouvrage, parue en 1988, comporte toujours cette remarque sur la similitude des deux formes de conversions sociales, mais la référence au Capital a disparu. Signe des temps, le marxisme ne fait plus recette à l’apogée des STS et il n’est plus besoin d’y faire référence… Peut-être même le spectre de Marx est-il devenu encombrant quand la radicalité s’est transformée en une simple posture dans un mouvement en passe de devenir maintream.

16. D’autres chercheurs éprouvent néanmoins le besoin de revenir aux sources radicales des science studies. C’est le cas de Simon Schaffer, qui publie en 1984 un article intitulé « Newton at the crossroads » dans la revue Radical Philosophy38. Le clin d’œil appuyé au congrès d’histoire des sciences tenu à Londres en 1931 (dont le texte avait été rassemblé sous le titre « Science at the crossroads »39) indique assez l’ambition de l’historien anglais : s’inscrire dans une lignée historiographique marxiste en même temps que d’en justifier l’importance. Le texte de Schaffer est une longue description des arguments de Boris Hessen. L’historien soviétique avait (dans son texte fameux « Les racines sociales et économiques des Principia de Newton »40) tenté de proposer une interprétation marxiste des Principia de Newton, qui reflèteraient les structures sociales de l’Angleterre du xviiiesiècle. Schaffer dégage deux points d’appuis dans le texte de Hessen pour densifier le socle heuristique des STS, alors en plein essor. D’une part, il s’agit de reconnaître l’inanité de la notion de génie scientifique (de Newton), qui participe à la décontextualisation des pratiques savantes et à leur désindexation des conditions sociales, économiques, politiques et culturelles de leur mise en œuvre41. D’autre part Hessen, d’une manière certes un peu rugueuse, a posé les bases d’une histoire sociale des sciences qui prenne au sérieux les rapports politiques toujours en jeu dans les façons de connaître42, qu’une histoire des sciences comtienne continuait de dénier. Surtout, selon Schaffer, Hessen ébauche le thème de la « construction sociale des sciences »43. Ainsi le concept marxiste de ladétermination sociale de la connaissance annonce-t-il, en substance, laconstruction sociale des sciences, qui constitue l’alpha et l’oméga des STS.

17. Dans cette veine, l’ouvrage le plus référencé en histoire et sociologie des sciences, Léviathan et la pompe à air, paru en 1985, ne fait néanmoins pas référence à Marx44. Pourtant, dans la préface de la récente réédition, les deux auteurs, Steven Shapin et Simon Schaffer, reconnaissent que la vulgate marxiste constituait bien la « lingua franca » des historiens britanniques, induisant non pas une orientation politique, mais les mêmes sensibilités méthodologiques et conceptuelles45Léviathan et la pompe à air, parce qu’il se propose de dégager les implicites politiques d’une démarche scientifique, s’inscrit dans les grandes lignes d’une perspective matérialiste de l’histoire des sciences (même si la plasticité du texte a autorisé des réceptions contradictoires et incommensurables, on songe ici aux propos laudateurs de Bourdieu sur le texte dans Science de la science et réflexivité, et aux interprétations que Latour introduit sur le « Grand Partage » à partir de Léviathan…). Pour autant, l’allusion marxiste et la labellisation latente ne trompent pas les marxistes revendiqués. Christopher Hill, dans sa recension de l’ouvrage pour Social Studies of Science, lui reproche finalement de ne pas aller assez loin dans l’exploration des intrications politiques de la science en dénonçant les forces de domination concomitantes dans la science et le capitalisme46.

