► La justice serait-elle au côté du pauvre quand
l’injustice assure les biens du riche?
Thierry Guinhut |
Les inégalités se propagent et se creusent, fomentant
monstrueusement la bassesse de la pauvreté. Prendre au riche pour enrichir le pauvre est alors, pense-t-on
naïvement, la solution idoine. Cependant, en paraissant assurer la légitimité
morale et économique de l’intervention étatique, au moyen de la redistribution,
au service de l’égalité et du bonheur économique, l’argument des inégalités,
cet argument apparemment éclatant, mais faux, destiné à tromper les naïfs,
n’est-il pas spécieux ? Ne vaut-il pas mieux s’intéresser à la pauvreté,
à ses causes, et lever les barrières qui l’empêchent de devenir richesse…
Plutôt que de se servir de l’argument spécieux des inégalités pour transformer
les sociétés en une contre-utopie corsetée, ne faut-il pas mieux se servir de
l’argument de la pauvreté, scandaleuse en soi, pour rendre à la cité ses
libertés ?
De Rousseau
à Marx, le réquisitoire contre le riche
Une archéologie des inégalités, pour reprendre le concept de Michel Foucault, ne doit omettre ni Rousseau,
ni Marx. Le philosophe des Lumières était assez éclairé pour séparer les deux
natures de l’inégalité : « Je conçois dans l’Espèce humaine deux sortes
d’inégalité ; l’une que j’appelle naturelle ou physique, par qu’elle est
établie par la Nature, et qui consiste dans la différence des âges, de la
santé, des forces du corps, et des qualités de l’Esprit, ou de l’âme ; l’autre
qu’on peut appeler inégalité morale, ou politique, parce qu’elle dépend d’une
sorte de convention. […] Celle-ci consiste dans les différents privilèges, dont
quelques-uns jouissent au préjudice des autres, comme d’être plus riches, plus
honorés, plus puissants qu’eux, ou même de s’en faire obéir.»1
Cependant, Rousseau, blâmant la décision originelle de clore
un terrain en proclamant « Ceci est à moi », jetait un anathème malvenu sur la
propriété privée : « Vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à
tous et que la Terre n’est à personne2
». Donc, in fine, une réprobation sans appel sur la propriété entrepreneuriale
et capitaliste. Au point de vouloir « qu’on établisse de fortes taxes […] sur
cette foule d’objets de luxe, d’amusement et d’oisiveté3
» ; forgeant ainsi le principe de l’impôt fortement progressif, non seulement
sur la richesse mais ce sur quoi l’État se permet indûment une réprobation
morale. Était-ce encore, de la part de Rousseau, digne des Lumières ? Il est
permis d’en douter, face à un autre essayiste de l’Enlightenment : l’économiste
Adam Smith qui préféra, aux causes de l’inégalité les causes de la richesse des
nations4…
Digne successeur de Rousseau, en dépit de leur
indignité commune sur ce point, Marx ordonna : « L’égalité comme raison du
communisme en est la justification politique », non sans mentionner que « pour
surmonter la propriété privée réelle, il faut une action communiste réelle5
». Le remède ultime et supérieur aux inégalités serait donc la confiscation,
l’interdiction de la propriété privée. Ce que confirment les « mesures »
réclamées par cette désastreuse déclaration d’intention qu’est Le Manifeste
communiste : « Expropriation de la propriété foncière et affectation de la
rente foncière aux dépenses de l’État. Impôt sur le revenu fortement
progressif. Abolition du droit d’héritage ; confiscation des biens de tous les
émigrés et rebelles. Centralisation du crédit entre les mains de l’État, au
moyen d’une banque nationale à capital d’État et au monopole exclusif. » On ne
s’attardera pas ici sur la « Centralisation entre les mains de l’État de tous
les moyens de transport et de communication » et sur le « Travail obligatoire
pour tous6
»… Le communisme tyrannique par essence eut les conséquences
historiques, meurtrières et totalitaires que l’on sait, bien plus que les
théories fondées sur la propriété, et que
Proudhon associait au vol, propos qu’il nuança d’ailleurs
ultérieurement.
