14/9/14

La conception marxiste de l’histoire

Eric Hobsbawm
✆ Jorge Inácio
Eric J. Hobsbawm   |   Cent ans après la mort de Marx, nous sommes réunis ici pour discuter des thèmes et des problèmes relatifs à la conception marxiste de l’histoire. Ce n’est pas un rituel de célébration d’un centenaire, mais il est important de commencer en nous rappelant le rôle unique de Marx dans le domaine de l’historiographie. Je le ferai simplement, à l’aide de trois exemples. Le premier est autobiographique. Dans les années 1930, lorsque j’étais étudiant à Cambridge, nombre de jeunes hommes et femmes, parmi les plus doués, rejoignirent le parti communiste. C’était une époque très brillante pour cette université qui ne l’est pas moins, et beaucoup d’entre eux furent profondément influencés par les grands noms dont nous recueillions l’enseignement. Une plaisanterie avait cours parmi les jeunes communistes : les philosophes communists étaient wittgensteiniens, les économistes communistes étaient keynésiens, les étudiants communistes en littérature étaient disciples de F. R. Leavis. Et les historiens ? Ils étaient marxistes, car nous ne connaissions aucun historien, à Cambridge ou ailleurs, qui puisse rivaliser avec Marx, comme maître et comme source d’inspiration – nous avions pourtant entendu parler de certains grands historiens, comme Marc Bloch. Mon deuxième exemple est similaire. Trente ans plus tard, en 1969, Sir John Hicks, lauréat du prix Nobel, publiait sa Théorie de l’histoire économique. Il écrivait: « La plupart de ceux qui désirent mettre en place le cours général de l’histoire utilisent les catégories marxistes, ou une version modifiée de celles-ci, car il n’existe pas réellement d’autre option.