18. Pourtant, le marxisme semble à ce point incontournable dans les STS naissantes que Sal Restivo, dans le bilan qu’il dresse de la sociologie des sciences, n’hésite pas à identifier des Marxist Studies of Science (dans lesquelles il place ses propres recherches) au côté des paradigmes mertonien et kuhnien, ainsi que des laboratory studies47. En 1987 encore, la revue Science in Context, dans son tout premier numéro, republie un texte de l’historien marxiste des sciences, Franz Borkenau, marque évidente de sympathie critique48. Ainsi, c’est un spectre consistant qui circule dans le référentiel STS de la fin des années 1970 au début des années 1980. La puissance subversive d’une philosophie politique posant la praxis comme première dans l’appréhension et la transformation du monde s’articule, sans trop de problème, aux discours anti-institutionnels dont les STS sont porteuses à leur début. Prendre la pratique comme point de départ des investigations est le meilleur moyen de saisir, en actes, les jeux de pouvoir à l’œuvre dans l’ordre des savoirs. Alors qu’elles sont encore un courant émergeant et qu’elles s’épanouissent dans le climat contestataire post-68, la référence à Marx sert leurs intérêts épistémiques (objectifs). À partir du milieu des années 1980 et jusqu’à la fin des années 1990, un glissement s’opère qui fait des STS non plus une discipline revendiquant sa singularité critique, mais un courant (se voulant) dominant (à défaut d’être hégémonique). La spectralité marxiste, parce qu’elle s’offre en rémanence génésique, embarrasse une historiographie engagée dans un processus d’autolégitimation.
Marx et les machines
19. Du milieu des années 1980 à l’aube des années 1990, Marx suscite encore un intérêt dans le champ des STS. Cette fois, c’est le rapport à la technique et aux machines qui est particulièrement questionné. La science ne sert plus que d’arrière-fond matriciel à une série d’interrogations sur le déterminisme technologique couramment prêté au marxisme. Trois textes articulent, en des termes différents, cette problématique des Technology Studies : Donald MacKenzie reprend le thème marxiste de la détermination sociale des technologies (social shaping of technology49), dans un article deTechnology and Culture, paru en 1984 ; Bruce Bimber détaille, en mai 1990, dans Social Studies of Science50, les différentes facettes du déterminisme technologique ; enfin Paul S. Andler organise, dans un article de Technology and Culture d’octobre 199051, une problématique iconoclaste au sujet de Marx, des machines et de la notion de compétence. Si ces textes sont d’abord des exégèses fines des écrits marxistes, ils témoignent tout à la fois de la continuité des questionnements technologiques puisés aux sources du marxisme et des glissements interprétatifs et politiques qui s’opèrent alors dans le champ des STS. Les Technology Studies sont alors la pointe avancée d’un renversement idéologique qui délaisse la dimension critique des études sociales sur les savoirs pour lui substituer une neutralité, qu’on pourrait trouver feinte ou fausse, dans le « suivi » des acteurs, des objets et de leurs trajectoires respectives.

20. Donald MacKenzie, déjà l’auteur de travaux sociohistoriques d’inspiration marxiste sur la construction des statistiques en Grande-Bretagne, se positionne dans le débat ancien du déterminisme technologique chez Marx en avançant l’idée que nombre de marxistes et de non-marxistes sont loin d’être catégoriques sur le lien évident qui relierait le premier au second52. Le nœud interprétatif, selon MacKenzie, se situe d’abord dans la notion de « force de production » perçue comme strictement équivalente à la technologie et indépendante des relations de production53. Lukács avait déjà, en 1966, postulé la technique comme un élément parmi d’autres des forces productives. La force de travail, parce qu’elle suppose une capacité des acteurs à influer sur le cours de leur propre vie, réduit la part machinique dans ce qui pourrait être un déterminisme marxiste artefactuel. MacKenzie rappelle donc, en filigrane, qu’une perspective hétérodoxe sur la place des techniques dans le corpus laissé par Marx ouvre la possibilité d’une redéfinition du syntagme déterminisme technologique, même si l’exercice s’apparente d’abord à une interprétation minutieuse54. MacKenzie s’appuie sur l’articulation que propose Marx dans Le Capital entre le procès de travail et le procès de valorisation. Cette dernière s’impose comme « la forme sociale du procès de production spécifique du capitalisme »55. Le processus de valorisation n’est donc pas universel et doit être lu comme une caractéristique saillante de la société capitaliste.