Inégalités
planétaires et doxa selon Piketty
Voici le
type de réquisitoire qu’aime développer à l’envi l’icône de la doxa contre les
inégalités, nous avons nommé Thomas Piketty : 350 millions de personnes les
plus pauvres de la planète équivalent aux 85 personnes les plus riches de cette
même planète, les premières vivant avec 486 dollars, les secondes avec 20
millions de dollars. De plus, au sein des pays développés, le revenu des
10% des plus riches est 9,5 fois plus élevé que celui des 10% les plus pauvres,
selon le journal L’Humanité. Malgré notre confiance plus que prudente
envers un organe communiste, on doit supposer que l’information est crédible.
Doit-on, de plus, croire l’information selon laquelle les 1% les plus riches
soient en passe de posséder plus que le reste des habitants de la planète ?
Affirmation fort sujette à caution, ne serait-ce que parce qu’elle ne tient pas
compte de la mobilité des fortunes. Alors, la cause est entendue : l’écrasante
inégalité qui règne sur le monde est le péché originel du capitalisme.
Si, selon Thomas Piketty, « les inégalités se sont réduites en
France au XXème siècle », malgré la persistance de l’inégalité des revenus,
c’est moins par l’augmentation à peu près continue des taux d’imposition pour
les plus riches, que par l’augmentation du pouvoir d’achat permise par la
croissance de la productivité -quantitative et qualitative- du capitalisme.
Pourtant, vient arguer Piketty, ces inégalités, criantes avant la première
guerre mondiale, se sont réduites au travers des « chocs subis par le grand
capital », guerres, inflation et crises économiques, mais la raison
majeure en est l’impôt progressif sur l’accumulation des patrimoines. Notre
diva de l’économie est cependant plus mesurée en sa conclusion que l’on
pourrait l’attendre sur ce terrain : « L’impôt progressif a le mérite
d’empêcher que ne se reconstituent des situations analogues à celles qui prévalaient
à la veille de la première guerre mondiale, et sa mise à mal pourrait avoir
pour effet de long terme une certaine sclérose économique7.
Ah, qu’en termes prudents ces choses-là sont dites ! Alors que cette sclérose
économique va s’aggravant en France depuis trois décennies, passant aujourd’hui
de la sclérose en plaque au cancer généralisé…
L’on sait, depuis Le Capital au XXIème siècle8
que Piketty a conclu à un fort accroissement des inégalités patrimoniales et de
revenus depuis les trente dernières années parmi les pays développés. Pour lui,
le rendement du capital aurait tendance à croître au-delà du taux de
croissance. En conséquence de quoi, il préconise, outre un impôt sur les hauts
revenus jusqu’à 80 %, une taxation mondiale du capital. On n’a pas manqué de
contester sa méthode et sa thèse. Il n’est pas sûr que les évaluations des patrimoines mobiliers soient
fort objectives. De plus il faut invalider sa prémisse selon laquelle
les grandes fortunes n’ont de cesse de croître. Bien des nouvelles fortunes
mondiales sont fort récentes, d’autres, plus anciennes, se sont érodées, la
mobilité est plutôt la règle, signe d’une prime à l’inventivité plutôt qu’au
capital lui-même. Enfin le capitalisme de connivence avec l’État est omis par Piketty,
au point de penser qu’il soit un frein oublié au développement des entreprises
concurrentielles, donc de la démocratisation de l’enrichissement. L’idéologie
postmarxiste, quoique invalidée par les faits, a de beaux jours, ou plutôt
d’affreuses nuits, devant elle, secourue par la démagogie. L’on sait que ce
livre, quoique son auteur affecte de rejeter l’auteur du Manifeste communiste,
se veut un rejeton scientifique de l’opus de Karl Marx. Or, lourd et verbeux,
bourré de tableaux et de courbes, il est plus acheté que lu, en tant que garant
de l’idéologiquement correct et de l’aura de solidarité dont il aime
s’entourer.
