19/8/16

Colonialisme, racisme et capitalisme: revenir à Marx

Ariane Perez a publié une recension critique [3] du dernier livre d’Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des Indigènes de la République, paru aux éditions La Fabrique. Selon Emre Öngün, cette recension nécessite elle-même une critique… dont l’objet n’est pas son propos sur le livre d’Houria Bouteldja [4] mais sa conception des rapports entre capitalisme et colonialisme/esclavagisme. Le présent texte porte donc sur cet aspect, dont l’enjeu dépasse la recension d’un livre mais porte sur des éléments fondamentaux de compréhension du capitalisme.

Emre Öngün
Karl Marx ✆ Natalia Rizzo 

Les considérations exposées par A. Perez consistent en ceci :
Il existe des oppressions et des antagonismes de classe dans chaque société un tant soit peu complexe ;
De son point de vue, l’enjeu pour les révolutionnaires anticapitalistes est d’être du côté des différents groupes opprimés et exploités.
Schématiquement, on peut distinguer de approches sur les questions internationales. La première consiste en une analyse globale des dynamiques contradictoires du système capitaliste. La deuxième relève de la pratique militante régulière de « solidarité ». 

Un groupe d'un État A détermine qu'une partie de la population dans un État B est opprimé et/ou exploité et se positionne « en solidarité ». Une réflexion stratégique internationaliste nécessite que la première dimension soit déterminante et que la deuxième dimension s'y insère. L’approche d’A. Perez consiste, au contraire, à remplacer la  première dimension par une juxtaposition de « solidarités » pouvant être éventuellement être reliées par des analogies ou l’observation de similarités d’un cas à l’autre. Cet empirisme consistant à mettre bout à bout de nécessaires actions de "solidarités" ne saurait permettre de comprendre les dynamiques transformant le monde.

L'actualité de la théorie de la valeur de Marx — A propos de Moishe Postone, Temps, travail et domination sociale

Karl Marx ✆ Aarya Bahari 
Antoine Artous 

Il s'agit d'un livre important. D’abord, par le caractère particulièrement ambitieux de son projet, formulé dès son sous-titre : « Une réinterprétation de la théorie critique de Marx » ; ensuite, par la force de sa critique de ce qu’il appelle le « marxisme traditionnel » et de sa propre lecture de Marx, développée à partir de la question décisive dans la tradition marxiste de la critique du travail, en lien avec la problématique de la critique de l’économie politique. Enfin, même s’il s’agit d’un livre « théorique » qui se situe à un fort niveau d’abstraction, Postone ne cache pas ses présupposés politiques. Il s’agit de relire Marx et de critiquer le « marxisme traditionnel » à la lumière de l’histoire du siècle passé des expériences du « socialisme réellement existant » et plus généralement de ce qu’il appelle l’évolution néo-libérale du capitalisme. La conception marxienne du dépassement du capitalisme ne peut pas être comprise ni « en termes de dépassement du seul marché », ni en termes « d’extension à toute la société de l’ordre planifié qui règne dans l’atelier puisque Marx décrit cet ordre comme celui de l’assujettissement total des travailleurs au capital » (p. 489).

Ce livre de 600 pages se divise en trois grands ensembles : une critique du « marxisme traditionnel », une discussion serrée avec des auteurs de l’école de Francfort et une « reconstruction de la critique marxienne » à partir des textes de la « maturité » (Grundrisse, Capital…). Il serait vain de prétendre « résumer » ici un tel livre, ou traiter l’ensemble des discussions qu’il engage, d’autant que la plupart des thèmes abordés ont fait l’objet de longs débats dans les années 1960-1980[2]. Un des défauts du livre est d’ailleurs de quasi d’ignorer (au moins dans les références) ces débats ; du coup, on a parfois l’impression que Postone est le seul à porter une critique radicale du marxisme traditionnel.