Matthieu Renault
Dans Les Damnés
de la terre, une polémique célèbre est lancée par Frantz Fanon contre
Engels et sa théorie de la violence. Les commentateurs ont tiré de cet échange
une opposition irréductible entre un subjectivisme fanonien et un objectivisme
marxiste. Contre cette lecture schématique, Matthieu Renault propose ici de
retracer les itinéraires non occidentaux des théories de la violence. Il
éclaire ainsi les métamorphoses du marxisme au regard de la guerre révolutionnaire, tout en mettant
en évidence la centralité de Freud dans l’économie fanonienne de la violence.
« L’enjeu, bien au-delà de la présente tentative, est celui de la
formation d’une pensée globale de la
violence émancipatrice, seule à même de répondre aux défis posés par la
globalisation effective des formes de violence institutionnelle. »
◆ Italiano |
Les analyses qui suivent partent du constat de la
dissociation presque complète entre deux champs de problématisation au sein de
ce qu’il est convenu d’appeler les Fanon studies. On a d’un côté de
nombreuses interprétations de la théorie de la violence de Fanon ; elles
tendent à mettre l’accent sur la nature structurelle de la violence coloniale
et sur les dimensions existentielles, subjectives et psychologiques-cliniques
de la violence anticoloniale, sur son pouvoir purificateur-désintoxicateur, et
sur les limites de ce pouvoir. On a, de l’autre côté, des réflexions sur les
rapports complexes de Fanon au marxisme ; elles tournent autour des thèmes
de l’aliénation, de la corruption des bourgeoisies nationales, des rapports
entre « race » et « classe », etc. tout en interrogeant, et
parfois en condamnant, l’eurocentrisme de la tradition marxiste. Mais,
étrangement, si l’on excepte les quelques références à la critique par Fanon
des positions d’Engels, sur lesquelles nous allons revenir, la question de ses
relations à la pensée marxiste de la violence a été amplement
ignorée, comme si elle était nulle et non avenue. Nous tâcherons de montrer que
ce n’est nullement le cas.