23/2/15

L’inégalité est-elle un problème? | Rousseau, Marx, Piketty, Fukuyama & De Jouvenel

La justice serait-elle au côté du pauvre quand l’injustice assure les biens du riche?

Thierry Guinhut   |   Les inégalités se propagent et se creusent, fomentant monstrueusement la bassesse de la pauvreté. Prendre au riche pour enrichir le pauvre est alors, pense-t-on naïvement, la solution idoine. Cependant, en paraissant assurer la légitimité morale et économique de l’intervention étatique, au moyen de la redistribution, au service de l’égalité et du bonheur économique, l’argument des inégalités, cet argument apparemment éclatant, mais faux, destiné à tromper les naïfs, n’est-il pas spécieux ? Ne vaut-il pas mieux s’intéresser à la pauvreté, à ses causes, et lever les barrières qui l’empêchent de devenir richesse… Plutôt que de se servir de l’argument spécieux des inégalités pour transformer les sociétés en une contre-utopie corsetée, ne faut-il pas mieux se servir de l’argument de la pauvreté, scandaleuse en soi, pour rendre à la cité ses libertés ?

De Rousseau à Marx, le réquisitoire contre le riche

Une archéologie des inégalités, pour reprendre le concept de Michel Foucault, ne doit omettre ni Rousseau, ni Marx. Le philosophe des Lumières était assez éclairé pour séparer les deux natures de l’inégalité : « Je conçois dans l’Espèce humaine deux sortes d’inégalité ; l’une que j’appelle naturelle ou physique, par qu’elle est établie par la Nature, et qui consiste dans la différence des âges, de la santé, des forces du corps, et des qualités de l’Esprit, ou de l’âme ; l’autre qu’on peut appeler inégalité morale, ou politique, parce qu’elle dépend d’une sorte de convention. […] Celle-ci consiste dans les différents privilèges, dont quelques-uns jouissent au préjudice des autres, comme d’être plus riches, plus honorés, plus puissants qu’eux, ou même de s’en faire obéir.»1

Cependant, Rousseau, blâmant la décision originelle de clore un terrain en proclamant « Ceci est à moi », jetait un anathème malvenu sur la propriété privée : « Vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la Terre n’est à personne2 ». Donc, in fine, une réprobation sans appel sur la propriété entrepreneuriale et capitaliste. Au point de vouloir « qu’on établisse de fortes taxes […] sur cette foule d’objets de luxe, d’amusement et d’oisiveté3 » ; forgeant ainsi le principe de l’impôt fortement progressif, non seulement sur la richesse mais ce sur quoi l’État se permet indûment une réprobation morale. Était-ce encore, de la part de Rousseau, digne des Lumières ? Il est permis d’en douter, face à un autre essayiste de l’Enlightenment : l’économiste Adam Smith qui préféra, aux causes de l’inégalité les causes de la richesse des nations4

Digne successeur de Rousseau, en dépit de leur indignité commune sur ce point, Marx ordonna : « L’égalité comme raison du communisme en est la justification politique », non sans mentionner que « pour surmonter la propriété privée réelle, il faut une action communiste réelle5 ». Le remède ultime et supérieur aux inégalités serait donc la confiscation, l’interdiction de la propriété privée. Ce que confirment les « mesures » réclamées par cette désastreuse déclaration d’intention qu’est Le Manifeste communiste : « Expropriation de la propriété foncière et affectation de la rente foncière aux dépenses de l’État. Impôt sur le revenu fortement progressif. Abolition du droit d’héritage ; confiscation des biens de tous les émigrés et rebelles. Centralisation du crédit entre les mains de l’État, au moyen d’une banque nationale à capital d’État et au monopole exclusif. » On ne s’attardera pas ici sur la « Centralisation entre les mains de l’État de tous les moyens de transport et de communication » et sur le « Travail obligatoire pour tous6 »… Le communisme tyrannique par essence eut les conséquences historiques, meurtrières et totalitaires que l’on sait, bien plus que les théories fondées sur la propriété,  et que Proudhon associait  au vol, propos qu’il nuança d’ailleurs ultérieurement.

