17/2/16

Pour une relecture africaine de Marx et d’Engels

Léopold Sédar Senghor ✆ Marc Taraskoff
Léopold Sédar Senghor   [1]  Si j’interviens au début de ce Colloque, qui est la suite de celui tenu, à Dakar, en 1962, c’est parce que nous en avons pris l’initiative, le Président Bourguiba et moi-même. Je le fais pour justifier la tenue de tels débats, qui sont nécessaires. 

Nécessaires si, du moins, nous voulons sortir réellement de notre ancien état de colonisés de l’esprit, toujours dépendants et débiteurs, jamais prêteurs, jamais producteurs de civilisation alors qu’au fort de la colonisation, au début de ce siècle, l’Afrique renouvelait, bien que passivement, l’art de notre monde. Et sa pensée indirectement. Qu’aurait-ce donc été si elle l’avait fait activement comme pour l’Egypte, au début de l’histoire. En effet, le « marxisme », même fortifié du « léninisme », ou seulement le « socialisme » que nous servent nos intellectuels n’est, le plus souvent, qu’un catéchisme pour pays sous-développés, préparé par les marxistes-léninistes et autres socialistes européens. Au demeurant, ce catéchisme ne vient pas directement de Moscou ni de Pékin, mais de l’une ou l’autre de nos anciennes métropoles : de Paris ou de Londres quand ce n’est pas de New York. La meilleure preuve en est que la plupart de nos intellectuels n’ont lu ni Marx ni Engels et, quand ils les ont lus, comme l’a confirmé un professeur communiste, ils ne les ont pas compris. C’est qu’ils les ont lus avec des yeux de parisiens, de londoniens ou de new-yorkais ! Et s’ils l’avaient fait de moscovites ou de pékinois, ce n’aurait pas été mieux. L’étonnement des Chinois, par exemple, quand on leur présente la « pensée maotsétoung » mise en cachets d’aspirine ! Ce que nous disent ceux-ci, comme les socialistes scandinaves, comme les communistes roumains, yougoslaves, italiens, c’est de relire et de penser par nous-mêmes, Africains, les textes fondamentaux du Socialisme - qu’on lui donne ou non l’épithète de « scientifique ».