27/10/16

Marx, Engels et le parti révolutionnaire

Dans les récits canoniques, il y a deux lectures essentielles de la pensée de Marx sur le parti, toutes deux insuffisantes. L’une, héritée des traditions léninistes, fait de Marx et Engels les précurseurs de la social-démocratie allemande et russe, puis du bolchevisme. L’autre fait de Marx un penseur presque libertaire. Dans cet article de 1978, Étienne Balibar proposait une déconstruction minutieuse, une lecture symptomale de la pensée marxienne du parti. Entre le parti comme conscience et le parti comme appareil, se lisent des points d’incompatibilité, des points aveugles, mais aussi de puissantes intuitions qui méritent d’être réactivées. Au fond, il s’agit de faire travailler la contradiction féconde entre autonomie de classe et pouvoir ouvrier, entre une nouvelle intellectualité de masse et son devenir-État.

Friedrich Engels & Karl Marx
✆ J. Stephensson
Étienne Balibar

L’appréciation des analyses consacrées par Marx et Engels à la question du parti révolutionnaire dépend d’une question préalable qu’il faut poser au moins schématiquement. N’y a-t-il pas chez eux, en fait, deux discours concurrents, diversement entrecroisés, sur la question du « parti » ? Le premier s’énoncerait sur le mode de l’analyse de ce qui est, historiquement, et qu’il s’agit d’expliquer. De ce point de vue, il n’y a pas « le » parti, selon un concept posé en soi avant ses réalisations plus ou moins imparfaites : il y a des formes d’organisation ouvrières et prolétariennes multiples, avec leur idéologie contradictoire, surgies de conditions économiques et politiques déterminées, et qui jouent un rôle plus ou moins durable dans les luttes de classes ; tels le chartisme, les organisations secrètes de type blanquiste, la « Ligue des communistes », les Trade-unions, l’Association internationale des travailleurs, l’Union générale des ouvriers allemands (lassallienne), etc. Mais à côté de ce discours analytique, et généralement critique, figure aussi semble-t-il un discours normatif, sur le mode du devoir-être : énonçant, sur la base d’une théorie des tendances historiques à long terme, ce que doit être le « parti prolétarien » pour être conforme à son concept, c’est-à-dire à sa destinationhistorique : la conquête du pouvoir politique par le prolétariat en vue de l’abolition de l’exploitation capitaliste.