21. À ce point précis, l’histoire des machines chez Marx vient densifier ses propositions sur l’articulation entre la technique et l’activité humaine. Le capitalisme émerge non parce qu’une technologie nouvelle contraint les structures sociales au remaniement, mais parce que les relations sociales se transforment : les artisans sont obligés de devenir employés, abandonnant très concrètement les moyens de contrôle de leur activité56. Cette « subordination formelle du travail au capital » est en fait un transfert incomplet et peu effectif du processus de valorisation. Les résistances sont nombreuses et contraignent le capitalisme à négocier la voie d’une co-opération simple (i.e. faire s’accorder dans un même plan capitalistes et travailleurs). MacKenzie remarque que la co-opération, comme catégorie d’analyse chez Marx, est l’outil heuristique permettant de décrire, ensuite, la division du travail dans les manufactures et la dépossession intellectuelle des moyens de production. Cette « préhistoire des machines », qui donne à voir le grand partage capitaliste entre différents types de pratiques (i.e. de moyens d’agir sur le monde) laisse peu de place aux formes de résistances (MacKenzie signale seulement la compétence comme ressource disponible pour contrer la division du travail). L’« entrée des machines » renforce le processus de domination inchoatif à l’ère précédente. Marx définit la machine comme le mécanisme qui, « après avoir été mis en mouvement, accomplit avec ses outils les mêmes opérations que le travailleur réalisait auparavant avec des outils similaires »57. Parce qu’elle n’offre aucune prisesociale de contestation, la machine érode la capacité de résistance des travailleurs. Dans le rapport de force que le capital entretient avec les ouvriers, la technique est un puissant levier d’aliénation qui déréalise la relation au travail et médiatise la plus-value. MacKenzie note alors que « la lutte des classes propre au capitalisme peut prendre la forme d’une lutte entre le travailleur et la machine »58. C’est à ce point précis du développement capitaliste que la connexion peut s’établir entre « le conflit de classe et l’innovation technique », en particulier en Angleterre59. De ce point de vue, le luddisme n’est pas une réaction irrationnelle, mais une tentative pour les travailleurs de renverser le rapport de force et de briser, au sens propre comme au sens figuré, la machinerie capitaliste les dépossédant des points d’appuis effectifs sur le travail60.

22. Après avoir brossé à grands traits cette théorie historique de la technologie, MacKenzie envisage les compléments à lui apporter. Son analyse se focalise sur les notions de compétence et de contrôle, qu’il envisage dans le rapport à la valorisation comme un moyen : la technologie, parce qu’elle ménage dans le « procès de travail des nouvelles qualifications, offre des possibilités de reprendre l’avantage sur le capital en maîtrisant tout ou partie de certaines phases du processus de valorisation »61. MacKenzie pointe enfin un dernier point aveugle duCapital : « Il n’y a rien dans la théorie de Marx qui suggère que le capital cherchera un maximum de contrôle sur le procès de travail comme un but en lui-même, ou que les capitalistes préfèreront nécessairement les formes directes de contrôle plutôt que les formes indirectes »62. Il existe donc des expériences « machinistes » qui confèrent un certain degré de légitimité et d’assurance rendant inopérante la force capitaliste. La division du travail, à l’intérieur du groupe des travailleurs (notamment entre hommes et femmes), repositionne la technologie en zone clé pour l’activation des formes de domination63. La technologie est clairement, pour MacKenzie, un enjeu de pouvoir travaillé par les questions du genre : les formes d’aliénation ne sont pas simplement verticales entre le capital et les travailleurs, elles opèrent également horizontalement entre les travailleurs, dans les inégalités masculin/féminin que secrète la société dans son ensemble. En conclusion de son analyse, MacKenzie pose la question du lien entre « la politique du design et l’histoire de la technologie »64. Inclus dans le processus de valorisation, le « design » cristallise et matérialise des rapports sociaux. Les conditions contingentes de son choix révèlent un état donné des relations de classe. MacKenzie reconnaît qu’il est toutefois difficile de se centrer sur la contingence car elle appelle inéluctablement des réponses de type « nécessité technique »65.