Inégalités planétaires et doxa selon Piketty

Voici le type de réquisitoire qu’aime développer à l’envi l’icône de la doxa contre les inégalités, nous avons nommé Thomas Piketty : 350 millions de personnes les plus pauvres de la planète équivalent aux 85 personnes les plus riches de cette même planète, les premières vivant avec 486 dollars, les secondes avec 20 millions de dollars. De plus, au sein des pays développés, le revenu des 10% des plus riches est 9,5 fois plus élevé que celui des 10% les plus pauvres, selon le journal L’Humanité. Malgré notre confiance plus que prudente envers un organe communiste, on doit supposer que l’information est crédible. Doit-on, de plus, croire l’information selon laquelle les 1% les plus riches soient en passe de posséder plus que le reste des habitants de la planète ? Affirmation fort sujette à caution, ne serait-ce que parce qu’elle ne tient pas compte de la mobilité des fortunes. Alors, la cause est entendue : l’écrasante inégalité qui règne sur le monde est le péché originel du capitalisme.

Si, selon Thomas Piketty, « les inégalités se sont réduites en France au XXème siècle », malgré la persistance de l’inégalité des revenus, c’est moins par l’augmentation à peu près continue des taux d’imposition pour les plus riches, que par l’augmentation du pouvoir d’achat permise par la croissance de la productivité -quantitative et qualitative- du capitalisme. Pourtant, vient arguer Piketty, ces inégalités, criantes avant la première guerre mondiale, se sont réduites au travers des « chocs subis par le grand capital », guerres, inflation et crises économiques, mais la raison majeure en est l’impôt progressif sur l’accumulation des patrimoines. Notre diva de l’économie est cependant plus mesurée en sa conclusion que l’on pourrait l’attendre sur ce terrain : « L’impôt progressif a le mérite d’empêcher que ne se reconstituent des situations analogues à celles qui prévalaient à la veille de la première guerre mondiale, et sa mise à mal pourrait avoir pour effet de long terme une certaine sclérose économique7. Ah, qu’en termes prudents ces choses-là sont dites ! Alors que cette sclérose économique va s’aggravant en France depuis trois décennies, passant aujourd’hui de la sclérose en plaque au cancer généralisé…

L’on sait, depuis Le Capital au XXIème siècle8 que Piketty a conclu à un fort accroissement des inégalités patrimoniales et de revenus depuis les trente dernières années parmi les pays développés. Pour lui, le rendement du capital aurait tendance à croître au-delà du taux de croissance. En conséquence de quoi, il préconise, outre un impôt sur les hauts revenus jusqu’à 80 %, une taxation mondiale du capital. On n’a pas manqué de contester sa méthode et sa thèse. Il n’est pas sûr que les évaluations des patrimoines mobiliers soient fort objectives. De plus il faut invalider sa prémisse selon laquelle les grandes fortunes n’ont de cesse de croître. Bien des nouvelles fortunes mondiales sont fort récentes, d’autres, plus anciennes, se sont érodées, la mobilité est plutôt la règle, signe d’une prime à l’inventivité plutôt qu’au capital lui-même. Enfin le capitalisme de connivence avec l’État est omis par Piketty, au point de penser qu’il soit un frein oublié au développement des entreprises concurrentielles, donc de la démocratisation de l’enrichissement. L’idéologie postmarxiste, quoique invalidée par les faits, a de beaux jours, ou plutôt d’affreuses nuits, devant elle, secourue par la démagogie. L’on sait que ce livre, quoique son auteur affecte de rejeter l’auteur du Manifeste communiste, se veut un rejeton scientifique de l’opus de Karl Marx. Or, lourd et verbeux, bourré de tableaux et de courbes, il est plus acheté que lu, en tant que garant de l’idéologiquement correct et de l’aura de solidarité dont il aime s’entourer.

