Léopold Sédar Senghor ✆ Marc Taraskoff |
Léopold
Sédar Senghor [1]
| Si j’interviens au début de ce Colloque, qui
est la suite de celui tenu, à Dakar, en 1962, c’est parce que nous en avons
pris l’initiative, le Président Bourguiba et moi-même. Je le fais pour
justifier la tenue de tels débats, qui sont nécessaires.
Nécessaires si, du moins, nous voulons sortir réellement de
notre ancien état de colonisés de l’esprit, toujours dépendants et débiteurs,
jamais prêteurs, jamais producteurs de civilisation alors qu’au fort de la
colonisation, au début de ce siècle, l’Afrique renouvelait, bien que
passivement, l’art de notre monde. Et sa pensée indirectement. Qu’aurait-ce donc été si elle l’avait fait
activement comme pour l’Egypte, au début de l’histoire. En effet, le
« marxisme », même fortifié du « léninisme », ou seulement
le « socialisme » que nous servent nos intellectuels n’est, le plus
souvent, qu’un catéchisme pour pays sous-développés, préparé par les
marxistes-léninistes et autres socialistes européens. Au demeurant, ce
catéchisme ne vient pas directement de Moscou ni de Pékin, mais de l’une ou
l’autre de nos anciennes métropoles : de Paris ou de Londres quand ce
n’est pas de New York. La meilleure preuve en est que la plupart de nos
intellectuels n’ont lu ni Marx ni Engels et, quand ils les ont lus, comme l’a
confirmé un professeur communiste, ils ne les ont pas compris. C’est qu’ils les
ont lus avec des yeux de parisiens, de londoniens ou de new-yorkais ! Et
s’ils l’avaient fait de moscovites ou de pékinois, ce n’aurait pas été mieux.
L’étonnement des Chinois, par exemple, quand on leur présente la « pensée
maotsétoung » mise en cachets d’aspirine ! Ce que nous disent
ceux-ci, comme les socialistes scandinaves, comme les communistes roumains,
yougoslaves, italiens, c’est de relire et de penser par nous-mêmes, Africains, les
textes fondamentaux du Socialisme - qu’on lui donne ou non l’épithète de
« scientifique ».