23. La réflexion engagée par MacKenzie sur la place des machines dans l’histoire technologique que Marx a élaborée tente de relier entre eux des thèmes en passe de devenir classiques (en 1984) des STS : le rapport du social à l’artefactuel, les relations de genre, la place du contingent dans les processus sociotechniques. L’article n’est pas qu’une glose pointilleuse sur les écrits de Marx, il s’agit de faire dialoguer l’auteur du Capital avec lesTechnology Studies et de prendre au sérieux le corpus marxiste. On notera cependant que l’analyse de MacKenzie est, en grande partie, centrée sur une définition très générale des technologies (sans qu’il soit précisé exactement ce qu’elles ne recouvrent pas) et que les grandes options théoriques des STS ne sont pas convoquées (strong programme, Acting-Network-Theory [ANT]…). Ainsi Marx semble-t-il appelé à dialoguer à la marge avec le courant constructiviste.

24. Six ans après MacKenzie, Bruce Bimber, alors doctorant au MIT (et actuellement professeur de sciences politiques à l’université de Californie à Santa Barbara), publie dans Social Studies of Science un court texte sur Marx et les trois facettes du déterminisme technologique. Reprenant là où MacKenzie l’avait laissée la réflexion sur la place du contingent dans l’ordre artefactuel des pratiques, Bimber entreprend de situer Marx dans les trois formes de déterminisme technologique qu’il distingue. La première, qu’il baptise « Norm-Based Accounts » (NBA) s’origine dans la conception habermassienne de l’éthique. Il s’agit de repérer les moyens de contrôle sur les normes des pratiques du progrès technique66. L’approche morale suppose un déterminisme politique qui valide une certaine manière d’agir sur le monde. Le deuxième déterminisme technologique que Bimber nomme« Logical Sequence Account » (LSA) a d’abord été développé théoriquement par G.A. Cohen. Les machines sont ici des acteurs à part entière de l’histoire, et la technologie vient cadrer le monde social. Les transformations culturelles sont des conséquences des processus artefactuels qui surgissent naturellement67. Les technologies sont ici totalement indépendantes des conditions sociales dans lesquelles elles émergent. La troisième approche du déterminisme technologique, « Unintended Consequences Account » (UCA), envisage les conséquences des productions technologiques dans leur imprévisibilité la plus absolue. Si l’anticipation n’est pas possible, alors la technologie est « partiellement autonome »68et ne dépend pas de l’action humaine. Ces trois positions sont indifféremment appelées « déterminisme technologique », alors qu’elles recouvrent des positions philosophiques et politiques fort différentes. Pour positionner Marx dans cette constellation conceptuelle très éclatée, Bimber reprend à nouveaux frais la question des forces productives et remarque que les processus économiques contingentent fortement d’autres secteurs de la société. Le « procès de travail » amalgame, chez Marx, trois facteurs : l’activité en elle-même, le sujet au travail et les instruments de travail. Une certaine vulgate marxiste n’envisage le déterminisme technologique que comme un formatage global du social par la technique et ses contraintes. Bimber conteste cette approche69 et soutient, au contraire, que la technologie est un facteur social activé à un moment donné de l’histoire humaine mais qu’il ne constitue pas une cause première du processus de travail. Les sciences et la technologie sont des conditions pour l’émergence d’une accumulation potentielle du capital, mais elles n’en restent pas moins contingentes70. Le changement technologique n’est pas princeps dans la phase féodale de l’histoire et il n’est déterminant dans la phase capitaliste que parce qu’il est disponible pour la classe possédante (i.e. la bourgeoisie). Dès lors, Bimber soutient que la place de la technologie dans l’œuvre de Marx n’est pas celle d’un déterminisme qui correspondrait aux approches qu’il a précédemment définies (NBA, LSA, USA)71. On mesure ici le travail de desserrement des exégèses auquel s’astreint Bimber pour faire coïncider les perspectives marxistes avec les propositions principielles du STS (i.e. la place plus grande accordée aux acteurs dans l’ordre des pratiques) : l’histoire technologique construite à partir de cette lecture de Marx se construit à partir d’un lissage (voire d’une disparition) des structures sociales (i.e. la lutte des classes est corrélative à la montée en puissance de la bourgeoisie qui s’appuie sur une technologie disponible et dont elle seule semble avoir l’usage). D’une certaine manière, les concepts marxistes sont tendus à l’extrême pour produire des effets d’adéquationentre Marx et les grandes lignes de STS. On remarquera au passage que la charge politique potentielle du marxisme est totalement absente du texte de Bimber qui se concentre sur le canon marxien et s’en tient à une lecture endogène de Marx.

