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Dans les récits canoniques, il y a
deux lectures essentielles de la pensée de Marx sur le parti, toutes deux
insuffisantes. L’une, héritée des traditions léninistes, fait de Marx et Engels
les précurseurs de la social-démocratie allemande et russe, puis du
bolchevisme. L’autre fait de Marx un penseur presque libertaire. Dans cet
article de 1978, Étienne Balibar proposait une déconstruction minutieuse, une
lecture symptomale de la pensée marxienne du parti. Entre le parti comme
conscience et le parti comme appareil, se lisent des points d’incompatibilité,
des points aveugles, mais aussi de puissantes intuitions qui méritent d’être
réactivées. Au fond, il s’agit de faire travailler la contradiction féconde
entre autonomie de classe et pouvoir ouvrier, entre une nouvelle
intellectualité de masse et son devenir-État.
L’appréciation des analyses consacrées par Marx et Engels à
la question du parti révolutionnaire dépend
d’une question préalable qu’il faut poser au moins schématiquement. N’y a-t-il
pas chez eux, en fait, deux discours concurrents, diversement
entrecroisés, sur la question du « parti » ? Le premier
s’énoncerait sur le mode de l’analyse
de ce qui est, historiquement, et qu’il s’agit d’expliquer. De ce point de
vue, il n’y a pas « le » parti, selon un concept posé en soi avant
ses réalisations plus ou moins imparfaites : il y a des formes d’organisation ouvrières et prolétariennes multiples,
avec leur idéologie contradictoire, surgies de conditions économiques et
politiques déterminées, et qui jouent un rôle plus ou moins durable dans les
luttes de classes ; tels le chartisme, les organisations secrètes de type
blanquiste, la « Ligue des communistes », les Trade-unions,
l’Association internationale des travailleurs, l’Union générale des ouvriers
allemands (lassallienne), etc. Mais à côté de ce discours analytique, et
généralement critique, figure aussi semble-t-il un discours normatif, sur le
mode du devoir-être : énonçant, sur la base d’une théorie des
tendances historiques à long terme, ce que doit être le « parti
prolétarien » pour être conforme à son concept, c’est-à-dire à sa destinationhistorique :
la conquête du pouvoir politique par le prolétariat en vue de l’abolition de
l’exploitation capitaliste.