Isabelle Garo
Karl Marx ✆ R.K. Laxman |
La question du peuple chez Marx est une question complexe,
en dépit des thèses tranchées qu’on lui prête volontiers sur ce sujet. Au
premier abord en effet, on a tendance à penser que Marx construit la catégorie
politique de prolétariat précisément contre la notion classique de peuple, trop
englobante et surtout trop homogénéisante, qui gomme les conflits de classe. En
ce sens, la notion de peuple serait illusoire, voire dangereusement
illusionnante lorsqu’elle est politiquement instrumentalisée.
Pourtant, si Marx se défie bien de toute conception
organique du peuple, il reprend le terme à plusieurs occasions et, en
particulier, pour penser les luttes nationales de son temps, lorsqu’elles
visent à conquérir l’indépendance contre des puissances colonisatrices. Il
l’utilise également pour désigner les spécificités nationales, qui
caractérisent les rapports de force sociaux et politiques toujours singuliers
et que, selon lui, il faut toujours analyser dans un tel cadre national. Enfin,
le terme de peuple désigne un certain type d’alliance de classes dans le cadre
de conflits sociaux et politiques de grande ampleur. Lors de ces trois usages, le terme de « peuple »
n’est jamais détaché par Marx de tout clivage social, bien au contraire. Il
faut rappeler qu’il est, chez lui, directement hérité de la Révolution
française et des œuvres politiques qui l’encadrent, de Rousseau jusqu’à Babeuf
et Buonarroti : selon cette tradition, le terme de peuple désigne les
groupes sociaux opposés à l’aristocratie, et il n’est pas le substantif
indifférenciant que des usages postérieurs valoriseront.