25. Paul S. Adler, professeur de management à l’université de Californie du Sud, signe en 1990 un article intitulé « Marx, Machines, and Skill » dans la revue Technology and Culture, emblématique des STS. La notion centrale du texte est celle de compétence/qualification (skill), et la problématique vise à saisir, dans le corpus marxiste, les éléments de son articulation à la technologie et à l’usage des machines. Adler prend clairement le parti d’un Marx apolitique en optant pour une lecture « évolutionniste » de l’auteur duCapital72. La déqualification introduite par les machines n’est donc que passagère, la tendance générale dans le capitalisme moderne restant l’accroissement global des compétences pour les travailleurs. Il s’agit, par cette interprétation libre, de ne pas laisser Marx aux néomarxistes73 et, disons-le, de démarxiser Marx. Adler reproche à Marx d’employer parfois un ton polémique qui « obscurcit » la portée théorique de ses positions évolutionnistes74. Surtout, il envisage l’évolution historique dans la perspective d’une absence de révolution : « Est-ce que Marx croyait que sans un changement de mode de production le travail deviendrait progressivement déqualifié ? »75. Si l’éducation des travailleurs est bien une concession du capitalisme, elle reste insuffisante pour Marx et ne fournit pas les ressources nécessaires à une émancipation des ouvriers. L’expérience industrielle doit permettre la constitution d’une culture pour l’action politique et, dans une sorte de renversement (dont on ne sait s’il est réellement provocateur), Adler soutient que la logique historique d’une société socialiste est la déqualification générale des travailleurs ainsi maintenus dans un état d’anomie politique76. Dans cette perspective, le déterminisme technologique de Marx est essentiellement un déterminisme économique (dans les relations de production) et/ou politique77. Adler fait donc de la technologie une variable dans l’ordre social, capable de reconfigurer les atteintes en termes d’organisation du travail et de qualification. Cependant, il reste à régler la question de la division du travail, qui désagrège les compétences et érode la capacité de structuration politique des travailleurs. La puissance émancipatrice de l’éducation vient, pour Adler, contrebalancer le délitement des qualifications et enraye la perte de capacité des ouvriers. L’exégèse des textes de Marx prend ici appui sur une distinction entre les processus de court terme (dans lesquels les déqualifications sont possibles) et les processus de long terme (qui laissent ouvertes, dans la voie du capitalisme, les opportunités d’accroissement des connaissances pour les travailleurs). Cette lecture capitalistico-compatible de Marx doit intégrer la question des technologies aliénantes. Adler résout cette contradiction en distinguant le niveau macro, qui se traduit par une ascension continue des productions et une recombinaison permanente des industries, et le niveau micro, qui laisse entrevoir une socialisation par la coopération78. La spécialisation des agents vient faire coïncider la reconduction permanente de l’innovation industrielle et le besoin d’expertise requalifiant. Le travailleur dispose alors d’un moyen de contrôle sur ses propres activités et accroît ainsi son potentiel de compétence79.