Le rôle positif des inégalités

Mais au Siècle des Lumières, il n’y a pas place seulement pour l’égalité imposée par la volonté générale du Contrat social rousseauiste. Répondant à la question de la reproduction des richesses inégales par les privilèges et les héritages, Diderot rétorque légitimement : « À chacun son mérite » […] « En même temps que le mérite sera plus honoré, la cupidité diminuée, le prix de l’éducation mieux senti, les fortunes seront moins inégales.9 » Plus tard, en 1848, c’est-à-dire la même année que le Manifeste communiste, Adolphe Thiers contribue à l’idée de la moralité des inégalités : « De la transmission héréditaire proviennent de nouvelles inégalités acquises, qui, s’ajoutant aux inégalités naturelles, produisent certaines accumulations qu’on appelle la richesse. Ces accumulations n’ont rien de contraire à l’équité, car elles n’ont été dérobées à personne, contribuent à l’abondance commune, servent à payer les produits les plus élevés de toute industrie perfectionnée, et, nées du travail, se dissipant et périssant par l’oisiveté, présentent l’homme récompensé ou puni par la plus infaillible des justices, celle du résultat.10 » Ce qui permet au péché capital de la cupidité et de l’avarice de trouver le moyen d’être utile au capitalisme libéral qui irrigue la société entière. Reste évidemment, pour compenser les inégalités de départ liées à l’héritage, autant financier que culturel, d’assurer l’éducation gratuite pour tous, ne serait-ce que par le chèque éducation, seule redistribution qui reste un investissement indispensable.

Plus tard encore, Fukuyama, en 1992, déplie la défense des inégalités : « Les sociétés de classe moyenne sont destinées à rester fortement inégalitaires à certains égards, mais les raisons en seront de plus en plus imputables à la différence naturelle des talents et à la division économiquement nécessaire du travail. On peut interpréter en ces termes la remarque de Kojève selon laquelle l’Amérique de l’après-guerre a effectivement réalisé la « société sans classes » de Marx ». Alors que « le projet marxiste a cherché à promouvoir une forme extrême d’égalité sociale aux dépens de la liberté11 », c’est-à-dire l’égalité du goulag, hors quelques dignitaires soviétiques au sommet de leur sphère, inégalité plus extrême et plus honteuse que tout autre, parce que non seulement économique, mais aussi politique, de plus sans le moindre espoir de sortir des bas-fonds. Ce qu’a contrario permet le capitalisme libéral, qui ne s’est pas gêné pour assurer aux masses une aisance que n’eurent pas rêvé ni le zek ni le kolkhozien…

Certes, les inégalités spoliatrices, c’est-à-dire acquises par le vol et la tyrannie, par exemple dans la possession des terres en Amérique latine aux dépens des petits propriétaires, des indigènes, sont moralement et pénalement condamnables devant le tribunal du droit naturel. En revanche les inégalités attribuables au travail et au mérite ne sont que positives et n’ôtent rien aux pauvres, qui, au contraire, trouvent à en profiter grâce à l’accroissement de l’activité concurrentielle, de l’offre, corrélées à la baisse des prix. À condition, une fois encore, que la fiscalité ne gonfle pas ces derniers…

Il faut alors percevoir que les inégalités ont un rôle positif : dans la mesure où les pauvres sont motivés à créer de la richesse, où les jeunes générations choisissent de faire fonctionner l’ascenseur social, dans le cadre de la liberté des échanges et de la mondialisation. Ce que confirme Johan Norberg : « contrairement à ce qu’on pourrait penser, les inégalités entre les pays ont diminué constamment depuis le début des années 1970. […] les économistes mesurent habituellement le degré d’inégalité à l’aide du coefficient Gini [qui] pour le monde entier est passé de 0,6 en 1968 à 0,52 en 1997, soit une baisse de plus de 10 %.12» Malgré quelques exceptions notoirement socialistes et communistes, théocratiques et soufflées par la guerre, le mouvement d’augmentation du niveau de vie ne semble pas près de s’arrêter.