Le rôle positif des inégalités
Mais au Siècle des Lumières, il n’y a pas place seulement
pour l’égalité imposée par la volonté générale du Contrat social rousseauiste.
Répondant à la question de la reproduction des richesses inégales par les
privilèges et les héritages, Diderot rétorque légitimement : « À chacun son
mérite » […] « En même temps que le mérite sera plus honoré, la cupidité
diminuée, le prix de l’éducation mieux senti, les fortunes seront moins
inégales.9
» Plus tard, en 1848, c’est-à-dire la même année que le Manifeste communiste,
Adolphe Thiers contribue à l’idée de la moralité des inégalités : « De la
transmission héréditaire proviennent de nouvelles inégalités acquises, qui,
s’ajoutant aux inégalités naturelles, produisent certaines accumulations qu’on
appelle la richesse. Ces accumulations n’ont rien de contraire à l’équité, car
elles n’ont été dérobées à personne, contribuent à l’abondance commune, servent
à payer les produits les plus élevés de toute industrie perfectionnée, et, nées
du travail, se dissipant et périssant par l’oisiveté, présentent l’homme
récompensé ou puni par la plus infaillible des justices, celle du résultat.10
» Ce qui permet au péché capital de la cupidité et de l’avarice de trouver le
moyen d’être utile au capitalisme libéral qui irrigue la société entière. Reste évidemment, pour
compenser les inégalités de départ liées à l’héritage, autant financier que
culturel, d’assurer l’éducation gratuite pour tous, ne serait-ce que par le chèque
éducation, seule redistribution qui reste un investissement indispensable.
Plus tard encore, Fukuyama, en 1992, déplie la défense des
inégalités : « Les sociétés de classe moyenne sont destinées à rester fortement
inégalitaires à certains égards, mais les raisons en seront de plus en plus
imputables à la différence naturelle des talents et à la division
économiquement nécessaire du travail. On peut interpréter en ces termes la
remarque de Kojève selon laquelle l’Amérique de l’après-guerre a effectivement
réalisé la « société sans classes » de Marx ». Alors que « le projet marxiste a
cherché à promouvoir une forme extrême d’égalité sociale aux dépens de la
liberté11
», c’est-à-dire l’égalité du goulag, hors quelques dignitaires soviétiques au
sommet de leur sphère, inégalité plus extrême et plus honteuse que tout autre,
parce que non seulement économique, mais aussi politique, de plus sans le
moindre espoir de sortir des bas-fonds. Ce qu’a contrario permet le capitalisme
libéral, qui ne s’est pas gêné pour assurer aux masses une aisance que n’eurent
pas rêvé ni le zek ni le kolkhozien…
Certes, les inégalités spoliatrices, c’est-à-dire acquises
par le vol et la tyrannie, par exemple dans la possession des terres en
Amérique latine aux dépens des petits propriétaires, des indigènes, sont
moralement et pénalement condamnables devant le tribunal du droit naturel. En
revanche les inégalités attribuables au travail et au mérite ne sont que
positives et n’ôtent rien aux pauvres, qui, au contraire, trouvent à en
profiter grâce à l’accroissement de l’activité concurrentielle, de l’offre,
corrélées à la baisse des prix. À condition, une fois encore, que la fiscalité
ne gonfle pas ces derniers…
Il faut alors percevoir que les inégalités ont un rôle
positif : dans la mesure où les pauvres sont motivés à créer de la richesse, où
les jeunes générations choisissent de faire fonctionner l’ascenseur social,
dans le cadre de la liberté des échanges et de la mondialisation. Ce que
confirme Johan Norberg : « contrairement à ce qu’on pourrait penser, les
inégalités entre les pays ont diminué constamment depuis le début des années
1970. […] les économistes mesurent habituellement le degré d’inégalité à l’aide
du coefficient Gini [qui] pour le monde entier est passé de 0,6 en 1968 à 0,52
en 1997, soit une baisse de plus de 10 %.12»
Malgré quelques exceptions notoirement socialistes et communistes,
théocratiques et soufflées par la guerre, le mouvement d’augmentation du niveau
de vie ne semble pas près de s’arrêter.
