28/9/16

Frantz Fanon et les géographies marxistes de la violence

Matthieu Renault

Dans Les Damnés de la terre, une polémique célèbre est lancée par Frantz Fanon contre Engels et sa théorie de la violence. Les commentateurs ont tiré de cet échange une opposition irréductible entre un subjectivisme fanonien et un objectivisme marxiste. Contre cette lecture schématique, Matthieu Renault propose ici de retracer les itinéraires non occidentaux des théories de la violence. Il éclaire ainsi les métamorphoses du marxisme au regard de la guerre révolutionnaire, tout en mettant en évidence la centralité de Freud dans l’économie fanonienne de la violence. « L’enjeu, bien au-delà de la présente tentative, est celui de la formation d’une pensée globale de la violence émancipatrice, seule à même de répondre aux défis posés par la globalisation effective des formes de violence institutionnelle. »

 Italiano
Les analyses qui suivent partent du constat de la dissociation presque complète entre deux champs de problématisation au sein de ce qu’il est convenu d’appeler les Fanon studies. On a d’un côté de nombreuses interprétations de la théorie de la violence de Fanon ; elles tendent à mettre l’accent sur la nature structurelle de la violence coloniale et sur les dimensions existentielles, subjectives et psychologiques-cliniques de la violence anticoloniale, sur son pouvoir purificateur-désintoxicateur, et sur les limites de ce pouvoir. On a, de l’autre côté, des réflexions sur les rapports complexes de Fanon au marxisme ; elles tournent autour des thèmes de l’aliénation, de la corruption des bourgeoisies nationales, des rapports entre « race » et « classe », etc. tout en interrogeant, et parfois en condamnant, l’eurocentrisme de la tradition marxiste. Mais, étrangement, si l’on excepte les quelques références à la critique par Fanon des positions d’Engels, sur lesquelles nous allons revenir, la question de ses relations à la pensée marxiste de la violence a été amplement ignorée, comme si elle était nulle et non avenue. Nous tâcherons de montrer que ce n’est nullement le cas.