Une étude de l’Institut Économique Molinari bat en brèche l’argument des inégalités en pointant que les émoluments des cent Présidents Directeurs Généraux les mieux payés au Canada équivalent à 171 fois le salaire moyen. Horreur ! Mais cette même étude offrait un calcul fort simple : divisant cette colossale rémunération par le nombre de leurs salariés (2 423 530), on obtient 326 dollars par an, soit 90 cents par jour, ou encore 0,7 % de hausse salariale. Dérisoire… Comme quoi la redistribution est parfaitement vaine. Pire encore, en imaginant que cette dernière soit assurée par l’État, le coût prohibitif de sa gestion la rendrait encore plus pitoyable, sans compter les dommages ravageurs à l’encontre de la société toute entière, privée non seulement du savoir-faire de ces patrons, mais également de leur dévouement à leur propre porte-monnaie qui est la source du dévouement de l’économie à la prospérité générale. Loin de contribuer à cette dernière, la redistribution contribue à la détruire. Vouloir à toute force et par idéologie recourir à la surabondance de la redistribution épuisant les acteurs économiques serait de l’égalitarisme forcené, au même titre qu’une tyrannie économique et sociale voisine du totalitarisme.

On s’amusera en citant Michel Onfray qui, dans une perspective nietzschéenne, parvient à une réelle pertinence, en animalisant poétiquement l’égalité, intrinsèquement envieuse et revancharde : « Un triangle noir sur le dos / La tarentule prêche l’égalité. / Animal de la vengeance / Elle nomme justice / Sa haine et son aigreur. / La tarentule prêche l’égalité ; / Araignée de la jalousie / Elle déteste ce qui est / Fort et puissant. / Bête du ressentiment / Elle calomnie le monde / La vie et la vigueur. / La tarentule prêche l’égalité.13 »

Méfions-nous donc de l’égalité : outre son Envie prête à dévorer la liberté d’autrui, elle entraîne bien trop souvent la pauvreté de l’envieux. Autant l’inégalité devant le droit est à proscrire, autant les inégalités de richesses sont à considérer dans leur perspective dynamique d’enrichissement général… Tocqueville savait que « les peuples démocratiques ont un goût naturel pour la liberté. […] Mais ils ont pour l’égalité une passion ardente, insatiable, éternelle, invincible ; ils veulent l’égalité dans la liberté, et, s’ils ne peuvent l’obtenir, ils la veulent encore dans l’esclavage. Ils souffriront la pauvreté, l’asservissement, la barbarie, mais ils ne souffriront pas l’aristocratie14 ». Tout est dit.

L’éthique de la redistribution selon Bertrand de Jouvenel

L’État est un « minotaure », accuse en 1951 Bertrand de Jouvenel, dans son Éthique de la redistribution ; surtout lorsque devenu État-providence, il use de son usine à gaz à redistribuer les revenus. Son omnipotence fabrique des assistés aux dépens non seulement des plus riches, mais des classes moyennes ; « et, tout compte fait, encombré du fardeau de ses multiples engagements, il n’applique les consignes de la redistribution que dans sa façon de prélever l’argent, et non dans sa manière d’en faire profiter largement sa population15 ». Ainsi « tout pouvoir de redistribution signifie un surcroît de pouvoir dévolu à l’État16». Ce qui ne laisse pas d’être inquiétant, ne serait-ce que dans le domaine culturel, aux dépens du pluralisme. La conclusion de Bertrand de Jouvenel est sans appel : « les pouvoirs publics n’ont d’autre choix, s’ils veulent donner à tous, que de prendre à tous. […] les familles aux revenus faibles dans leur ensemble, versent au Trésor public davantage d’argent qu’elles n’en retirent.17 » Ce qui ne vaut pas pour celles qui sont sans travail et ne vivent que des subsides alloués par l’État, qui par là-même, au moyen de sa sur-fiscalité et d’une législation du travail coercitive, les prive de ce travail qui assurerait leur indépendance…