Une étude de l’Institut Économique Molinari bat en brèche
l’argument des inégalités en pointant que les émoluments des cent Présidents
Directeurs Généraux les mieux payés au Canada équivalent à 171 fois le salaire
moyen. Horreur ! Mais cette même étude offrait un calcul fort simple : divisant
cette colossale rémunération par le nombre de leurs salariés (2 423 530), on
obtient 326 dollars par an, soit 90 cents par jour, ou encore 0,7 % de hausse
salariale. Dérisoire… Comme quoi la redistribution est parfaitement vaine. Pire
encore, en imaginant que cette dernière soit assurée par l’État, le coût
prohibitif de sa gestion la rendrait encore plus pitoyable, sans compter les
dommages ravageurs à l’encontre de la société toute entière, privée non
seulement du savoir-faire de ces patrons, mais également de leur dévouement à
leur propre porte-monnaie qui est la source du dévouement de l’économie à la
prospérité générale. Loin de contribuer à cette dernière, la redistribution
contribue à la détruire. Vouloir à toute force et par idéologie recourir à la
surabondance de la redistribution épuisant les acteurs économiques serait de
l’égalitarisme forcené, au même titre qu’une tyrannie économique et sociale
voisine du totalitarisme.
On s’amusera en citant Michel Onfray qui, dans une
perspective nietzschéenne, parvient à une réelle pertinence, en animalisant
poétiquement l’égalité, intrinsèquement envieuse et revancharde : « Un triangle
noir sur le dos / La tarentule prêche l’égalité. / Animal de la vengeance /
Elle nomme justice / Sa haine et son aigreur. / La tarentule prêche l’égalité ;
/ Araignée de la jalousie / Elle déteste ce qui est / Fort et puissant. / Bête
du ressentiment / Elle calomnie le monde / La vie et la vigueur. / La tarentule
prêche l’égalité.13
»
Méfions-nous donc de l’égalité : outre son Envie prête à
dévorer la liberté d’autrui, elle entraîne bien trop souvent la pauvreté de
l’envieux. Autant l’inégalité devant le droit est à proscrire, autant les
inégalités de richesses sont à considérer dans leur perspective dynamique
d’enrichissement général… Tocqueville savait que « les peuples démocratiques
ont un goût naturel pour la liberté. […] Mais ils ont pour l’égalité une
passion ardente, insatiable, éternelle, invincible ; ils veulent l’égalité dans
la liberté, et, s’ils ne peuvent l’obtenir, ils la veulent encore dans
l’esclavage. Ils souffriront
la pauvreté, l’asservissement, la barbarie, mais ils ne souffriront pas
l’aristocratie14 ». Tout est dit.
L’éthique de la redistribution selon Bertrand de Jouvenel
L’État est un « minotaure », accuse en 1951 Bertrand de
Jouvenel, dans son Éthique de la redistribution ; surtout lorsque devenu
État-providence, il use de son usine à gaz à redistribuer les revenus. Son omnipotence fabrique des
assistés aux dépens non seulement des plus riches, mais des classes moyennes ;
« et, tout compte fait, encombré du fardeau de ses multiples engagements, il
n’applique les consignes de la redistribution que dans sa façon de prélever
l’argent, et non dans sa manière d’en faire profiter largement sa population15 ». Ainsi « tout pouvoir de redistribution
signifie un surcroît de pouvoir dévolu à l’État16».