26. On ne peut plus parler de torsions faites au corpus marxien. La rupture est ici clairement consommée entre le projet politico-théorique de Marx et cette lecture qui désubstantialise la charge subversive de ses écrits. Le déterminisme technique, parce qu’il offre une voie d’articulation commode aux questions traditionnelles des STS (i.e. la configuration sciences/société, la place des techniques dans la pratique savante et quotidienne) permet d’éclairer les glissements à l’œuvre dans les années 1980. Plutôt que de rejeter le marxisme et la critique capitaliste qu’il porte en lui, certains auteurs comme Adler tentent de sauver le label « Marx » (preuve historique de la radicalité STS princeps) au prix d’une herméneutique contorsionniste faisant dire à Marx le contraire de ce qu’il dit. En supposant que la force polémique de Marx dénature son propos, toutes les interprétations (même et surtout les plus contradictoires) sont dès lors possibles. Entre MacKenzie et Adler, ce n’est pas seulement un renversement de problématique dont il est question. C’est plus profondément une rupture politique des STS avec les ambitions critiques de leurs débuts.
Notes
1 Jérôme Lamy, Arnaud Saint-Martin, « Edgar Zilsel, le chaînon manquant des STS ? », Colloque international Les productions de l’objectivité. L’histoire sociale des sciences au prisme du marxisme, Collège international de philosophie, université Paris I, 12-13 mai 2012.
2 À l’exception d’ouvrages à valence symptômale, La Fin de l’histoire (Paris, Flammarion, 2009) de Francis Fukuyama par exemple.
3
 Jacques Derrida, Spectres de Marx, Paris, Galilée, 1993, p. 144.
4
 Jérôme Lamy, Arnaud Saint-Martin, « Un dilemme pratique : sociologie et histoire au prisme des STS », Carnet de bord de sciences humaines, n° 14, 2007, p. 52-64. Jérôme Lamy, Arnaud Saint-Martin, « La frontière comme enjeu. LesAnnales et la sociologie », Revue de synthèse, vol. 131, n° 1, mars 2010, p. 97-127.
5
 Nikolaï Boukharine, La théorie du matérialisme historique : manuel populaire de sociologie marxiste, Paris, Anthropos, 1969.
6
 Boris Hessen, Les racines sociales et économiques des Principia de Newton, Paris, Vuibert, 2006.
7
 Gary Werskey, The Visible College. The Collective Biography of British Scientific Socialists of the 1930s, New York, Holt, Rinehart and Winston, 1978.
8
 Robert K. Merton, Social Theory and Social Structure, New York, The Free Press, 1968.
9
 Jacques Derrida, op. cit., p. 181.
10
 Yves Gingras, « Un air de radicalisme. Sur quelques tendances récentes en sociologie de la science et de la technologie », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 108, 1995, p. 3-18.
11
 Brian Martin, « The critique of science becomes academic », Science, Technology & Human Values, vol. 18, n° 2, 1993, p. 247-259.
12
 Hilary Rose, Steven Rose, « L’héritage problématique : Marx, Engels et les sciences de la nature », in Hilary Rose, Steven Rose, Jalna Hanmer, Hans-Magnus Enzensberger, Robert Franck, Jean-Marc Lévy-Leblond, Liliane, Stéhelin, L’idéologie de/dans les sciences, Paris, Le Seuil, 1977, p. 29.
13
 Ibidem, p. 35.
14
 Hilary Rose, Steven Rose, « L’enrôlement de la science », in Hilary Rose, Steven Rose, Jalna Hanmer, Hans-Magnus Enzensberger, Robert Franck, Jean-Marc Lévy-Leblond, Liliane, Stéhelin, L’idéologie de/dans les sciences, Paris, Le Seuil, 1977, p. 38. Plus globalement sur les propositions d’Hilary et Steven Rose, voirScience and Society, Harmondsworth, Penguin Books.