Lutter contre les inégalités est trop souvent le masque des parasites politiques et bureaucratiques qui démagogiquement gèrent la redistribution, aux dépens des créateurs de richesses et donc d’emplois. Les inégalités sont bien un argument spécieux, en tant qu’au nom d’une solidarité électoraliste, il sert de levier à l’État spoliateur, justicier et stratège, à ses hordes d’élus et de fonctionnaires, en particulier des ministères des finances, ainsi à tous ceux, mus par l’Envie, qui pensent en profiter.

La redistribution peut rester morale et défendable lorsqu’elle pallie aux handicaps de ceux qui ne peuvent travailler. Hélas, elle a rapidement le grave défaut, d’une part,d’employer pour sa gestion une noria exponentielle de fonctionnaires, et d’autre part, à partir d’un seuil trop vite atteint, quoique assez subjectif, de décourager les entrepreneurs dont la motivation financière n’a rien de méprisable, de réduire leurs capacités d’investissement, sans oublier la fuite des énergies au-delà des frontières, comme en témoignent les 400 000 français vivant à Londres, dans un Royaume-Uni ainsi dopé, qui vient dépasser la France, en devenant à son tour cinquième puissance économique mondiale. Pire, s’il en est, la recette publique s’affaiblit alors, la courbe de Laffer venant opportunément vérifier l’adage selon lequel trop d’impôt tue l’impôt.

Force est de constater qu’une France dont 57% du PIB est consacré aux dépenses publiques ne contribue qu’à appauvrir ses habitants et contraindre au chômage une énorme partie d’entre eux ; alors que des pays comme l’Allemagne ou la Norvège, avec un PIB de 45 % ont un chômage deux fois moindre et une économie bien plus florissante. Tout en criant haro sur les riches, les seuls riches qui paraissent légitimes sont ceux qui, élus et haut-fonctionnaires, vivent au bénéfice de la fiscalité oppressive. Curieusement, ils sont traditionnellement bien moins dépréciés que les chevaliers d’industries et les patrons d’entreprise, du plus aisé au plus modeste. Ce que note Bertrand de Jouvenel : « Pendant toute la période dominée par la société commerciale, depuis la fin du Moyen-Âge jusqu’à nos jours, la fortune du riche marchand a inspiré bien plus de ressentiment que le faste dont s’entouraient les dirigeants.18 »

Plutôt que de reprocher aux riches Bill Gates ou François Pinault leurs fortunes insolentes, remarquons qu’ils les ont gagnées en créant des richesses et des emplois, qu’ils la dépensent pour contribuer à la santé, au développement des Africains pour l’un et à l’expressivité et au niveau de vie des artistes pour l’autre ; alors que tant de magnats du pétrole arabique répugnent à élever le niveau de vie et de liberté de leurs citoyens et immigrés…

La reproduction sociale si chère à Bourdieu19, si décriée, est pourtant, au-delà de la sélection aristocratique des seuls descendants, une sélection des savoirs, des compétences et des mérites. Pourquoi, au nom de l’origine sociale des parents, faudrait-il se priver de toutes ces qualités, même si cette reproduction est également, pour une grande part celle des inégalités ? Seule la réhabilitation d’une école exigeante et d’une éducation aux nobles ambitions pourra redonner du lustre à l’ascenseur social, de façon à donner leurs chances aux esprits venus des milieux les plus modestes.

