1/11/13

Marx et Sartre: Être sujet ou acteur de l’histoire. Réflexions sur le peuple manquant

Jean-Paul Sartre ✆ Jörn Gebert
Norbert Lenoir  |  Juste quelques mots d’introduction pour expliciter le sens du titre qui peut paraître quelque peu énigmatique. Concernant la catégorie de sujet, il ne s’agira ni de le faire mourir une nouvelle fois ni non plus de le ressusciter une nouvelle fois, mais de montrer qu’il ne prend de sens que dans une certaine dynamique historique que Marx appelle prolétariat et que Sartre appelle le groupe en fusion. Mais précisément, ces sujets à l’œuvre dans le temps ne deviennent sujets que dans des actions particulières qu’ils exercent dans l’histoire. Le prolétariat chez Marx, le groupe chez Sartre ouvre des brèches, celles de l’émancipation. Ainsi pour ces deux auteurs, l’histoire est beaucoup moins un vecteur tendu vers une fin inexorable qu’une dynamique de subjectivation, dynamique de création de sujets capables de briser, de déchirer le temps de la répétition et de la reproduction du capital qui n’est que le temps de la domination. Entre le sujet et l’acteur, il n’y a donc nul lien d’opposition mais un lien dialectique qui précisément fait l’histoire. Si l’histoire n’est pas une simple répétition, c’est qu’il y a des sujets initiant des actions qui font bifurquer le temps et l’espace du politique. Si le sujet veut quitter son sens passif d’assujettissement, il ne peut le faire que s’il devient un acteur politique qui fait surgir non seulement la question mais la réalité de la démocratie. Cela signifie peut-être aussi que le sens réel de ce terme ne s’annonce que dans la radicalité de la brèche qu’elle instaure, brèche qu’elle
parvient à créer dans l’organisation économique et politique. Ce couple sujet/acteur se veut un outil nous permettant de dialectiser le mot peuple.

Il y a deux façons de rendre politiquement absent le peuple :
1) On le rend incapable de gouverner en l’écartant du pouvoir en le persuadant qu’il ne peut agir par lui-même sinon uniquement par procuration.
2) En l’enfermant dans une unité mythique ou une identité nationale que seul un parti providentiel pourrait incarner et préserver.
L’absence du peuple oscille donc entre une relégation politique à être une simple machine électorale à produire du consentement pour que les choses et les affaires se poursuivent et une abstraction mythique qui fait du peuple une substance transhistorique inaltérable.

Précisément, rendre le peuple présent, c’est montrer de quoi il est le nom précisément : le peuple n’est peuple que s’il excède sa simple existence sommative, produisant par le compte de ses voix le consentement au pouvoir. Cet excès est créé dans la radicalité des révolutions, quand le peuple devient acteur politique et du politique. Mais précisément, quand il le devient, le peuple n’est plus un car il montre qu’il est traversé par des conflits et des luttes de classes.

C’est cette dimension qui semble rapprocher Marx et Sartre. Tous deux défendent ce que nous appelons une politique de l’histoire et non une histoire politique. La seconde est celle qui, à travers la grille libérale, voit l’histoire comme le triomphe de l’État de droit avec ses identifications : démocratie = économie de marché = représentation. La politique de l’histoire c’est relever les points historiques où ces identifications se fissurent par l’entrée en scène d’acteurs sociaux qui, en politisant l’ensemble de la société, font advenir la radicalité démocratique.

A travers la Commune de Paris chez Marx et la notion de groupe chez Sartre nous essaierons de montrer en quoi ces deux auteurs développent une pensée de la démocratie en acte.