15
 Erik P. Hoffmann, « Contemporary Soviet Theories of Scientific, Technological and Social Change », Social Studies of Science, vol. 9, n° 1, 1979, p. 101-113
16
 Susan B. Rifkin, « On “contradictions” among academics », Science Studies, vol. 2, n° 4, 1972, p. 395-399
17
 Stehgen Cotgrove, « Alienation and automation », The British Journal of Sociology, vol. 23, n° 4, 1972, p. 437-451
18
 Stephen Cotgrove, « Technology, Rationality and Domination », Social Studies of Science, vol. 5, n° 1, 1975, p. 55-78.
19
 Voir : Gernot Böhme, Wolfgang Van Den Daele, Wolfgang Krohn, « Finalization in Science », Social Science Information, vol. 15, 1976, p. 307-330 ; Ron Johnston, « Finalization : A New Start for Science Policy », Social Science Information, vol. 15, 1976, p. 331-336.
20
 Sal Restivo, « Finalization : Cool Radicalism Versus the Republic of Science »,4S Review, vol. 2, n° 4, 1984, p. 14-20.
21
 Paul Feyerabend, Contre la méthode. Essai d’une théorie anarchiste de la connaissance, Paris, Le Seuil, 1988 ; Paul Feyerabend, Adieu la raison, Paris, Le Seuil, 1988.
22
 Theodore Roszak, « The Monster and the Titan : Science, Knowledge and Gnosis », Daedalus, vol. 103, n° 3, 1974, p. 17-32.
23
 David Edgerton, « Science and Politics », Economic and Political Weekly, vol. 16, n° 51, 1981, p. 2079-2081
24
 Alain Jaubert, Jean-Marc Lévy-Leblond, (Auto)critique de la science, Paris, Le Seuil, 1973.
25
 Renaud Debailly, La critique radicale de la science en France. Origines et incidences de la politisation de la science en France depuis mai 1968, Thèse de doctorat en sociologie, université Paris IV, 2010.
26
 Michel Dubois, La nouvelle sociologie des sciences, Paris, Presses universitaires de France, 2001.
27
 Robert K. Merton, « Science, Technology and Society in Seventeenth Century England », Osiris, vol. 4, 1938, p. 360-632.
28
 Steven Shapin, « Discipline and Bounding : The History and Sociology of Science As Seen Through the Externalism-Internalism Debate », History of Science, vol. XXX, 1992, p. 333-369
29
 Robert K. Merton, « Science and the Social Order », Philosophy of Science, vol. 5, n° 3, 1938, p. 321-337.
30
 Robert K. Merton, « Note on Science and democracy », Journal of Legal and Political Sociology, vol. 1, n° 1-2, 1932, p. 115-126.
31
 Bernard Barber, Science and the Social Order, Glencoe, Free Press, 1952.
32
 John D. Bernal, The Social Function of Science, Londres, Routledge and Kegan Paul Ltd, 1939.
33
 Charles Crothers, Robert K. Merton, Chichester, Ellis Horwood Limited 1987, p. 142-148.
34
 Robert K. Merton, The Sociology of Science. An Episodic Memoir, Carbondale, Southern Illinois University Press, 1977.
35
 Bruno Latour, Steve Woolgar, Laboratory Life. The Social Construction of Scientific Facts, Bervely Hills, Sage Publications, 1979, p. 179.
36
 Bruno Latour, Steve Woolgar, La vie de laboratoire. La production des faits scientifiques, Paris, La Découverte, 1988.
37
 Bruno Latour, Steve Woolgar, Laboratory Life. The Social Construction of Scientific Facts, Bervely Hills, Sage Publications, 1979, p. 231.
38
 Simon Schaffer, « Newton at the crossroads », Radical Philosophy, vol. 37, 1984, p. 23-28. Citons en outre Michael Mulkay, qui revient très longuement sur la portée heuristique du papier de Hessen dans son ouvrage Science and the Sociology of Knowledge (Londres, Georges Allen & Unwin) paru en 1979. Il en tire la conclusion générale que « Marx can be interpreted in a strong sense, that is, as implying that the content of established scientific knowledge should be treated to a considerable extent as the outcome of specifiable social processes » (M. Mulkay,Science and the Sociology of Knowledge, Londres, Georges Allen & Unwin 1979, p. 8).