La majeure partie des États étant furieusement endettée, ce n’est certes pas en taxant les riches, qu’ils se reproduisent de manière endogame ou non, que l’on parviendrait à mieux user de leur argent, mais à le dilapider. Mieux vaut alors faire confiance aux riches et à ceux qui ont la capacité de le devenir pour dynamiser l’économie et la croissance, y compris le porte-monnaie des pauvres. Et se défier de notre État.

Fiscocratie s’il en est, la France a eu l’ingéniosité de mettre en place cinquante nouvelles taxes en six ans, sans compter la hausse des plus anciennes, quand en 2014, 182 articles de lois fiscales ont été adoptés. Taux de prélèvements obligatoires à 45% du PIB, taux d’impôt maximal sur les sociétés à 38 %. En toute logique, le chômage ne cesse également d’augmenter et dépasse 11 % de la population active, sans compter tous les désinscrits…

L’Heritage Fondation publie chaque année un Indice de Liberté Économique. Que croyez-vous qu’il arrive à la France ? Elle est honteusement classée 73ème, après le Kazakhstan et l’Albanie, à cause du poids de l’État et de la rigidité de la législation du travail.

Autour de la France et de quelques pays idéologiquement rétrogrades à son image, le monde s’enrichit, la pauvreté recule sur la planète, les classes moyennes renforcent leur nombre, les riches se multiplient. L’extrême pauvreté (moins de 1,25 dollar par jour) a reculé de cinquante pour cent depuis 1990. Et cela grâce, non au communisme et aux systèmes de redistribution étatiques, mais à la mondialisation capitaliste. C’est bien ce que note Johan Norberg, dont le Plaidoyer pour la mondialisation capitaliste remplace avantageusement (et plus lisiblement) Piketty : « Au cours du demi-siècle qui vient de se terminer, le développement matériel a permis de sortir plus de trois milliards de personnes de la pauvreté20 ».

Ainsi, l’on peut reprendre une réflexion d’Hannah Arendt, jetée parmi son Journal de pensée, en 1955, vérifiant une fois de plus sa perspicacité : « À propos de « Property and Equality » : c’est une erreur que de croire qu’on peut parvenir à l’égalité caractéristique de l’homogénéité grâce à l’ « equality of condition » […] donc par l’homogénéité des rapports de propriété. […] c’est l’homogénéité du troupeau qui se met en place.21 » Du troupeau à l’abattoir totalitaire, il n’y a qu’un pas ; en effet, assure-t-elle, « L’égalité de condition parmi leurs sujets a été l’un des principaux soucis des despotismes et des tyrannies depuis l’Antiquité22 ». Voilà, si l’on n’y prend garde, à quoi peut mener la lutte étatique contre les inégalités économiques. Au nom du « mirage de la justice sociale ou distributive », l’injustice passe son rouleau compresseur sur la société entière. Hayek savait cela bien avant 1976 lorsqu’il écrivit : « Aussi longtemps que la croyance à la « justice sociale » régira l’action politique, le processus doit se rapprocher de plus en plus d’un système totalitaire.23 »

Au-delà des forces d’imposition (dans les deux sens du mot) que sont le socialisme et le théocratisme, l’individualisation de la richesse permet sans nul doute les progrès des conditions, des mœurs et de l’esprit humain, sans empêcher en rien, au contraire, ses dimensions spirituelle et culturelle : « La meilleure manière de comprendre la vague individualiste est sans doute de la considérer comme une forme luxueuse de l’être-dans-le-monde24 », affirme avec justesse Peter Sloterdijk. Ainsi l’argument spécieux des inégalités et de la redistribution étatique est balayé par celui, nettement plus efficace, de l’enrichissement des pauvres au moyen de la mondialisation des initiatives et du capitalisme libéral. Alors qu’incessamment le David du socialisme tente de terrasser le Goliath de la richesse, en se gonflant de lui jusqu’à en éclater, il faut se rendre à l’évidence : en vérité, le David de la richesse tend à terrasser le Goliath de la pauvreté.

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