Ce qui ne laisse pas d’être inquiétant, ne serait-ce que dans le domaine
culturel, aux dépens du pluralisme. La conclusion de Bertrand de Jouvenel est
sans appel : « les pouvoirs publics n’ont d’autre choix, s’ils veulent donner à
tous, que de prendre à tous. […]
les familles aux revenus faibles dans leur ensemble, versent au Trésor public
davantage d’argent qu’elles n’en retirent.17
» Ce qui ne vaut pas pour celles qui sont sans travail et ne vivent que des
subsides alloués par l’État, qui par là-même, au moyen de sa sur-fiscalité et
d’une législation du travail coercitive, les prive de ce travail qui assurerait
leur indépendance…
Lutter contre les inégalités est trop souvent le masque des
parasites politiques et bureaucratiques qui démagogiquement gèrent la
redistribution, aux dépens des créateurs de richesses et donc d’emplois. Les
inégalités sont bien un argument spécieux, en tant qu’au nom d’une solidarité
électoraliste, il sert de levier à l’État spoliateur, justicier et stratège, à
ses hordes d’élus et de fonctionnaires, en particulier des ministères des
finances, ainsi à tous ceux, mus par l’Envie, qui pensent en profiter.
La redistribution peut rester morale et défendable
lorsqu’elle pallie aux handicaps de ceux qui ne peuvent travailler. Hélas, elle
a rapidement le grave défaut, d’une part,d’employer pour sa gestion une noria
exponentielle de fonctionnaires, et d’autre part, à partir d’un seuil trop vite
atteint, quoique assez subjectif, de décourager les entrepreneurs dont la
motivation financière n’a rien de méprisable, de réduire leurs capacités
d’investissement, sans oublier la fuite des énergies au-delà des frontières, comme
en témoignent les 400 000 français vivant à Londres, dans un Royaume-Uni ainsi
dopé, qui vient dépasser la France, en devenant à son tour cinquième puissance
économique mondiale. Pire, s’il en est, la recette publique s’affaiblit alors,
la courbe de Laffer venant opportunément vérifier l’adage selon lequel trop
d’impôt tue l’impôt.
Force est de constater qu’une France dont 57% du
PIB est consacré aux dépenses publiques ne contribue qu’à appauvrir ses
habitants et contraindre au chômage une énorme partie d’entre eux ; alors que
des pays comme l’Allemagne ou la Norvège, avec un PIB de 45 % ont un
chômage deux fois moindre et une économie bien plus florissante. Tout en criant
haro sur les riches, les seuls riches qui paraissent légitimes sont ceux qui,
élus et haut-fonctionnaires, vivent au bénéfice de la fiscalité oppressive. Curieusement, ils sont
traditionnellement bien moins dépréciés que les chevaliers d’industries et les
patrons d’entreprise, du plus aisé au plus modeste. Ce que note Bertrand
de Jouvenel : « Pendant toute la période dominée par la société commerciale,
depuis la fin du Moyen-Âge jusqu’à nos jours, la fortune du riche marchand a
inspiré bien plus de ressentiment que le faste dont s’entouraient les
dirigeants.18
»
Plutôt que de reprocher aux riches Bill Gates ou François
Pinault leurs fortunes insolentes, remarquons qu’ils les ont gagnées en créant
des richesses et des emplois, qu’ils la dépensent pour contribuer à la santé,
au développement des Africains pour l’un et à l’expressivité et au niveau de
vie des artistes pour l’autre ; alors que tant de magnats du pétrole arabique
répugnent à élever le niveau de vie et de liberté de leurs citoyens et
immigrés…
La reproduction sociale si chère à Bourdieu19,
si décriée, est pourtant, au-delà de la sélection aristocratique des seuls
descendants, une sélection des savoirs, des compétences et des mérites.
Pourquoi, au nom de l’origine sociale des parents, faudrait-il se priver de
toutes ces qualités, même si cette reproduction est également, pour une grande
part celle des inégalités ? Seule la réhabilitation d’une école exigeante et
d’une éducation aux nobles ambitions pourra redonner du lustre à l’ascenseur
social, de façon à donner leurs chances aux esprits venus des milieux les plus
modestes.