39
 Science at the Cross Roads. Papers presented to the International Congress of the History of Science and Technology Held in London, from June 29th to July 3rd, 1931 by the Delegates of the USSR, Londres, Kniga, 1931.
40
 Boris Hessen, op. cit.
41 Simon Schaffer, art. cit., p. 27.
42
 Ibidem, p. 28.
43
 Ibidem, p. 27.
44
 Steven Shapin, Simon Schaffer, Leviathan and the Air-Pump. Hobbes, Boyle and the Experimental Life, Princeton, Princeton University Press, 1985.
45
 Steven Shapin, Simon Schaffer, Leviathan and the Air-Pump. Hobbes, Boyle, and the Experimental Life, Cambridge (Mass.), Princeton University Press, 2011, p. xxiv.
46
 Christopher Hill, « ‘A New Kind of Clergy’ : Ideology and the Experimental Method », Social Studies of Science, vol. 16, 1986, p. 728, Steven Shapin, Simon Schaffer, op. cit., p. xxvii.
47
 Sal Restivo, « Some Perspectives in Contemporary Sociology of Science »,Science, Technology & Human Values, vol. 6, n° 35, 1981, p. 24.
48
 Franz Borkeneau, « The Sociology of the Mechanistic World-Picture », Science in Context, vol.1 (1), 1987, p. 109-127; Valeria E. Russo, « Hernyk Grossmann and Franz Borkeneau. A Bio-Bibliography », Science in Context, vol. 1(1), 1987 p. 181-191.
49
 Donald MacKenzie, « Marx and the Machine », Technology and Culture, vol. 25, n° 3, 1984, p. 473.
50
 Bruce Bimber, « Karl Marx and the Three Faces of Technological Determinism », Social Studies of Science, vol. 20 (2), mai 1990, p. 333-351.
51
 Paul S. Adler, « Marx, Machines, and Skill », Technology and Culture, vol. 31 (4), 1990, p. 780-812.
52
 D. MacKenzie, art. cit., p. 474.
53
 Ibidem, p. 474.
54
 D. MacKenzie, art. cit., p. 478-480.
55
 Ibidem, p. 481.
56
 Ibidem, p. 482.
57
 Cité par D. MacKenzie, ibid., p. 486. La traduction canonique française est légèrement différente : « La machine, point de départ de la révolution industrielle, remplace donc le travailleur qui manie un outil par un mécanisme qui opère à la fois avec plusieurs outils semblables, et reçoit son impulsion d’une force unique, quelle qu’en soit la forme » (Karl Marx, Le Capital, Livre I, Paris, Gallimard, 1968, p. 467).
58
 Ibidem, p. 488.
59
 Ibidem, p. 489.
60
 Ibidem, p. 490-491.
61
 Ibidem, p. 493-494.
62
 Ibidem, p. 494.
63
 Ibidem, p. 497.
64
 Ibidem, p. 498.
65
 Ibidem, p. 502.
66
 Bruce Bimber, « Karl Marx and the Three Faces of Technological Determinism », Social Studies of Science, vol. 20 (2), mai 1990, p. 336.
67
 Ibidem, p. 338.
68
 Ibidem, p. 339.
69
 Ibidem, p. 344.
70
 Ibidem, p. 346-347.
71
 Ibidem, p. 348.
72
 Paul S. Adler, « Marx, Machines, and Skill », Technology and Culture, vol. 31 (4), 1990, p. 782.
73
 Ibidem, p. 783.
74
 Ibidem, p. 783.
75
 Ibidem, p. 783.
76
 Ibidem, p. 788.
77
 Ibidem, p. 789.
78
 Ibidem, p. 798.
79
 Ibidem, p. 800.
http://chrhc.revues.org/3775