La majeure partie des États étant furieusement endettée, ce
n’est certes pas en taxant les riches, qu’ils se reproduisent de manière
endogame ou non, que l’on parviendrait à mieux user de leur argent, mais à le
dilapider. Mieux vaut alors faire confiance aux riches et à ceux qui ont la
capacité de le devenir pour dynamiser l’économie et la croissance, y compris le
porte-monnaie des pauvres. Et se défier de notre État.
Fiscocratie s’il en est, la France a eu l’ingéniosité de
mettre en place cinquante nouvelles taxes en six ans, sans compter la hausse
des plus anciennes, quand en 2014, 182 articles de lois fiscales ont été
adoptés. Taux de prélèvements obligatoires à 45% du PIB, taux d’impôt maximal
sur les sociétés à 38 %. En toute logique, le chômage ne cesse également
d’augmenter et dépasse 11 % de la population active, sans compter tous les
désinscrits…
L’Heritage Fondation publie chaque année un Indice de
Liberté Économique. Que croyez-vous qu’il arrive à la France ? Elle est
honteusement classée 73ème, après le Kazakhstan et l’Albanie, à cause du poids
de l’État et de la rigidité de la législation du travail.
Autour de la France et de quelques pays idéologiquement
rétrogrades à son image, le monde s’enrichit, la pauvreté recule sur la
planète, les classes moyennes renforcent leur nombre, les riches se
multiplient. L’extrême pauvreté (moins de 1,25 dollar par jour) a reculé de
cinquante pour cent depuis 1990. Et cela grâce, non au communisme et aux
systèmes de redistribution étatiques, mais à la mondialisation capitaliste.
C’est bien ce que note Johan Norberg, dont le Plaidoyer pour la mondialisation
capitaliste remplace avantageusement (et plus lisiblement) Piketty : « Au cours
du demi-siècle qui vient de se terminer, le développement matériel a permis de
sortir plus de trois milliards de personnes de la pauvreté20
».
Ainsi, l’on peut reprendre une réflexion d’Hannah Arendt,
jetée parmi son Journal de pensée, en 1955, vérifiant une fois de plus sa
perspicacité : « À propos de « Property and Equality » : c’est une erreur que
de croire qu’on peut parvenir à l’égalité caractéristique de l’homogénéité
grâce à l’ « equality of condition » […] donc par l’homogénéité des rapports de
propriété. […] c’est l’homogénéité du troupeau qui se met en place.21
» Du troupeau à l’abattoir totalitaire, il n’y a qu’un pas ; en effet,
assure-t-elle, « L’égalité de condition parmi leurs sujets a été l’un des
principaux soucis des despotismes et des tyrannies depuis l’Antiquité22
». Voilà, si l’on n’y prend garde, à quoi peut mener la lutte étatique contre
les inégalités économiques. Au nom du « mirage de la justice sociale ou
distributive », l’injustice passe son rouleau compresseur sur la société
entière. Hayek savait cela bien avant 1976 lorsqu’il écrivit : « Aussi
longtemps que la croyance à la « justice sociale » régira l’action politique,
le processus doit se rapprocher de plus en plus d’un système totalitaire.23
»
Au-delà des forces d’imposition (dans les deux sens du mot)
que sont le socialisme et le théocratisme, l’individualisation de la richesse
permet sans nul doute les progrès des conditions, des mœurs et de l’esprit
humain, sans empêcher en rien, au contraire, ses dimensions spirituelle et
culturelle : « La meilleure manière de comprendre la vague individualiste est
sans doute de la considérer comme une forme luxueuse de l’être-dans-le-monde24
», affirme avec justesse Peter Sloterdijk. Ainsi l’argument spécieux des
inégalités et de la redistribution étatique est balayé par celui, nettement
plus efficace, de l’enrichissement des pauvres au moyen de la mondialisation
des initiatives et du capitalisme libéral. Alors qu’incessamment le David du
socialisme tente de terrasser le Goliath de la richesse, en se gonflant de lui
jusqu’à en éclater, il faut se rendre à l’évidence : en vérité, le David de la
richesse tend à terrasser le Goliath de la pauvreté.
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